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Mohammed El Djerah : Le 2ème congrès des syndicats de travailleurs algériens

Article de Mohammed El Djerah paru dans La Révolution prolétarienne, n° 144, décembre 1959, p. 22-23.

Le deuxième Congrès de la Fédération de France de l’U.S.T.A. a tenu ses assises à la Salle des Fêtes de Fives-Lille les 27, 28 et 29 novembre 1959. 351 délégués représentant 97.675 adhérents aux différents syndicats de l’U.S.T.A., venant de toutes les régions de France, y étalent. Toutes les corporations : métallurgie, produits chimiques, mines, bâtiment, alimentation, etc., étaient représentées. Il y avait 10 Algériennes et les délégués étaient de tous les âges.

Le plus caractéristique, c’est que ces 351 délégués sont originaires des différentes régions d’Algérie et les uns et les autres sont en relation permanente avec leurs familles. De ce fait, ils reflètent le vrai visage de l’Algérie souffrante, aspirant à la paix et luttant pour sa libération.

En outre, plusieurs personnalités syndicalistes de France, de Belgique, d’Italie, ainsi que des représentants de la presse ont suivi avec un réel intérêt les débats du Congrès. De nombreux messages et télégrammes étaient parvenus au Congrès, venant d’Angleterre, de Hollande, de Belgique, d’Allemagne, de Grèce et de France, dans lesquels des centrales syndicales ou des personnalités, tout en s’excusant de ne pouvoir assister aux travaux du deuxième congrès, en souhaitaient la réussite.

Des syndicalistes d’Algérie n’ayant pu y assister ont adressé un message d’encouragement et plein de confiance et d’espoir.

Durant trois jours, 45 orateurs se sont succédé à la tribune pour donner leur appréciation sur le rapport moral et d’activité présenté au nom de la C.E. sortante, par le secrétaire général A. Bensid. C’était une libre discussion où la critique constructive n’était pas ménagée. Combien étaient éloquentes les interventions de ces jeunes Algériennes, évoquant la situation de la femme algérienne et sa volonté d’émancipation ! Les différents orateurs qui ont traité d’une façon judicieuse l’ensemble des problèmes économiques, sociaux et culturels que pose la Révolution algérienne, ainsi que la situation dramatique de l’émigration algérienne en France et les tâches de solidarité prolétarienne internationale, ont révélé une haute maturité politique et syndicale qui a fortement impressionné les invités et l’auditoire.

Et c’était là une démonstration éclatante du résultat du travail d’éducation que l’U.S.T.A. a entrepris depuis le premier Congrès à Paris.

Cet internationalisme prolétarien dont l’U.S.T.A. est animatrice s’est exprimé avec force lors des interventions des camarades A. Lecœur, Hébert, Houdeville et Gantengque que les congressistes ont chaleureusement applaudis.

Mais avec l’arrivée et l’intervention du leader national algérien Messali Hadj, l’atmosphère du Congrès devint délirante. Le fougueux et prestigieux chef nationaliste, traitant de tous les problèmes et plus particulièrement de ceux de la paix en Algérie et de l’autodétermination du peuple algérien, souleva tout au long de son discours, à travers une ovation indescriptible, l’enthousiasme des congressistes.

Ces débats qui se sont poursuivis durant trois jours se sont terminés par treize résolutions résumant les tâches dégagées des travaux du Congrès.

Ainsi, le succès du deuxième Congrès de l’U.S.T.A. a été total. II constitue une preuve éclatante que l’U.S.T.A., en dépit de la répression, de l’assassinat de ses dirigeants et de ses militants par le F.L.N.-U.G.T.A., du mur du silence de la presse dite progressiste : « France Observateur », « L’Express », « Témoignage Chrétien », etc., a su résister et, aujourd’hui, elle se porte bien, voit ses effectifs se renforcer et sa puissance se consolider.

Quelle cinglante démonstration à tous ceux qui devant tous les assauts que subissait l’U.S.T.A., le dénigrement, les sarcasmes, les mensonges et les calomnies qui l’assaillaient de toutes parts, croyaient à sa disparition !

Il est vrai que quand on ne sait pas les capacités de résistance, le dévouement et la farouche volonté de lutte des travailleurs algériens, on ne peut que commettre des erreurs de ce genre.

Le deuxième Congrès de l’U.S.T.A. a encore prouvé que le syndicalisme algérien libre, tout en combattant le régime colonialiste et l’exploitation capitaliste, se dresse contre le syndicalisme totalitaire de l’U.G.T.A. et qu’il est résolument engagé dans le combat pour le droit du peuple algérien à disposer de lui-même et pour le progrès social.

Mohammed El Djerah


Les résolutions votées

Parmi les résolutions adoptées que, faute de place, nous ne pouvons reproduire toutes, nous donnons ci-après celle où sont formulées les revendications des travailleurs algériens en France et la résolution sur l’industrialisation de l’Algérie :

Les revendications des travailleurs algériens émigrés

Le deuxième Congrès de l’U.S.T.A. déclare :

Appuyer l’action revendicative de la classe ouvrière française et approuve le vaste mouvement revendicatif de tous les travailleurs de France pour l’amélioration de leurs conditions de vie.

Rappelle les revendications particulières des travailleurs algériens émigrés :

1) Suppression de la discrimination raciale qui, en interdisant le poste de maitrise à la masse des travailleurs algériens, les empêche d’accéder aux qualifications des catégories supérieures à leur emploi.

2) Suppression de toutes les entraves racistes à la formation professionnelle accélérée des travailleurs algériens.

3) Interdiction au patronat du bâtiment de licencier les travailleurs algériens durant la période de l’hiver, afin qu’ils puissent bénéficier de la prime d’intempérie, alors qu’en général, les travailleurs français ne sont pas licenciés.

4) Suppression du délai de résidence pour avoir droit aux indemnités de chômage.

5) Un mois de congé payé annuel et garantie du maintien dans l’emploi après le retour.

6) Paiement du voyage France-Algérie après un an d’ancienneté.

7) Reconnaissance des fêtes musulmanes légales et fériées.

8) Respect du principe à travail égal, salaire égal.

9) Respect des garanties des contrats pour les travailleurs algériens poseurs de voies (employés par les entreprises travaillant pour la S.N.C.F.).

L’industrialisation de l’Algérie

Considérant que les rapports économiques entre l’Algérie et la France sont régis par le pacte colonial qui, depuis 1830, astreint l’Algérie à n’être qu’une source de matières premières et de débouchés pour les produits industriels métropolitains…

Considérant que cet état de choses a été préjudiciable à la situation sociale de l’Algérie dont l’accroissement démographique de plus de 250.000 humains chaque année aboutit à la constitution d’une masse de sans-travail de plusieurs millions, vivant dans la misère et dans les souffrances indicibles ;

Considérant que toutes les mesures prises jusqu’ici pour donner à l’Algérie une industrie ont été insignifiantes…

Considérant que cette situation a empêché l’industrialisation de l’Algérie et l’a condamnée à demeurer un pays arriéré sous-développé ;

Considérant que l’industrialisation de l’Algérie est une nécessité absolue et doit se poursuivre selon des plans minutieusement étudiés ;

Qu’elle doit s’orienter non seulement vers la création de grands complexes industriels, mais aussi vers la création de petites et moyennes entreprises ;

Considérant que l’édification économique de l’Algérie nouvelle doit intéresser les Algériens et les Algériennes ;

En conséquence, le deuxième Congrès déclare que toutes les réformes économiques de grande envergure, tel que le Plan de Constantine, étant décidées sans l’avis du peuple algérien, de ses représentants authentiques et de ses organisations syndicales libres, ne peuvent être considérées que comme l’expression d’un néo-colonialisme : ne pouvant avoir l’appui populaire, elles sont vouées a l’échec ;

Pour remédier à toutes ces erreurs, le deuxième Congrès de l’U.S.T.A. demande la constitution d’une commission économique et sociale permanente et dans laquelle les représentants qualifiés du peuple algérien et des organisations syndicales algériennes devront élaborer un plan envisageant le développement économique et le progrès social en Algérie.

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