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Octobre 1988 : Ils ont dit…

Article paru dans Libre Algérie, n° 18, novembre-décembre 1988, p. 15

Pillages et incendies lors des émeutes le 6 octobre 1988 à Alger, Algérie. (Photo by SIDALI-DJENIDI/Gamma-Rapho via Getty Images)

HOCINE AIT AHMED (« Fils de la Toussaint » et animateur du Front des forces socialistes)

« Je rends responsable le pouvoir algérien de n’avoir pas écouté et apprécié le dynamisme de la jeunesse de son pays, et d’avoir au contraire, au fil d’un quart de siècle, tout fait pour dépolitiser, infantiliser et démoraliser la jeunesse. (…) Je considère qu’il n’y a pas un seul exemple de parti unique dans le monde qui ait géré convenablement l’économie et le développement du pays et que seul l’essor d’un processus de démocratisation pourrait éviter que l’Algérie ne devienne l’homme malade de la Méditerranée occidentale. (…)

« J’exprime le vœu qu’un gouvernement d’unité nationale soit formé, dont le but sera d’organiser des élections libres, c’est-à-dire fondées sur l’instauration des libertés publiques, en vue de l’élection d’une Assemblée constituante. »

AHMED BEN BELLA (ancien président de la République algérienne)

« Une cassure s’est faite en Algérie entre tout un peuple et une canaille de colonels et de militaires qui le dirige (…). Le discours de Chadli Bendjedid est arrivé trop tard et pour permettre quoi ? D’éventuelles, d’hypothétiques réformettes. Alors qu’il lâche ses sbires militaires et sa soldatesque qui tire même au canon. (…) Les chefs qui sont actuellement au pouvoir étaient la plupart du temps de l’autre bord, y compris le chef de l’Etat actuel qui était sous-officier dans l’armée française. »

TAHAR BEN JELLOUN (écrivain marocain)

« Plus un régime manque de légitimité, plus le moindre « chahut » le fait réagir brutalement parce qu’il sait qu’il n’est pas installé sur des bases solides, avec des institutions incontestables. Un régime né de la violence d’un coup d’Etat n’a d’autres références pour imposer sa légitimité que la force. Toutes ses énergies sont employées pour préserver ce pouvoir qu’il a pris sans le consentement du peuple ou de ses représentants. (…)

« La chance du Maghreb, c’est sa jeunesse. Il faut apprendre à l’écouter et, si elle descend dans la rue, c’est parce qu’elle n’a pas d’autres lieux pour s’exprimer et qu’elle n’a pas trouvé un autre moyen pour dire ses espérances et ses exigences. »

KATEB YACINE (écrivain algérien)

« C’est la peur des réformes qui nous semble être à l’origine du massacre.

« Face à la crise économique, les Algériens plus que jamais ont besoin de s’unir. Ils ont besoin d’un front le plus large possible et ce front ne peut être que le FLN revenu à ses origines, à sa vraie nature qui est de rassembler toutes les forces de progrès, sans en exclure aucune. A ce propos. j’ai déjà dit et écrit ce que je pense : un Algérien conscient ne pourra jamais être contre le FLN à qui nous devons notre indépendance. (…)

« Mais le FLN a été trahi, ce n’est plus qu’un parti unique. On l’appelle aujourd’hui, par criante contradiction, « le parti FLN ». Bien sûr, les mandarins du parti unique refusent tout changement. Ils s’y opposent de toutes leurs forces, comme on vient de le voir. Pour ne pas les heurter, on peut imaginer dans une première étape que les tendances s’expriment dans des associations qui pourraient avoir leurs publications. »

MOHAMMED HARBI (historien)

« La représentation est terminée. On massacre de nouveau en Algérie, mais cette fois au nom du FLN (…). Cette formation a épuisé sa fonction créatrice (…). L’esquive des responsabilités du pouvoir dans la crise économique a réveillé l’esprit frondeur d’une opinion lassée du cynisme de ses gouvernants. La masse des jeunes sans emploi, promis a la civilisation du rebut, est entrée en lice. Elle n’avait pas le choix face à la perspective d’une mort sociale certaine. Comme après le 8 mai 1945, le long voyage des Algériens à la recherche de la liberté a repris son cours… »

ABDELKADER DJEGHLOUL (ex-rédacteur en chef de Actualité de l’émigration, organe de l’Amicale des Algériens en Europe)

« Non, les morts d’octobre ne sont pas les victimes de simples dérapages, ni même d’un simple dysfonctionnement des institutions, mais d’un dérèglement du système social dans sa globalité qui a abouti à la terrible implosion de la jeunesse marginalisée des grandes villes (…). Désormais, l’identification de l’Etat-parti avec la société est caduque et son maintien ne pourrait entrainer qu’une dialectique suicidaire pour la nation algérienne, celle de l’implosion répressive (…). Seul l’exercice effectif des libertés fondamentales. dans le cadre d’une légalité repensée par l’ensemble du peuple algérien, pourra empêcher que les projets de réformes institutionnelles, certes nécessaires, ne débouchent sur un simple ravalement de façade. »

BURHAN GHALIOUN (sociologue et écrivain syrien)

« Entre le soulèvement palestinien dans les territoires occupés par Israël et le soulèvement de la jeunesse algérienne, il y a un fil qui n’a échappé à personne et certainement pas aux acteurs eux-mêmes (…). C’est surtout la réponse des autorités aux revendications d’un peuple profondément inquiet sur son avenir, fragilisé et insécurise à l’extrême, qui impose cette association d’idées. Comment est-on arrivé a une telle situation où la politique se transforme en une simple domination extérieure, une occupation dont le seul fondement est l’usurpation des droits et la confiscation de la volonté populaire ? »

MAXIME RODINSON (historien)

« Ces événements sont une confirmation : il ne suffit pas qu’un régime se déclare socialiste et constitue en propriété d’Etat les biens de production pour que règne l’harmonie entre l’Etat et le peuple. Voila hélas longtemps que nous savions le régime algérien autoritaire, pratiquant à l’intérieur une politique à bien des égards critiquable, avec une police dégueulasse, une vision stupide et réactionnaire des problèmes de sécurité. »

MICHEL JOBERT (ancien ministre français des Affaires étrangères)

« Le pétrole et le gaz ne sauveront pas l’Algérie, mais un régime qui satisfasse les aspirations de liberté élémentaire des Algériens. »

JEAN-LOUIS HURST (fondateur du mouvement Jeune Résistance d’insoumission à la guerre d’Algérie)

« On s’étonne du silence des « porteurs de valises » devant la boucherie d’Alger. On les somme de parler. Je vous le demande : vers qui voulez vous que l’on crie ? (…) Aboyer avec les caniches pour constater que l’Algérie est devenue une dictature du tiers monde comme les autres ? Nous ne le savons que trop (…). La jeunesse algérienne s’est dressée contre de « nouveaux colons ». C’est congénital. Peu de peuples ont gardé aussi viscéralement le sens de l’injustice, le mépris du mépris, cette exigence frondeuse de l’égalité entre les citoyens. »

CLAUDE ROY (signataire du « Manifeste des 121 » en 1960)

« C’est un vieux verrou, la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat étranger et ami. Il a fait bien de l’usage, mais il n’est hélas pas tout à fait rouillé. Pendant que l’armée algérienne tirait hardiment dans le tas, mitraillait sa jeunesse en colère, les caïmans communistes et cette catégorie de socialistes qui jouent les crocodiles, de peur d’être moins à gauche que les caïmans, s’en sont donné à cœur joie et à fond sans la non-ingérence-qui-veut-fermer-les-bouches… Les morts entassés dans les morgues d’Alger, c’est une affaire intérieure, ça ne les regarde pas… »

HUBERT VEDRINE (porte-parole de l’Elysée)

« La France n’a pas à s’ingérer dans les problèmes entre Algériens. »

ANDRE LAJOINIE (PCF)

« Je me garderais bien de donner des leçons (…). L’Algérie paye le tribut de décennies de domination coloniale française. »

FRANCOIS LEOTARD (Parti républicain)

Demande au gouvernement d’œuvrer pour « l’apaisement de la situation en Algérie comme il l’a déjà fait en Tunisie et au Maroc ».

LA LIGUE TUNISIENNE DES DROITS DE L’HOMME

« Exprime son inquiétude à la suite des violations des droits de l’homme, notamment l’arrestation de centaines de citoyens Elle appelle à l’extension de l’espace démocratique, au respect du pluralisme et des droits de l’homme. »

LA LIGUE FRANCAISE DES DROITS DE L’HOMME

Souhaite que la recherche d’une solution au problème algérien passe par « des réformes destinées à donner la liberté d’expression à toutes les composantes du peuple algérien ».

FRANCOIS MITTERRAND (président de la République française)

« La France se réjouit de l’approbation massive donnée par le peuple algérien aux propositions que vous lui avez soumises. Ce succès témoigne de la confiance placée dans votre action et dans votre personne en vue d’assurer l’avenir démocratique de l’Algérie. »

MILOUD BRAHIMI (Ligue algérienne des droits de l’homme — officielle)

« La réforme constitutionnelle ouvre à un régime parlementaire. mais un régime parlementaire sans démocratie serait une absurdité. Il faut donc aller très vite vers une Assemblée nationale représentative issue d’élections libres. Le multipartisme est incontournable. Dès à présent, il faudrait que des hommes qui se sont séparés du FLN et qui ont choisi l’opposition avec dignité, je pense particulièrement à Aït Ahmed, puissent trouver immédiatement leur place au pays. »

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