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Jean Rous : Se ressaisir ou périr

Article de Jean Rous paru dans La Pensée socialiste, n° 19, 1er trimestre 1948, p. 1-2

Dans la crise actuelle du Socialisme et de la démocratie, ce qui est, peut-être, plus grave que les échecs et les défaites, c’est le doute et le désespoir qui commencent à s’emparer des meilleurs combattants.

Tout est perdu si l’espérance les abandonne. Mais tout pourra être sauvé si on sait donner à l’espérance de nouvelles raisons d’être et des perspectives plus solides. La sagesse antique qui est aussi la sagesse politique, conseille de faire d’abord tout ce qui dépend de nous. Il n’est pas vrai que tous les socialistes aient fait délibérément et fermement, en tant que socialistes, tout ce qui dépendait d’eux. On ne rappellera jamais assez que les militants avaient eu le juste pressentiment de ce qu’il fallait faire. La crise du socialisme a commencé précisément, le jour où quelques socialistes ont voulu ruser avec la volonté des Congrès.

Cependant si sévères, soyons-nous, à cet égard, ce serait tomber, dans un singulier aveuglement, de ne voir que les propres fautes de certains socialistes.

En effet, il est non moins important de considérer que le Parti Socialiste est aujourd’hui dans la situation d’un parti traqué entre deux périls qui menacent à des titres divers, la démocratie et les conceptions que les marxistes démocratiques se font de la révolution socialiste. Il est clair, pour nous tous, que le néo-fascisme signifie la disparition de toutes les tendances du mouvement ouvrier. L’expérience a été faite. Elle se poursuit d’ailleurs sous nos yeux en Espagne, en Grèce notamment.

On sait que le Capitalisme américain, en dépit de ses apparences « démocratiques », porte en lui-même, tous les germes d’un totalitarisme et d’un impérialisme nouveaux. Ses théoriciens ne songent même plus à le dissimuler.

Mais il n’est pas moins vrai, dans le même temps que toutes les tendances du mouvement ouvrier qui ne sont pas décidées à se soumettre, ou à se démettre, devant le stalinisme, se trouvent menacées de dislocation et de destruction.

Ces deux périls étant bien précisés, on peut dire que la crise du socialisme a maintenant trois issues possibles.

La première consisterait à se faire directement ou indirectement l’instrument du capitalisme américain et du Vatican, ou, par faiblesse à subir sa pression, à choisir le camp américain, comme le moindre mal, sous prétexte qu’il comporterait une certaine « liberté ».

La deuxième consisterait à accepter une intégration dans le bloc oriental, qui, pour s’effectuer progressivement, n’en serait pas moins la liquidation totale du marxisme démocratique.

La troisième consiste à résister à toutes les pressions et à demeurer une force autonome.

Or, jusqu’à ce jour, à l’exception de la gauche du Labour Party, à l’exception de certains socialistes italiens qui résistent encore sous le drapeau de l’autonomie sans se laisser isoler des masses, à l’exception d’une faible gauche française, belge et espagnole, on peut dire que partout ailleurs, le socialisme s’est laissé disloquer tantôt par le capitalisme américain et le Vatican, tantôt par le stalinisme.

Par un paradoxe étonnant, les meilleurs fourriers du communisme officiel, ont été ceux qui, parmi les socialistes, ont cédé à cet anti-communisme primitif importé d’outre-Atlantique. Par anti-communisme ils se sont laissés entraîner dans une politique anti-ouvrière, anti-coloniale, anti- européenne. Cette politique a d’ailleurs été accomplie, sous le regard bienveillant et encourageant de la bourgeoisie qui, à chaque capitulation, savait en exiger une nouvelle. Ils ont progressivement poussé les ouvriers dans le camp du stalinisme. Et rien n’est plus éloquent, à cet égard, que les dernières élections dans les mines et dans le pays.

Ainsi donc, la preuve est faite que la politique centriste du « juste milieu », de la conciliation à tout prix, pratiquée, soi-disant, pour écarter les deux dangers, n’a fait que contribuer à les rapprocher et à aiguiser les conflits, au lieu de les résoudre. Bien plus, si l’on considère les dangers suivant leur importance et leur proximité, on peut dire que la politique suivie a justement favorisé l’essor du néo-fascisme.

De sorte qu’aujourd’hui, le socialisme se trouve contraint d’effectuer, s’il veut se sauver, comme, force indépendante, une sorte de ressaisissement audacieux. Il n’y a d’autre issue pour lui que de se ressaisir ou de périr. Et pour se ressaisir, il doit, pareil à une armée qui se regroupe, après avoir été sérieusement bousculée, se concentrer sur quelques points principaux. Lesquels :

Un Rassemblement Démocratique et Révolutionnaire. – Il est clair que les socialistes qui avaient voulu se placer sous le signe d’une « 3° Force », c’est-à-dire d’une formation indépendante du Capitalisme et du Stalinisme, ont été cruellement déçus par le spectacle pratique de la « 3° Force » officielle :

Le Secrétaire Général du Parti Socialiste avait dit au dernier Conseil National que la 3e Force serait révolutionnaire ou ne serait pas. En fait ce que l’on a appelé « 3° Force » n’a été qu’une combinaison centriste et gouvernementale, réalisant, dans le domaine économique et colonial, le contraire de la politique voulue par les socialistes. Ainsi faute d’avoir été, non seulement révolutionnaire, mais simplement démocratique, la « 3e Force » n’a pas été.

Le porte-parole du Parti Socialiste avait également déclaré que la « 3e Force » ne doit pas être le Rassemblement Travailliste sans travailleurs avec le M.R.P., or on a tenté d’imposer, par la bande, aux militants, des « Comités » qui n’auraient été autre que les embryons de super-parti travailliste, oriente par les cléricaux et menaçant la laïcité. Fort heureusement, avec cet instinct magnifique qui les avait déjà animés en 1946 et 47, les trois quarts des Fédérations Socialistes ont repoussé de telles formules, opposées d’ailleurs, à l’esprit des deux derniers Congrès. A leur manière, les diverses fédérations se sont préoccupées de promouvoir un Rassemblement ouvrier et démocratique, ouvert à tous les laïques et à tous les travailleurs, syndicalistes, socialistes, socialisants et républicains.

L’heure est venue d’obéir à la volonté souveraine des militants. C’est pourquoi certains socialistes se sont associés à un appel pour le Rassemblement Démocratique et Révolutionnaire. Cette initiative permettra à tous les socialistes qui voudront s’y associer, c’est-à-dire à la grande majorité, de constituer cette force démocratique et révolutionnaire dont la France a le plus urgent besoin pour défendre la démocratie, et la construire.

Organiser le Socialisme dans l’Union Française. – Dans la perspective des vicissitudes européennes le problème de l’organisation du Socialisme dans l’Union Française et tout particulièrement en Afrique revêt une importance décisive.

Prochainement aura lieu à Milan, une Conférence destinée à coordonner les efforts des socialistes européens et des peuples d’Afrique et d’Asie. Mais ce n’est pas un socialisme anémique et plus ou moins teinté de colonialisme qu’il faut présenter à toutes ces forces neuves qui montent à la vie politique. C’est pourquoi la vraie solution consiste dans le rajeunissement du Socialisme par la démocratie révolutionnaire qui permettra à chaque peuple de créer ses propres institutions.

Organiser la Communauté internationale, à commencer par l’Europe. Face à la tentative capitaliste de faire le bloc occidental par l’intermédiaire d’une fausse « Fédération Européenne », qui ne serait que le porte-avion de l’impérialisme américain, dans la prochaine guerre, face au danger symétrique de bureaucratisation, il est urgent que tous les socialistes européens s’unissent pour organiser l’Europe, sur une base de liberté et de progrès social.

Ce ressaisissement peut seul sauver le présent et s’il ne sauve pas le présent, il sauvegarde, au moins, l’avenir. Cette vérité la grande masse des militants socialistes la comprend et il ne fait aucun doute que, malgré toutes les difficultés et les pressions, elle saura le prouver par des actes.

Jean ROUS.

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