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Gérard Nidraux : Au pays du socialisme « arabo-islamique » le deuxième congrès de l’U.G.T.A.

Article de Gérard Nidraux paru dans Voix ouvrière, n° 35, 6 avril 1965, p. 6-8

André Soulat en 1965, au congrès de l’UGTA (source : Maitron)

D’UN CONGRES A L’AUTRE.

Le deuxième congrès de l’Union générale des travailleurs algériens vient de se tenir à Alger.

L’U.G.T.A., créée en février 1956, en pleine guerre d’Algérie, est restée jusqu’à l’indépendance un appareil de militants extérieur au pays, coupé de la base. Le syndicalisme ne prit une existence réelle en Algérie qu’après l’indépendance. Cette évolution reçut un coup d’arrêt au premier congrès de l’U.G.T.A. en janvier 1963.

A l’époque Ben Bella contrôlait déjà le « parti » F.L.N. et il lui restait à mettre au pas l’appareil syndical pour écarter toute possibilité d’opposition populaire organisée au régime et en particulier toute opposition de la classe ouvrière.

Il fallait pour cela évincer les dirigeants d’alors, qui, s’ils n’étaient pas directement opposés au régime, s’étaient montrés plus qu’hésitants durant la course au pouvoir de l’été précédant, d’autant plus que leur rapport au congrès revendiquait pour l’organisation syndicale l’autonomie vis-à-vis du F.L.N. Le pouvoir montra à cette occasion quelle conception de la démocratie « socialiste » était la sienne. On alla ramasser des chômeurs en camion et on les mena dans la salle du congrès ; cet afflux de « délégués » renversait la majorité. L’ancienne direction fut dissoute et si certains des dirigeants évincés se rallièrent au régime, toute chance pour le syndicalisme algérien de rester autonome par rapport au pouvoir s’était évanouie.

En fait, ce congrès n’était qu’une des dernières étapes de la consolidation du pouvoir du bureau politique de Ben Bella, sorti victorieux de la crise de l’été 1962.

Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler que l’artisan de ce véritable coup de force fut Khider, alors secrétaire général du parti F.L.N., sur le tard rallié à l’opposition. Cela montre quel crédit on peut apporter à de tels « leaders ».

UNE STRATEGIE SYNDICALE… ANTIOUVRIERE

Le deuxième congrès qui s’achève n’a fait que confirmer cette orientation du syndicalisme algérien. Pour le régime de Ben Bella, dont l’unique soutien est aujourd’hui l’armée, l’assujettissement de la classe ouvrière prend le caractère d’une nécessité vitale. Les grèves de décembre et janvier derniers montrent que le mécontentement latent des travailleurs devant le chômage persistant, devant leur exploitation toujours aussi réelle — malgré tous les discours sur le « pouvoir des travailleurs » — s’exprime dans la vie politique du pays malgré toutes les interventions bureaucratiques de l’Etat. Cet état de chose « l’Etat socialiste » de Ben Bella ne peut le tolérer. Le chef de l’Etat algérien l’a très clairement exprimé dans son discours inaugural au congrès :

« Il faut avant tout poser comme principe qu’un syndicalisme dans un pays engagé comme le nôtre dans une révolution tendant à établir et à assurer le pouvoir des travailleurs ne peut avoir le caractère revendicatif qui doit être naturellement le sien dans un pays où le pouvoir appartient à une classe privilégiée exerçant sa domination sur les masse laborieuses. Certes dans la période transitoire que nous traversons, des secteurs importants de notre économie demeurent encore entre les mains des propriétaires privés et parfois étrangers, susceptibles d’exploiter nos travailleurs. Dans ce cas l’intervention des syndicats est nécessaire et le recours à la grève peut éventuellement être envisagé à la condition toutefois qu’elle s’inscrive dans le cadre de la stratégie d’ensemble arrêtée par le pouvoir révolutionnaire ».

Les résolutions finales du congrès ont bien entendu ratifié ce point de vue du frère suprême. On y lit en particulier :

« Dans les conditions de l’autogestion, les travailleurs, agissant pour eux-mêmes, tout recours à la grève constitue un non sens, et doit être absolument proscrit… »

La grève est donc purement et simplement interdite dans le secteur autogéré.

Quant au secteur privé, on précise que tout conflit surgissant entre ouvriers et patrons doit trouver sa juste solution dans la négociation. La grève n’est tolérée qu’en ultime recours, et « dans le cadre de la stratégie d’ensemble arrêtée par le pouvoir révolutionnaire ». Ce qui signifie que les travailleurs doivent remettre toute lutte contre le patronat entre les mains de l’Etat. Il n’y a donc qu’à lui faire confiance et à abandonner, en attendant, toute revendication. De toute manière, la « subordination » des syndicats à l’Etat est exigée :

« L’expansion du parti comme guide implique nécessairement l’approbation sans réserve des décisions de ses instances dirigeantes, le Comité central et le Bureau politique ».

Ainsi le pouvoir de Ben Bella montre sa faiblesse puisqu’il ne peut se permettre la moindre forme, même timide, de démocratie : son premier souci est de prévenir toute opposition à son pouvoir, aussi bien des cliques rivales de Khider, Aït Ahmed et autres que de la part de la classe ouvrière et des masses paysannes à qui l’on promet maintenant la réforme agraire pour… 1975. (Conférence de Mohammed Harbi citée dans le numéro spécial de Jeune Afrique du 4 avril).

UN ANTI-IMPERIALISME DE FAÇADE

Les phrases sur le pouvoir des travailleurs n’en abuseront pas beaucoup. Car le régime Ben Bella n’a rien résolu des grands problèmes qui se posaient à l’Algérie. Le chômage garde des proportions dramatiques et la pénurie de capitaux et le gaspillage de l’appareil d’Etat (l’appareil administratif et militaire absorbe près de 35 % du budget algérien), font dépendre toute industrialisation si minime soit-elle des capitaux étrangers, en particulier de l’aide française dont on sait qu’elle n’est pas désintéressée.

Tout l’anti-impérialisme de Ben Bella se borne à négocier les parts de l’Etat algérien dans les profits des sociétés étrangères (voir les entretiens pétroliers franco-algériens qui se sont tenus dernièrement à Alger.) Dans ce cadre ses déclarations violentes apparaissent comme de simples pressions dans la négociation et surtout comme démagogie à l’usage des masses. On peut citer en exemple la déclaration de Saïda, la 28 février dernier :

« Le colonialisme détient encore des privilèges dans ce pays ; le gaz, le pétrole. Il est encore en train de tramer des complots, il continue d’acheter des gens avec ses milliards, nous allons lui reprendre des dizaines de milliards, car il suce notre sang et profite de la sueur de nos travailleurs à Hassi-Messaoud ».

Dans le même temps chacun soulignait le caractère « positif »,
l’atmosphère cordiale des négociations pétrolières franco-algériennes qui s’achevaient à Alger.


Le refus du chantage de l’impérialisme, implique le pouvoir réel des masses travailleuses et leur contrôle direct sur l’économie et non un simulacre d’autogestion. Mais la victoire des ouvriers et des fellahs algériens dépend, en premier lieu, de l’apport des travailleurs français dans la lutte contre l’ennemi commun : l’impérialisme en général et le nôtre en particulier. Car si l’Etat de Ben Bella ne peut se passer de l’impérialisme, les masses algériennes ne pourront elles se passer de l’appui du prolétariat français et du prolétariat mondial.

Gérard NIDRAUX.

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