Extraits de l’avant-propos de Mohammed Harbi à Mansour Fahmy, La condition de la femme dans l’islam, Paris, Allia, 1990, p. 9-15.
Ce livre n’est pas un pamphlet destiné à dénoncer la condition faite aux femmes dans les sociétés musulmanes, mais une thèse soutenue à la Sorbonne en 1913 dans un temps où la thèse devait être un travail scientifique appuyé par une érudition rigoureuse. Il aurait pu disparaître dans les décombres de la production universitaire, et son auteur tomber dans l’oubli comme des milliers d’autres docteurs, si les gardiens de l’ordre traditionnel ne l’avaient mis en lumière en le clouant au pilori.
Dès son retour en Égypte, Mansour Fahmy a été désigné à la vindicte publique par des journalises sans scrupules devant lesquels les autorités universitaires ont dû honteusement s’incliner. C’est un compte rendu malhonnête et malveillant que son procès a été instruit et la cause entendue : Mansour Fahmy aurait soutenu un France une thèse hostile à l’islam et à son Prophète, sous la houlette d’un « professeur juif » nommé Lévy-Bruhl. Persécuté et écarté de l’enseignement en Égypte, Mansour Fahmy n’est réintégré à l’Université qu’au lendemain de la révolution de 1919. Mais on peut dire qu’à cette époque il n’existait plus en tant que penseur. La censure et les pressions sociales avaient eu raison de son audace. Qui ne prend pas la mesure des contraintes quotidiennes exercées sur les consciences dans les sociétés musulmanes ne peut comprendre son itinéraire, marqué à jamais par le reniement de son œuvre. (…)
Pour Fahmy, c’est dans la société musulmane du siècle de l’Hégire qu’il faut chercher l’origine des hadiths forgés sur la femme et non dans la psychologie et la moralité d’un individu. Dans le même ordre d’idées, la production maghrébine, notamment islamiste, sur le féminisme, qui met l’accent sur la confrontation avec l’Occident, ne doit pas être prise à la lettre. Il y a des milliers de femmes, de jeunes adolescentes qui sortent des milieux populaires, qui ont une éducation arabe plus qu’européenne et qui luttent pour leur émancipation sans avoir en tête le modèle occidental, mais simplement le refus de l’autorité du père, du frère, du mari ou, plus prosaïquement, de cette police idéologique que forment les muphtis de la télévision et de la radio, ces voyeurs de type nouveau.
Les drames des femmes arabes font toujours partie de l’actualité. Être obligé de répondre aux partisans de leur asservissement en cette fin du XXe siècle, voilà qui en dit long sur la boue dans laquelle pataugent les sociétés arabes et leurs idéologues. On conviendra donc que c’est sans plaisir que nous réchauffons ici quelques idées devenues communes sur le sujet. C’est que « la pensée n’est pas seule avec elle-même, surtout la pensée pratique, tellement attachée au moment historique qu’à une époque de régression elle deviendrait abstraite et fausse si elle voulait se développer suivant sa propre dynamique » (Adorno). Nous continuerons, aussi longtemps qu’il faudra, à combattre la régression avec des arguments connus. Dans une époque indigente où les pouvoirs en place laissent les islamistes façonner, par une sorte d’esprit persuasif ou dissuasif, la jeunesse et exigent des intellectuels de s’abstenir de toucher à la question religieuse, rappeler aux consciences ce qu’on leur cache ou ce qu’elles ont oublié est la tâche ingrate de la pensée.
Paris, 22 juillet 1990.
MOHAMMED HARBI.