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Léon Boutbien et Jean Rous : A l’entreprise néo-boulangiste il faut opposer le rassemblement démocratique révolutionnaire

Déclaration de Léon Boutbien et Jean Rous parue dans La Pensée socialiste, n° 18, novembre 1947, p. 1-3

A l’occasion du Conseil National du 14 décembre, Léon Boutbien et Jean Rous ont adressé cette déclaration aux militants socialistes :

La gravité des événements impose comme devoir à chaque socialiste d’étudier la situation, en toute objectivité, sans se laisser entraîner par des passions partisanes ou de tendances, sans se laisser dominer par des considérations sentimentales ou de caractère personnel, afin de dégager la meilleure ligne de conduite pour le Parti Socialiste. L’heure n’est pas de rechercher des formules, de prendre des attitudes spectaculaires, mais d’avoir le courage de définir et d’imposer une politique nette.

De quoi s’agit-il actuellement ?

Barrer la route aux entreprises réactionnaires du néo-gaullisme, et reconquérir la majorité de la classe ouvrière entraînée dans une politique d’aventure par le Parti Communiste, pour faciliter le développement d’une démocratie socialiste.

LES ESPOIRS DEÇUS

Près de trois ans après la libération, les espoirs d’émancipation sociale ont été peu à peu déçus. L’absence d’une politique socialiste conséquente, la pratique permanente du compromis et du moindre mal, les concessions et les faiblesses de tous ordres, ont abouti à l’impuissance des efforts entrepris pour fonder une nouvelle République démocratique et sociale. Force nous est de constater cet échec et de dire au Parti que ceux qui, inlassablement depuis la libération, ont manifesté leurs soucis de vigilance et de fermeté, ont eu raison et on peut regretter, que même après avoir obtenu dans certains cas l’adhésion du Congrès ou des Conseils Nationaux, ils n’aient pu traduire dans les faits leur politique.

POLITIQUE DU MOINDRE MAL, OU POLITIQUE DU PIRE ?

Le dernier Congrès National du Parti avait, dans sa motion d’unanimité, défini une ORIENTATION ECONOMIQUE, et dans sa motion de majorité, une ORIENTATION POLITIQUE. Mais, par suite du refus de la majorité du groupe parlementaire de s’incliner devant les décisions de la majorité du Comité Directeur, prises en conformité de la volonté souveraine du Parti, le problème gouvernemental s’est trouvé posé dans les pires conditions. On avait présenté une politique de concessions « à la politique des autres » comme le fin du fin de la tactique pour combattre le danger du pouvoir personnel. Or, ce danger a surgi plus soudainement et fortement encore des temporisations et des hésitations du centrisme gouvernemental. Le résultat des élections indique une polarisation des forces aux camps extrêmes, une accentuation de la lutte des blocs et un renforcement hautement significatif du bloc réactionnaire.

Il ne suffit pas de répéter que le danger néo-fasciste se nourrit des fautes et des erreurs de la tactique du Kominform. Il faut aussi comprendre qu’il est, dans une certaine mesure, le fruit de nos confusions et de nos faiblesses.

CONFUSION ET FAIBLESSE

Ainsi, ces confusions ont elles conduit certains socialistes à accepter d’être les élus d’une majorité absolue de R.P.F. (ce qui est la faute la plus grave), et aussi, dans d’antres cas, à accepter des majorités réactionnaires d’appoint, donnant ainsi le sentiment d’être à « l’avant-garde » d’une seule et même coalition anticommuniste. Le Conseil National aura à dire s’il approuve de telles attitudes. Ou bien s’il se solidarise avec le Comité Directeur qui les a condamnés dès le premier jour et a demandé aux Fédérations d’envisager la démission des intéressés. En tout état de cause, la décision du Parti devra être rendue publique, car l’ignorance où se trouvent les travailleurs des véritables positions socialistes, a causé au Parti le plus grave préjudice. On a trop souvent confondu certaines élections spectaculaires avec la politique généralement pratiquée par l’ensemble du Parti.

Mais le Conseil National du Parti, réuni à une heure grave et peut-être décisive pour l’avenir du socialisme et de la démocratie, ne saurait se contenter de mesures négatives. Il doit se prononcer hardiment et nettement sur les deux grands problèmes que pose l’actualité : celui du GOUVERNEMENT et celui dit de la TROISIEME FORCE.

EVITER TOUS LES PIEGES

Au point de vue gouvernemental, il est clair que la majorité réelle de l’Assemblée qui, jusqu’à ce jour, avait eu l’habileté de se satisfaire de coalitions impuissantes afin de leur imposer directement ou indirectement sa politique, vient de se révéler. Elle commence à s’affirmer, et son cynisme grandit à proportion des capitulations. L’erreur fut de ne pas l’avoir mise au pied du mur plus tôt et plus nettement, comme nous le réclamions depuis des mois et des mois.

Devant les dangers que font courir au monde du travail et à la démocratie – dont la classe ouvrière est le meilleur soutien – la tactique insensée du Parti Communiste, les Socialistes n’ont pas à s’associer à une politique de répression et de faillite qui est la meilleure manière de faire le jeu de Gaulle.

LES SOCIALISTES N’ONT PAS A REMPORTER DE VICTOIRE CONTRE LA CLASSE OUVRIERE, MEME SI ELLE SE TROMPE OU EST TROMPEE.

Ils n’ont pas à souscrire à des lois qui, inspirées par la tradition dite « des lois d’exception », se retourneraient rapidement et infailliblement contre eux. Il ne faut pas se laisser aveugler par un anticommunisme qui, même justifié par les méthodes du Parti Communiste, cache en réalité la politique de réaction sociale la plus brutale. Le Parti Socialiste doit toujours s’inspirer des intérêts réels de la classe ouvrière, tenir compte de ses aspirations, et assurer le succès de ses revendications légitimes.

LE DEVOIR SOCIALISTE

Toutes les forces du Socialisme ne doivent pas être accaparées par les aspects parlementaire et gouvernemental de l’action. Elles doivent, avant tout, être consacrées au travail dans les syndicats, dans les comités de gestion, dans les coopératives, partout où le monde da travail vit, souffre et lutte pour son pain et ses libertés.

Le CIVISME ne consiste pas à se sacrifier pour le régime qui meurt, mais à lutter pour le régime qui lève. Le CIVISME ne consiste pas à s’accrocher désespérément à la forme parlementaire actuelle de la démocratie, qui est vide de contenu : il doit susciter l’éclosion et l’expression des forces nouvelles de démocratie économique et dégager les formes les plus efficaces de la souveraineté nationale.

POUR LA NON PARTICIPATION

Les signataires de cette déclaration sont, dans les circonstances actuelles, opposés à la participation au gouvernement de Schuman : ils demandent an Conseil National d’approuver l’attitude prise à cet égard par la minorité du Comité Directeur.

Il n’est pas possible au Parti Socialiste de donner sa caution à la politique de M. René Mayer, qui est la politique de de Gaulle sans de Gaulle et pour préparer de Gaulle.

Il n’est pas possible de choisir entre Paul Reynaud et René Mayer ; il est illusoire d’espérer que la nouvelle majorité gouvernementale soit capable de faire une autre politique que celle de l’impuissance. Il est faux de croire que notre présence au gouvernement soit indispensable, alors que l’Assemblée refuse de donner l’investiture à Léon Blum, parce que notre Camarade, n’acceptant pas de céder à certaines sollicitations, avait attaqué aussi fermement le gaullisme et le stalinisme. Cet événement aurait dû être interprété comme étant d’une portée qui dépassait l’hémicycle parlementaire. On a préféré se contenter d’une arithmétique qui ne correspond plus au rythme des événements.

Mais en dépit de notre opinion, la participation est un fait accompli. Déjà notre ministre du Travail rencontre les plus grandes difficultés à faire prévaloir, an sein du Gouvernement, la politique MINIMA compatible avec la présence socialiste. Cette position rejoint celle des éléments syndicalistes de la C.G.T. et ne saurait être abandonnée sans les plus grands dangers. Nous allons nous trouver rapidement devant le dilemme : ou nous soumettre en nous coupant de la classe ouvrière, ou avoir le courage de nous démettre. C’EST CE QUE LE CONSEIL NATIONAL DEVRA DIRE.

Sans aucun doute, seul, un gouvernement à programme socialiste, appuyé sur les masses populaires, animé par une équipe audacieuse, serait en mesure de briser définitivement le danger réactionnaire. Mais, puisqu’un tel gouvernement n’est immédiatement pas possible, il faut que les socialistes consacrent cette période transitoire à le préparer en s’adressant aux travailleurs, aux démocrates, et en les mobilisant autour de ses solutions. Ainsi, se trouve posé le problème, du rassemblement, et évoquée la question de la « troisième force ».

TROISIEME FORCE ?

Cette idée est née du souci du monde démocratique et socialiste de témoigner que les travailleurs et les démocrates de ce pays ne sauraient accepter ni l’issue réactionnaire du néo-boulangisme gaulliste, ni l’issue bureaucratique du néo-blanquisme stalinien. Sur le plan international, la même préoccupation signifie le refus de prendre une part quelconque à la guerre entre les blocs américain et russe ; elle signifie la volonté de paix et de fédération des peuples au-delà des blocs.

Dans cet esprit d’une nouvelle orientation du camp ouvrier et progressif, l’idée de « troisième force » prend une signification qui a toute sa valeur. Mais il ne fait aucun doute que cette formule sert déjà de prétexte à des combinaisons politiciennes d’états majors cherchant à perpétuer, en la camouflant, l’impuissance du centrisme gouvernemental. Il s’agit, chez certains, d’une politique de « juste milieu » entre les classes, d’une sorte de troisième camp entre la réaction et le monde du travail, le plus souvent orienté, par certaines complicités, vers la réaction.

C’est pourquoi, il faut ici parler net : PROCLAMER QUE LA TROISIEME FORCE SERA ORIENTEE ET APPUYEE SUR LE MONDE DU TRAVAIL, SUR SES LUTTES ET SES REVENDICATIONS OU BIEN ELLE NE SERA PAS.

Sans doute, il importe de dénoncer l’aventure totalitaire du stalinisme, mais il importe aussi bien de prendre la tête du combat ouvrier. La « troisième force » ne saurait être une force rétrograde au service du gouvernement, mais une force combattante au service des travailleurs. Son programme et sa tactique doivent être le programme et la tactique du socialisme démocratique et révolutionnaire. Il faut, certes, accepter ceux des M.R.P. et des Radicaux qui veulent combattre la réaction, mais on ne saurait être prisonnier de combinaisons avec des partis qui sont soumis de l’extérieur et de l’intérieur à la pression de l’adversaire, et dont certains sont déjà investis.

LE RASSEMBLEMENT DEMOCRATIQUE ET REVOLUTIONNAIRE

Au R.P.F., rassemblement totalitaire d’Etat au service du grand capital, l’heure est venue d’opposer le rassemblement démocratique et révolutionnaire du monde du travail. Les socialistes seront les animateurs de ce rassemblement qui doit faire un large appel à tous les inorganisés et ne pas se présenter comme une pure association de partis n’additionnant dans des formules statiques que leurs adhérents. Le mouvement de la démocratie révolutionnaire doit faire appel aux militants de tous les partis et à tous les jeunes, à toutes les femmes, à tous les ouvriers, à tous les producteurs qui veulent la justice sociale, la paix et la liberté. Il ne se substituera pas aux Partis, ni ne les concurrencera sur leur terrain propre. Il est l’unificateur de la lutte contre la réaction, et pour les revendications du monde du travail. Ses objectifs immédiats doivent tendre à obtenir pour tous les travailleurs, un standard de vie s’élevant avec la production, à résoudre le problème du ravitaillement, à imposer la diminution des prix et à assurer la plus grande unité possible à la lutte quotidienne des travailleurs pour leur existence, en dépit des manœuvres partisanes.

FONDER LA DEMOCRATIE NOUVELLE

Mais on ne saurait vaincre la réaction sans un programme constructif. Le vrai programme doit être de fonder la démocratie nouvelle. Il serait vain de se laisser ancrer à un STATU QUO qui, par suite du chantage réactionnaire depuis 1944, n’est fait que de débris et de promesses. Il faut, sans s’embarrasser des débris, tenir les promesses. Ce qui signifie construire vraiment les institutions de la IVe République, organiser la démocratie économique et sociale avec les comités de gestion, les syndicats, les coopératives. Bref, instituer la gestion populaire de l’Economie et de la Société. Cela n’est possible qu’avec un mouvement qui secoue les vieilles routines et se préoccupe d’être partout l’animateur et le constructeur des institutions de la démocratie nouvelle, qu’il s’agisse de mettre en mesure les producteurs et les consommateurs de gérer leurs propres affaires, de créer l’Union française comme une libre association des peuples, ou de fédérer les nations par continent pour aller vers les Etats-Unis du Monde.

Les traditions du Socialisme et du Syndicalisme français et le marxisme authentique, incarnées dans la Commune de Paris, constituent le guide naturel du mouvement socialiste démocratique en marche vers la démocratie nouvelle. L’heure est décisive. Il faut non seulement le comprendre, il faut agir.

Léon BOUTBIEN, Jean ROUS.


P .- S. – Tous les militants soucieux de faire connaitre leur opinion au sujet de cette déclaration, peuvent écrire à la PENSEE SOCIALISTE, 40, rue du Cherche-Midi, Paris (VIe).

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