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Extraversion spécifique et internationalisation bridée : les partis algériens face au projet de l’Union pour la Méditerranée

Pour les visiteurs du site, je présente l’introduction de mon dernier article « Extraversion spécifique et internationalisation bridée : les partis algériens face au projet de l’Union pour la Méditerranée« , paru dans le septième numéro de la revue Dynamiques internationales, intitulé « 50 ans d’indépendance algérienne : identités, politiques et sécurité ».

« [Mme Clinton] veut que l’Algérie ait la place qui lui sied dans le monde, mais de quelle place parle-t-elle ? (…) Le PT veut que l’Algérie soit la Mecque des révolutionnaires comme appelée autrefois » (1). Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT) véhicule dans sa tirade un des mythes algériens les plus tenaces qui s’applique à sa politique étrangère. S’il est permis de douter qu’Alger ait été un jour cette « capitale des révolutionnaires » (2) – à une époque où les opposants étaient au mieux condamnés à la clandestinité ou à l’exil, au pire à la prison ou à la mort –, il est désormais certain qu’elle ne peut plus prétendre à ce statut.

Ce moment, associé à l’option du « socialisme » (Charles 1965 : 864), renverrait à des choix stratégiques en rupture avec les acteurs dominants, occidentaux en premier lieu. Les observateurs avertis n’ont toutefois pas manqué de relever qu’un «  réalisme certain » (Chena 2011 : 110) était déjà de mise chez les autorités algériennes, notamment sur la question palestinienne (Abadi 2002). L’opposition entre cet « âge d’or » (Belkaïd 2009a) et la période actuelle s’effrite dès lors que l’on cesse de donner trop d’importance à une posture idéologique qui cachait mal un pragmatisme incontestable (Younger 1978 : 107).

Une autre césure doit être questionnée : celle du 11 septembre 2001 qui expliquerait le rapprochement entre l’Algérie et les États-Unis d’Amérique. Tout au plus, la mise à l’agenda de la « guerre contre le terrorisme », n’a fait qu’accélérer un processus déjà amorcé au cours des décennies précédentes (Ravenel 2003). Cette alliance parfois jugée « contre-nature » après les rapports privilégiés avec l’Union soviétique, donne lieu à un clivage entre ceux qui relèvent une montée en puissance de l’influence américaine au détriment de la France (Ait Kaki 2007) et ceux qui la relativisent (Belkaïd 2009b : 174). Ce conflit d’interprétation occulte l’historicité du rapport algéro-américain, concomitant avec la construction de l’État algérien, inséparable de sa « diplomatie de guerre » (Kiouane, 2000).

À rebours des lectures réalistes ou dépendantistes, une approche refuse d’assimiler la « classe technico-bureaucratique » algérienne à une classe compradore (Mortimer 1984 : 17). Nonobstant certaines réserves (comme la place de l’Algérie dans la division internationale du travail), ce propos a le mérite de redonner aux Algériens une capacité d’action. Cette dernière se trouve au cœur du paradigme de l’extraversion (Bayart 1999), familier des africanistes. Tout en relevant sa pertinence, en particulier dans sa critique de la dépendance, il lui a été reproché de méconnaitre « l’apport de l’analyse centre-périphérie » (Sindjoun 2009 : 332).

Identifiée à la « transnationalisation » (Gallissot 2000 : 156), l’extraversion de la société publique algérienne ne faisait déjà plus de doute au milieu des années 1980. Outre leur double comptabilité financière, ses membres qui pouvaient être confondus avec la bureaucratie nationale (Roberts 1982 : 42) se retrouvent pour certains dans « l’intelligentsia bureaucratique internationale » et se distinguent par leur mimétisme par rapport à la société internationale, leur consommation de marchandises d’importation ou leur mode de vie (Gallissot 2000 : 157). On pouvait déjà retrouver ce rapport à l’international dans d’autres couches de la population pas forcément liées à l’État.

Le paradigme de l’extraversion permet de « dépasser la distinction stérile entre la dimension interne des sociétés africaines et leur insertion dans le système international » (Bayart 1999 : 105). Cette approche apparaît opérante pour le cas algérien souvent écarté des études africaines du fait de sa situation géographique ou de son intégration au monde arabe par « la dominance incontestée de l’islam » (Bayart 1989 : 59). S’il peut exister un « malaise » de l’identité nord-africaine, « marginalisée en Afrique par le discours racial négro-africain » (Sindjoun 2002 : 14), nous ne pensons pas « que le désert sépare davantage que la mer » ou que « cette partie de l’Afrique pourrait et devrait être rattachée à l’Europe »(Hegel 1965 : 246).

En fait de « transnationalisation », il serait plus approprié de renvoyer à une approche en rupture avec le réalisme stato-centré et qui concerne les « interactions globales » (Nye & Kehoane 1971 : 332). Le rôle des acteurs non-gouvernementaux s’en trouve réhabilité et il devient possible de l’appliquer dans la sociologie de l’action collective (Siméant 2010 : 121). Par ailleurs, si l’État algérien pouvait être décrit comme « éclaté en une multitude d’appareils » (Rouadjia 1994 : 125), on doit préciser que ces appareils sont diversement connectés à l’international, ce qui n’est pas sans provoquer des « interférences » (Ait Chaalal 2004 : 205). L’inadéquation du réalisme dans le cas africain tient enfin à une triple crise : crise du principe de territorialité, crise du monopole étatique de la violence et crise de la population dans son rapport à l’État (Sindjoun 2009 : 322). Cela conduit à relativiser le « mythe » du monopole étatique des relations internationales africaines qui sont le théâtre de flux transnationaux (démographiques, culturels, communicationnels et économiques) qui « subvertissent le principe de souveraineté » (Sindjoun 2002 : 96-97).

La réaction des partis politiques algériens au projet d’Union pour la Méditerranée (UPM) renvoie autant à leur internationalisation qu’à leur extraversion. Indissociables d’une société qui en connait plusieurs dimensions (culturelle, religieuse, sportive, etc.) (3), les partis gèrent selon leurs sensibilités les diverses rentes que constituent le discours sur la démocratie ou la dénonciation de l’impérialisme (Bayart 1999 : 102). Ces discours, combinés à la critique de l’islamisme chez le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) ou à la défense de la souveraineté chez le PT, ne doivent pas occulter le fait que l’internationalisation de ces organisations demeure bridée par le cadre législatif. Si les fractions liées à l’État vivent « pour l’essentiel des rentes que leur assure leur position d’intermédiaires vis-à-vis du système international » (Bayart 1989 : 47), il n’est dès lors guère étonnant de constater à quel point les autorités veillent à préserver « leur monopole d’accès à l’international » (Pommerolle 2008 : 85). Dans le même mouvement, à la dirty politics du « régime prétorien » qui ne connaît pas de frontières (4) (Hachemaoui 2009 : 309) répond une tendance conspirationniste à l’égard de l’étranger (Silverstein 2002 : 651), partagée autant par le personnel du « pouvoir » que des « oppositions ».

Ces aspects pris en considération, on peut tenter de comprendre comment s’élabore le positionnement des partis sur une question de politique « étrangère », celle de l’UPM, nouvelle tentative d’institutionnalisation du rapport entre l’Europe et l’Afrique et révélatrice de clivages internes autant que d’alliances externes. Il s’agira dans un premier temps de restituer la trajectoire historique conduisant du Traité de Rome au Sommet de Paris en interrogeant la portée du legs colonial (Bayart & Bertrand 2006). Dans un second temps, il sera question des stratégies déployées sur la scène internationale et en direction de l’international par les partis algériens, consécutivement à l’entrée en vigueur du « pluralisme administré » (Khalfoun 2000).


(1) Karima Mokrani, « Nous n’avons pas besoin des conseils de Mme Clinton », La Tribune, 28 février 2012.

(2) Claude Deffarge & Gordian Troeller, « Alger, capitale des révolutionnaires en exil », Le Monde diplomatique, août 1972.

(3) Il suffit pour s’en convaincre d’observer la ferveur des jeunes Algériens lors de la retransmission d’un clasico ou de constater que de nombreux quotidiens proposent dans leurs pages les programmes des chaînes françaises.

(4) On peut mentionner quelques assassinats d’opposants : Mohammed Khider à Madrid en 1967, Belkacem Krim à Francfort en 1970, ou encore Ali Mécili à Paris en 1987.

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