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Mikhalis Raptis : Lettre polonaise sur la misère intellectuelle en France, de Dionys Mascolo

Recension de Mikhalis Raptis dit Michel Pablo parue dans Quatrième Internationale, 16e année, n° 1, janvier 1958 (1er semestre 1958), p. 75-76

L’auteur, ex-membre du P.C. français, ayant rompu avec le parti lors de l’affaire Rajk, se livre à une critique lucide de la situation des intellectuels français, de « gauche» et de « droite ». Il insiste plus particulièrement sur ceux de la « gauche » qui vont des membres du P.C. français aux « sympathisants » ou ex-sympathisants à la Sartre.

Médiocrité, conformisme, légèreté, sont, selon l’auteur, les caractéristiques de la « misère intellectuelle en France », conséquence elle-même des occasions révolutionnaires manquées avant tout par la faute de la direction pseudo-révolutionnaire, stalinienne, du P.C.F. Il attaque la forme particulière que prend ce qu’il appelle la « bêtise » intellectuelle française :

« un scepticisme de boutiquier, qui n’a rien de commun avec le grand scepticisme, une logique de bureaucrate, qui n’a rien de commun avec la grande passion logique, une critique de « gens d’esprit » infiniment éloignée de la grande contestation comique. C’est la bêtise au niveau le plus élevé, la vraie, celle d’une masse « cultivée », avertie, qui se croit à l’opposé de l’ignorance, une bêtise « d’élite ».

La réflexion critique profonde, et plus encore ensuite l’action conséquente font défaut à cette « élite » qui ne s’anime que par une « attitude de curiosité pour les chose vitales », mais sans « l’attachement passionné pour elles ».

C’est surtout l’exemple caractéristique de Sartre, coryphée des intellectuels « sympathisants » de « gauche » qui inspire la verve critique acerbe de l’auteur.

Pour les « intellectuels » propres au P. C. français. « il y a peu de chose à dire » car « aucun d’eux n’a même tenté sérieusement d’être un idéologue communiste » et tous ont fini par devenir en réalité « des fonctionnaires préposés aux taches culturelles ».

Mais que dire de la pléiade des « sympathisants » de « gauche » à la Sartre, d’une productivité toujours « sincère » autant que « hâtive et hasardeuse » ?

Le cas de Sartre lui-même illustre au mieux les caractéristiques de toute cette catégorie.

« En fait, théoricien de l’engagement depuis dix ans, Sartre et ses amis n’ont jamais été capables de s’engager dans une véritable action révolutionnaire, ni d’éviter en même temps de donner des gages, et au pire moment, à l’orthodoxie pseudo-révolutionnaire du parti stalinien. Ils restaient donc à l’extérieur du parti tout en le déclarant « seul révolutionnaire ».

Sartre a pu ainsi passer d’une attitude anticommuniste de principe à des positions politiques staliniennes, sans changer d’erreur. Dans les deux cas il a confondu radicalement le projet révolutionnaire avec le stalinisme, tantôt pour le condamner et ensuite pour l’approuver, et sans donner aucunement les raisons d’un tel changement d’attitude. »

L’auteur insiste sur la manière dont Sartre a ensuite rompu avec le P.C. et les propos à la fois confusionnistes et scandaleux qu’il a tenus — à côté de remarques ingénieuses et fort correctes — concernant le rapport Khrouchtchev et les événements de Pologne et de Hongrie.

« Qu’en conclure » ? se demande Mascolo. Que « le pire sous-produit du stalinisme ce sont les « sympathisants ». Ils risquent d’être les derniers déstalinisés, bien après les staliniens endurcis ». Que la « désartrisation risque d’être plus longue et plus douloureuse que la déstalinisation ».

Mascolo fait appel à « la révolte » des vrais intellectuels, c’est-à-dire de ceux « dont la vocation ne fait qu’un avec la conviction que la pensée n’est pas une spécialité, encore moins une fonction, mais qu’elle est une force dans le monde, que cette force est le bien de tous, et que la recherche de la vérité est son but ». Donc, si nous le comprenons bien, à la formation d’un type d’intellectuel qui allie la réflexion profonde à l’attachement passionné et l’action conséquente, l’engagement réel pour les buts de la réflexion, le penseur-militant communiste, le vrai intellectuel de notre époque.

Plusieurs des passages de la « Lettre polonaise » de D. Mascolo ne manqueront pas d’aller droit au cœur de ses lecteurs marxistes révolutionnaires, des communistes que nous sommes. Et ces lecteurs souhaiteront que D. Mascolo se montre conséquent avec l’esprit qui anime d’un bout à l’autre sa « lettre » remarquable (2), ne reste pas encore un autre « intellectuel » de la « diaspora » mais se situe, s’engage dans le mouvement politique communiste et œuvre, à sa façon, à la reconstruction d’une avant-garde marxiste révolutionnaire militante.

M. P.


(1) Les Editions de Minuit. Paris.

(2) Indépendamment des quelques résidus d’éducation politique stalinienne qui lui restent, comme par exemple sa nostalgie du « Front populaire » et de la « Libération ».

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