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La raison d’Etat de Pierre Vidal-Naquet

Article paru dans La Vérité des travailleurs, n° 126, mai 1962, p. 15

Ce livre, publié sous les auspices du Comité Maurice Audin, contient avec une présentation de Pierre Vidal-Naquet une série de documents officiels relatifs aux méthodes de torture qui furent employés de façon systématique dans la guerre menée contre le peuple algérien.

Les faits sont plus que connus sinon du grand public, du moins d’une large avant-garde d’ouvriers, d’étudiants et d’intellectuels. La dénonciation du système de tortures fut une partie de la lutte contre le régime colonialiste, car ces méthodes n’étaient pas un accident ou une perversion, dus à certains individus, elles découlaient inéluctablement de la guerre menée par l’impérialisme français pour maintenir sa domination sur un peuple rebelle, et l’impérialisme devait, de ce fait, pour recourir à de telles méthodes, chercher des individus prédisposés à les employer. Comme dans le cas du nazisme — après tout, le nazisme était le régime colonialiste appliqué à l’Europe — on a vu que la civilisation est une couche bien mince, bien fragile. Il n’est pas mauvais d’en avoir nettement conscience, précisément si l’on œuvre dans la perspective du socialisme, laquelle trouve son fondement dans cet acquit bien limité encore de l’humanité. C’est en constatant tout ce qui menace celle-ci, tout ce qui reste de cruauté dans l’homme « moyen » de nos pays, qu’on trouve une raison puissante de déployer tous ses efforts pour abattre le capitalisme et créer un monde d’où sera exclue une telle dégénérescence.

La loi d’amnistie récemment promulguée par le pouvoir gaulliste a passé l’éponge sur les crimes ainsi commis. Nous ne nous en étonnons pas, les régimes personnels qui affectent toujours la « grandeur » sont surtout grands par leur cynisme. Mais toute chose a un temps. Quand viendra la liquidation de ce régime, il y aura des comptes à rendre devant une justice populaire. « La Raison d’Etat » sera le dossier de la « gangrène » qui a affecté la IVe et la Ve Républiques. Il n’y aura pas d’amnistie pour ceux qui ont été les gangréneurs.


(I) Les Editions de Minuit, Paris.

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