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En occupant la Tchécoslovaquie, la Russie révèle, une fois de plus, la nature impérialiste du capitalisme d’État

Article paru dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 75, novembre 1968, p. 3-4

During the Soviet invasion of Czechoslovakia, Czechoslovaks carry their national flag past a burning tank in Prague. (Source)

Pour ceux qui pouvaient encore en douter, l’invasion et la mise au pas de la Tchécoslovaquie confirme, s’il en était besoin, le caractère impérialiste de l’État russe. Rappelons quand même qu’en 1939-40, à la suite de l’accord avec Hitler la Russie occupa les États Baltes, une partie de la Pologne, la Bucovine et la Bessarabie. L’agression contre la Finlande suivit. Puis à la fin de la seconde guerre mondiale ce fut le partage du monde de Yalta qui assurait à la Russie la domination de l’Europe de l’Est et d’une partie des Balkans. Depuis, l’impérialisme russe réagit brutalement lorsque ses conquêtes sont menacées. La répression de l’insurrection hongroise en 1956 est encore dans toutes les mémoires, au moins pour ceux qui ne sont pas trop jeunes. En Hongrie la bureaucratie russe défendait au surplus sa domination de classe contestée par les conseils ouvriers. Rappelons enfin que dans son affrontement avec l’impérialisme américain, l’impérialisme russe apporte un soutien mesuré aux bureaucraties nationales du Nord-Vietnam, d’Égypte, de Syrie, d’Algérie, de Cuba, etc.

L’invasion et la mise au pas de la Tchécoslovaquie s’inscrit donc dans un contexte international qui n’est pas sans rappeler les préliminaires de la seconde guerre mondiale.

Cette année, en ce qui concerne la Tchécoslovaquie, les dirigeants russes ont d’abord essayé l’intimidation, puis sont rapidement passés à l’occupation par les forces armées. Mais la cohésion des bureaucrates tchécoslovaques a rendu difficile la recherche et l’installation de remplaçants aux ordres. Ce n’est sans doute qu’une question de temps. Il n’en reste pas moins que cette bureaucratie nationale pourtant composite, est coriace. En inaugurant au début de l’année une ère de libéralisation, elle avait réussi à réaliser une véritable union sacrée autour de ses objectifs d’émancipation nationale.

Parmi les satellites de la Russie, la Tchécoslovaquie n’est pas la seule nation à essayer de se libérer de la tutelle russe. La Yougoslavie donna l’exemple de bonne heure. La Roumanie s’y efforce depuis quelques années et ses échanges commerciaux avec l’Occident s’accroissent. La Pologne, non seulement commerce avec les pays du Pacte Atlantique, mais elle en reçoit des crédits. Toutefois, tous ces pays sauf partiellement la Roumanie et la Tchécoslovaquie, dépendent étroitement de la Russie pour les matières premières (énergétiques notamment) nécessaires à leur industrie. La Tchécoslovaquie ayant un pressant besoin de moderniser ses usines pour sortir de la stagnation économique lorgnait vers l’occident et les négociations concernant un important crédit de l’Allemagne de l’Ouest étaient très avancées.

Est-ce cela qui impatienta les dirigeants russes, ou le danger de la libéralisation amorcée qui déjà se traduisait par une propagande anti-impérialiste contre la bureaucratie russe, ou encore la menace de perdre à plus long terme le bastion stratégique que constitue la Tchécoslovaquie au cœur de l’Europe, ou toutes ces raisons cumulées, qu’importe maintenant puisque la mise au pas a commencé.

La bureaucratie nationale tchécoslovaque a-t-elle cru possible de profiter des rivalités entre les Grands très occupés à alimenter des foyers de guerre, et dont la puissance est menacée par la montée de la Chine et la remontée du Japon, ainsi que de l’Allemagne, les vaincus de la dernière guerre ? Qu’importe encore, puisque cela ne pourrait que confirmer que l’affaire Tchécoslovaque n’est qu’une péripétie de l’affrontement général pour un nouveau partage du monde.

Si nous venons d’essayer de placer l’événement dans l’ensemble de la situation internationale, c’est afin de mieux faire comprendre notre attitude.

Sentimentalement, comme pour la guerre du Vietnam, l’agression d’un petit pays par un colosse de la taille de la Russie nous choque et provoque notre indignation. Au tréfonds de nous-mêmes nous condamnons cet acte impérialiste. D’autant plus que c’est la classe ouvrière de Tchécoslovaquie qui en sera la principale victime.

Mais cela ne nous fait pas davantage passer dans le camp occidental que la guerre menée au Vietnam par les USA ne nous fait passer dans le camp russe.

Nous ne nous sentons pas davantage solidaires de la bureaucratie tchécoslovaque que de la bureaucratie Nord-Vietnamienne.

Quant au prolétariat de Tchécoslovaquie, est-il tellement engagé derrière sa bureaucratie nationale ? Certains indices permettent d’en douter. Qu’il soit contre l’occupant russe cela se conçoit, mais rien ne dit qu’il ait renoncé à se manifester en toute autonomie, bien que le sort des ouvriers hongrois en 1956 puisse faire réfléchir.

Ce qui se passe en Tchécoslovaquie doit nous rappeler que le fameux « monde socialiste » est à l’image des pays capitalistes, composé de grandes et petites nations et que les bureaucraties nationales sont liées par des rapports semblables à ceux qui lient les bourgeoisies nationales, le plus fort dominant le plus faible.

Comme les bourgeoisies nationales, les bureaucraties nationales utilisent les slogans du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ou de l’indépendance nationale pour se tailler et s’assurer des fiefs… qui finalement ne peuvent que retomber sous la dépendance d’un suzerain.

Nous pensons donc que les travailleurs ont autre chose à faire que de se solidariser avec leurs dirigeants et exploiteurs bourgeois ou techno-bureaucrates.

Eux seuls, les travailleurs, n’ont pas de patrie.

Et seule leur lutte autonome pour leur émancipation pourra aboutir à la construction d’un monde sans rivalités nationales et impérialistes, un monde d’où la guerre sera bannie par conséquent.

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