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Paul Sénac : Victor Serge n’est plus

Article de Paul Sénac paru dans Force ouvrière, n° 103, 18 décembre 1947, p. 12

The delegates to the IInd Congress of the IIIrd International, at Pavlovsk. In the middle of the group, Comrade Lilina. On her left, Mutzenberg’. Zlata (or Zinaida) Ionova Lilina (1881-1929) was Grigori Zinoviev’s wife. Involved in children care and education, she was People’s Commissar for Social Planning to the Northern Commun (organ of the Petrograd Soviet). Victor Serge (1890-1947) described her as ‘a small crop-haired, grey-eyed woman (.) sprightly and tough’. She stands in the middle of the group, with German delegate Willi Münzenberg (1889-1940) on her left. The man with a hat and a pipe may be Karl Radek (1885-1939). The man on the left, behind the woman in a white dress, may be Manabendra Nath Roy (1887-1954), delegate to Mexico, commissioned by Lenin to write the theses on national and colonial questions during the IInd Congress. (Photo by: HUM Images/Universal Images Group via Getty Images)

LES restrictions de papier, supprimant nos chroniques, nous font vous parler de la disparition de Victor Serge avec un certain retard.

Il y a quelques semaines. nous apprenions de Mexico la fin de Victor Serge survenue des suites d’une crise cardiaque.

Né à Bruxelles de parents russes émigrés, Serge, enthousiasmé par la révolution russe, retourna dans son pays en 1917, pour servir cette révolution. Sa valeur incontestée le fit designer pour diriger à Petrograd un bureau d’édition. La IIIe Internationale vient de se fonder, aussi, dirige-t-il à Moscou la revue française : L’Internationale communiste.

En 1919, il n’hésite pas à troquer la plume pour le fusil : il faut sauver la révolution.

En 1921, il est envoyé à Berlin pour assurer l’édition française de la correspondance internationale. Le mouvement échouant à Berlin, il le reprend à Vienne.

En 1924, après la mort de Lénine, il voit et dénonce à quelques amis les transformations que subit la politique du « Vieux » pratiquée par ses successeurs. Dans son organisation de masse, il expose ses inquiétudes en trois interventions.

Cela suffit pour qu’en 1927 il soit exclu du parti communiste, ce qui entraîne son arrestation. En prison pendant quarante jours, il en sort malade. Après, on l’empêche d’écrire, de travailler pour nourrir sa femme et ses enfants.

Alors, il demande à venir en France. On le lui refuse.

En 1933, à nouveau arrêté. Il est déporté à Orenburg et revient après trois années de souffrance sans avoir été jugé. La solidarité ouvrière internationale avait obtenu son retour en Europe.

Après cette expérience douloureuse, Victor Serge conserve sa foi, son attachement à la cause ouvrière et garde intact son courage pour lutter contre tout ce qui pense être une trahison à cette cause.

Hors de Russie, il continuera de l’extérieur son opposition à l’odieux régime d’oppression qu’il connut bien.

« La condition juridique et morale de l’homme, dit-il, fut toujours essentielle aux yeux des socialistes. Elle ne peut se définir que par le degré de sécurité légale, de liberté du citoyen et par la nature du contrôle que les citoyens exercent sur l’État. Il serait presque ridicule d’examiner cette effrayante question. L’innombrable majorité des condamnés de l’U.R.S.S. n’ont été ni jugés ni défendus. »

Ainsi, après avoir connu mieux que quiconque le régime stalinien, Victor Serge découvre que collectivisme n’est plus synonyme de socialisme et qu’il n’exclut nullement la plus dure exploitation de l’homme par l’homme, les privilèges et la servitude, l’inquisition et la guerre. Aussi, quel jugement portera-t-il sur le collectivisme stalinien ?

Pour Victor Serge, le problème grave consiste à pouvoir concilier la liberté individuelle avec une organisation rationnelle de la production. Dans la pensée de cet idéal, il tient pour maîtres Lénine et Trotsky alors qu’il désavoue l’antisocialisme et le totalitarisme staliniens.

Dans ses œuvres, nous le voyons ouvertement accuser Staline d’assassinats prémédités afin d’établir par la terreur son régime inhumain.

En Victor Serge, les hommes du peuple et le socialisme perdent un grand défenseur de la liberté, un apôtre qui toute sa vie mena la lutte contre toutes les tyrannies, toutes les dictatures, tous les impérialismes quels qu’ils soient et même les pseudo-prolétariens.

Son œuvre est grande, solide. Le plus petit article possède une densité de substance toute pleine d’un prodigieux enrichissement.

Ses travaux sur la Révolution russe témoignent d’une lucidité aiguë. On sent que l’écrivain traversé les événements, qu’il a connu les hommes, qu’il les a vus agir, qu’il sait.

Bientôt paraîtra dans notre langue un roman : Les derniers jours.

En France, il fut poursuivi d’une haine tenace parce qu’il avait l’audace de clamer aux quatre vents son dédain d’un régime qui méprise la personnalité humaine.

Paul SENAC.

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