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La politique des partis et le référendum

Article paru dans La Vérité des travailleurs, n° 125, avril 1962, p. 4

Le Parti communiste internationaliste et le Parti socialiste unifié ont appelé à voter oui à l’indépendance algérienne, oui à la Paix, non à de Gaulle. Le Parti communiste Internationaliste dans une lettre envoyée aux grandes organisations ouvrières avait proposé le Front unique sur cette position qui avait l’avantage de ne pas mêler les bulletins à ceux des partisans de l’Algérie française et de refuser clairement le soutien à la politique gaulliste.

En réalité, en défendant notre point de vue, nous avons la possibilité de critiquer concrètement la position des organisations ouvrières qui se sont prononcées en faveur du oui. La position de ces organisations sur le référendum est un indice révélateur de leur politique pour toute la période à venir.

Le premier fait est que si l’on excepte l’U.N.R., l’U.D.T. qui ne représente rien, et quelques personnalités, comme François Mauriac pour qui de Gaulle est devenu une quatrième personne de la Sainte Trinité, aucune organisation ne défend inconditionnellement le OUI.

Le Parti radical, peuplé surabondamment de nostalgiques de la Quatrième République, met l’accent sur les accords d’Evian lorsqu’il invite ses électeurs à déposer dans l’urne un bulletin OUI. Le M.R.P. réclame la démocratisation des institutions, ce qui est une manière de prendre ses distances vis-à-vis du pouvoir personnel. Le Parti Socialiste SFIO se déclare partisan du oui, mais ce oui n’est pas non plus sans réticence, il s’accompagne d’une condamnation de la politique économique du gouvernement. Nous ne nous attarderons pas, cependant, sur les considérations de ces organisations. Les deux premières sont des organisations bourgeoises qui conservent leur influence, certes, sur la petite bourgeoisie, mais pour les communistes internationalistes, le seul problème que pose leur existence, est de trouver les moyens de leur arracher une partie de leur clientèle. Quant au Parti Socialiste SFIO, nul ne s’étonnera qu’il ait répondu oui. Chacun sait hélas, que l’ambition de la direction de la SFIO, tout particulièrement de son secrétaire général est d’être à « l’avant-garde de la V° République ».

Reste à savoir si les militants du rang partageront longtemps ces « aspirations ».

Nous voulons réserver le principal de notre article pour une organisation autrement importante : le Parti communiste français qui comme les trois précédents Partis a fait voter oui avec à peine plus de réticences que les autres.

Cette position a créé un certain malaise dans le Parti, surtout chez les jeunes. Mais la direction a mis le « paquet ». Pendant quinze jours L’Humanité a pilonné pour entrainer la conviction en faveur du oui.

Les arguments peuvent se grouper sous quatre rubriques.

1) Les réactionnaires et les fascistes se prononcent contre le oui.

2) Et si le Non triomphait ?

3) Tous ceux qui ne répondent pas oui tombent dans ce piège que le pouvoir leur tend. Les OUI des communistes et de la gauche gênent de Gaulle.

4) Les accords d’Evian ? C’est la politique que les dirigeants du PCF n’a cessé de défendre depuis sept ans.

Tous ces arguments officiels sont fallacieux. Le premier ne tient pas absolument. Nous ne ferons pas l’injure à nos lecteurs de développer longuement. Les raisons que les réactionnaires et les communistes ont de s’opposer au pouvoir gaulliste sont diamétralement opposées. Il y a plus de cent ans que les démocrates petit-bourgeois ressassent des considérations de ce genre. Déjà les républicains bourgeois reprochaient en 1848 aux révolutionnaires de critiquer la société capitaliste comme… les monarchistes.

Le deuxième argument n’est pas plus sérieux. D’abord parce que pratiquement il ne pouvait y avoir une majorité de NON et ensuite et surtout parce que si le PCF avait adopté la position que le PC internationaliste et le Parti Socialiste Unifié ont préconisé, les bulletins annulés ne pourraient pas augmenter le nombre des bulletins NON.

En ce qui concerne le troisième argument on peut se demander, à bon droit, qui tombe dans le piège. Sont-ce ceux qui malgré toutes les considérations dont ils ont accompagné leur vote, ont couru le risque très grand, d’utiliser le vote massif en faveur du OUI comme une approbation du pouvoir personnel. S’il y avait eu moins de OUI, de Gaulle aurait-il eu tendance à céder à l’OAS. La question n’est pas là car il ne faut absolument pas s’en remettre à lui pour lutter contre les menaces fascistes. Mais plaçons-nous dans le cadre du raisonnement : au contraire l’inquiétude de de Gaulle, en cas d’une faible majorité de OUI se serait renforcée ; ayant peur de paraître faible, ayant peur de paraître isolé, il aurait agi avec plus de circonspection envers la gauche et par conséquent avec plus de fermeté envers l’OAS.

Enfin venons-en au dernier argument. Il est vrai que depuis 1958, de Gaulle n’a cessé de reculer sur la question algérienne. On peut citer de nombreuses déclarations qui sont autant de jalons sur la route qui l’a conduit à la discussion avec le FLN et à la reconnaissance de l’indépendance algérienne. Mais est-ce une raison suffisante ? Au contraire, pour contraindre de Gaulle à de nouveaux reculs favorables à la Révolution algérienne, il fallait manifester son opposition au régime. Ce qui l’a contraint de reculer est la pression de la Révolution algérienne et aussi, mais évidemment très secondairement, les déterminations des rapports entre le pouvoir et les masses.

Le référendum devait être une occasion pour marquer, en ce sens, l’hostilité des travailleurs à de Gaulle et amener le mouvement des masses à de nouveaux et plus importants succès.

Le Parti communiste français, c’est-à-dire en l’occurrence sa direction, a fait preuve d’un suivisme analogue à celui qu’elle a manifesté en votant les pleins pouvoirs à Guy Mollet ; craignant de n’être suivie si elle proposait l’annulation du bulletin. Ce n’est pas ainsi que l’on détermine une position juste. Au besoin, une direction qui se déclare communiste, doit savoir se placer à contre-courant pour préparer l’avenir, en fortifiant l’avant-garde.

Par son suivisme persistant le PCF montre qu’il ne veut pas véritablement engager la lutte contre le régime d’exploitation. La perspective qu’il donne est celle de la démocratie rénovée. Il faut cependant noter qu’il y a une différence entre la politique du PCF et celle de la SFIO : le PCF réclame une assemblée constituante. Mais nul ne sait qui la convoquera, quelle sera sa nature.

Le PCF, pratiquement, n’a pas d’autre politique que celle de proposer une table ronde de la gauche, comme le montre la participation de ses représentants au colloque animé par Maître Thorp. Il est vrai, cependant. qu’en attendant, le programme voté au XV° Congrès et repris par le XVI° contient un certain nombre de mesures. Mais elles sont toutes viciées parce qu’elles sont replacées dans le cadre de la démocratie bourgeoise de la crise de laquelle le plus grand parti ouvrier ne veut pas tirer les conclusions programmatiques et d’action.

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