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Five O’clock World (le monde d’après cinq heures du soir)

Article paru dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 55, décembre 1966, p. 23-24

(traduit de Jim Evrard – The Rebel Worker – 5 – Solidarity Bookshop – 1947 – Larrabee Street Chicago – Ill )


Les gens parlent toujours de publicité, de propagande, et de manipulations de l’opinion publique en terres généraux, mais rarement en termes précis. J’aimerais prendre l’exemple concret d’une chanson populaire sur le « five o’clock world » (le monde de 5 heures du soir) pour illustrer quelques aspects des techniques de manipulation auxquelles nous sommes constamment exposés.

Mais d’abord un mot d’explication. Ce terme de manipulation est souvent avancé par des individus prétentieux, soi-disant au courant de tout, qui pensent qu’eux-mêmes ne se laissent pas prendre, qui pensent que la propagande n’est subie que par des « paysans » très inférieurs à eux. Ces individus croient que se prêter aux techniques de manipulation est une affaire d’intelligence médiocre, de naïveté, de « faiblesse humaine » et que cela n’attrape que les gogos. S’il n’y avait pas tant d’idiots dans le monde, prétendent-ils, le problème serait résolu.

Cette approche est fondamentalement fausse. C’est plutôt le fait de ne pas réagir à leurs techniques qui indiquerait qu’il y a quelque chose qui ne va pas chez vous. Une des techniques les plus fondamentales qu’ils utilisent est rendue possible pour eux par la condition minable de « notre » société capitaliste. Dans cette lamentable société qui est la nôtre, la plupart de nos besoins et désirs les plus fondamentaux sont constamment et systématiquement frustrés. La psychologie moderne a découvert des méthodes par lesquelles cette condition de frustration peut être exploitée en nous offrant des satisfactions partielles sous la forme de succédanés qui sont des succédanés de qualité inférieure.

Prenons un exemple sur la base du texte d’une chanson. Elle commence par indiquer combien est misérable notre journée de travail, utilisant la phrase « encore un jour de gâché ». Quel être humain qui a toujours travaillé pour sa vie dans notre société ne réagira pas à cette constatation ? Vous n’avez pas besoin d’être idiot pour réagir à cela. Vous avez seulement besoin d’avoir à travailler pour vivre. Sous la condition inhumaine du travail dans notre société malade, la temps de travail est en fait du temps ôté de notre vie, un autre jour de foutu. De ce point de vue alors, une chanson comme celle-ci remplit une des fonctions que les chansons populaires remplissaient dans le passé, (c’est-à-dire aider les gens à soulager leurs souffrances en les exprimant).

Alors vient le vers… « Mais dans le monde de cinq heures, quand la sirène retentit, personne ne peut plus prendre une parcelle de mon temps ». Parmi ceux qui travaillent qui n’a pas ressenti cela ? Quand vous travaillez vous n’êtes plus maître de votre temps. C’est l’entreprise qui le prend. « Vous pouvez garder votre âme, mais le patron possède votre corps ». Pour autant que votre patron est en cause, votre force de travail est une denrée que vous vendez sur le « marché du travail » comme les économistes l’appellent (comme chacun sait le marché des esclaves a été aboli). Et ce que vous avez vendu votre ami le patron en fait bon usage dans son propre intérêt, sans égard pour ce que cela peut vous coûter en misère humaine.

Pas de propagande maintenant. Jusque-là cela pourrait être même le commencement d’une chanson révolutionnaire. Vous pouvez imaginer comment le texte pourrait continuer : « Prenez ce jour de travail. Prenez les usines et arrangez les vous-mêmes. Ne laissez personne prendre une parcelle de votre temps qu’il soit ou non cinq heures du soir ».

Mais ici, c’est le tournant. Jusqu’à maintenant si vous êtes une personne qui travaille normalement, le texte de la chanson a dit « oui » à l’une de vos tendances humaines tué plus profondes. Si vous êtes un être humain normal, avec les sentiments, des désirs, des tristesses d’un homme normal, votre réponse instinctive a été positive.

Vous avez été « ramolli pour la vente ». Pas parce que vous êtes « stupide » ou « faible », mais parce que le texte, jusqu’à maintenant correspond réellement à vos désirs et à vos souhaits. Ceci est un point important pour la compréhension des techniques de manipulation. Elles commencent toujours par offrir une satisfaction partielle à un besoin humain véritable. Vous êtes alors prêt pour le message.

Et quel est le message ? Vous trouvez une fille blonde après cinq heures, qui vous fera oublier la misère de l’existence quotidienne dans notre société (jusqu’à demain matin à 8 heures). Et la fille ? qu’aura-t-elle en dehors de ça ? Comme vous savez dans la vie réelle les relations entre garçons et filles établies sur une telle base se dessèchent en quelques semaines, au mieux en quelques mois. Ainsi le message offert par le chanson se retourne pour être le principal moyen de la propagande.

Pour trois raisons (au moins).

D’abord, cela suggère que nous cherchions les réponses d’un problème réel dans un monde irréel. Il y a une collection entière de chansons populaires, de programmes de cinéma, radio et télé, dont la tendance fondamentale est la suggestion vers l’évasion de notre vie réelle misérable pour un monde de rêve, ou bien de prendre une part active au changement du monde réel. Dans cette chanson, cela prend la forme d’une fille de rêve m’attendant à cinq heures pour me faire oublier ma misère en se soumettant à tous nos désirs frustrés de la journée, sans qu’on se soucie si pour sa part elle peut avoir un besoin ou un désir quelconque (joli rôle pour vous filles, n’est-ce pas ?) Mais n’ayez pas peur, notre industrie du divertissement amoureux est tout autant intéressée à créer des rêves de garçons pour vous.

Ensuite, cela suggère une solution individuelle à un problème social. Le problème des conditions inhumaines de travail peut être résolu seulement dans l’usine ou le bureau même par l’action collective, des ouvriers, pas par chaque individu de retour à la maison et surexcité après sa femme ou sa petite amie.

Enfin cela suggère que nous acceptions un succédané sous la forme de la sexualité. Ne vous méprenez pas. Je ne rejette pas la sexualité. Comme activité dans son propre domaine entre deux personnes qui sont attirées l’une par l’autre, c’est une des meilleures choses que l’humanité ait jamais découverte. Mais comme succédané de huit heures par jour de ma vie d’homme non merci. En fait, cette tendance que nous développons dans ce monde capitaliste malade qui est le nôtre de faire beaucoup trop appel à la sexualité, est une autre des choses qui créent la misère humaine, parce qu’elle conduit inévitablement à des déceptions. Le sexe est merveilleux mais c’est une chose merveilleuse en elle même, pas comme succédané de tant de frustrations et de misères que notre société inhumaine anime en nous. Si nous en attendons cela, il nous décevra. (Et alors, nous en blâmerons notre partenaire). La frustration causée par les conditions inhumaines de travail ne peut être résolue que par le changement de ces conditions de travail. Toute la suggestion pour nous faire chercher des succédanés au lieu de rendre le travail humain sont de la propagande car elles impliquent la suggestion de ne pas agir pour résoudre le problème de base, celui de l’ordre social inhumain.

Ce type d’argument est souvent mal compris. Il n’implique pas que nous cessons d’être attiré par la musique « pop ». Vous pouvez chanter un texte miteux sur une musique « rythmée ». Vous pouvez danser avec la musique et ignorer le texte. De plus cet argument ne suggère pas que les paroliers sont des propagandistes conscients de notre société capitaliste. Comme individus, ils peuvent être eux-mêmes comme beaucoup victime du lavage de cerveau, comme n’importe qui.

Le point est que nous pouvons continuer d’aimer les « pop arts » mais nous pouvons en même temps garder nos yeux ouverts sur la propagande qui se dissimule en eux. Le cœur n’est pas l’ennemi naturel de la tête. Ce sont seulement les misérables conditions de notre société qui nous le font croire.

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