Déclaration du Comité de liaison des trotskystes algériens paru dans L’Etincelle, n° 5, février 1979, p. 3-4.
Après deux mois de silence et de mensonges éhontés, l’appareil d’Etat reconnaît aujourd’hui que BOUMEDIENE, l’homme qui dans l’Etat actuel détenait tous les pouvoirs, est dans un état critique.
Tout le monde sait maintenant, qu’en tout état de cause, BOUMEDIENE ne pourra plus assumer la direction de l’Etat.
Tous s’accordent à le souligner : une atmosphère de tension et d’angoisse règne actuellement en Algérie.
Les appels officiels à resserrer les rangs autour des autorités politiques se multiplient.
Mais pourquoi donc la disparition d’un seul homme provoque-t-elle autant d’angoisse et de désarroi ?
La réponse est simple : parce que le régime algérien était bâti autour de lui et que la disparition du bonaparte ouvre la crise politique d’un régime dont tous redoutent l’issue en Algérie et sur l’ensemble du Maghreb, un régime dans lequel le peuple algérien n’avait aucun moyen de décider, ni même de faire entendre sa voix.
Mais quel était donc la fonction du régime fondé sur le pouvoir personnel sans contrôle et sur la coercition arbitraire de l’armée et de la police ?
Le régime bourgeois failli de Boumediene
Le putsch du 19 juin 1965, organisé par Boumediene s’appuyant sur son ANP contre-révolutionnaire, n’avait pour objectif d’instaurer un régime ni socialiste, ni populaire. Ses tâches étaient claires : réaliser — sur la base des accords d’Evian que toutes les fractions du FNL ont approuvés — les objectifs que la débile bourgeoisie algérienne et son premier tuteur Ben Bella n’avaient pu entièrement mener à terme : construire un Etat bourgeois.
La construction de l’Etat bourgeois supposait, au lendemain de l’indépendance, pour le moins : discipliner l’UGTA et l’UNEA, expulser les travailleurs et les paysans des positions occupées, dissoudre la première Assemblée nationale, abroger la première Constitution, vider le FLN et la JFLN de toute vie politique réelle, interdire toutes libertés démocratiques, bref confisquer les fruits du combat pour lequel le peuple algérien a sacrifié un million et demi de ses enfants au cours de sa lutte révolutionnaire d’indépendance nationale.
— C’est parce qu’il s’est appuyé sur l’ANP — à l’époque seule force contre-révolutionnaire homogène — et les forces de répression (gendarmerie, sûreté militaire, police) que BOUMEDIENE et son « Conseil de la Révolution » ont pu construire L’ETAT DE FAIT, l’Etat de la dictature militaro-policière, de l’arbitraire.
— Boumediene a eu beau déployer tous les efforts pour maintenir une chape de plomb sur le peuple algérien, les revendications fondamentales du peuple travailleur devaient inévitablement se manifester et utiliser pour s’exprimer les premiers signes apparents de la crise de l’appareil d’Etat.
— Depuis 1972, et surtout depuis la grève de la SNS-KOUBA de 1974, la classe ouvrière est entrée dans la lutte pour la défense de ses intérêts essentiels nourrissant la lutte des étudiants et de la paysannerie pauvre, et plus largement aujourd’hui du peuple opprimé.
Incapable de résoudre la crise économique, pris à la gorge par l’impérialisme toujours plus exigeant, BOUMEDIENE devait faire face à un puissant mouvement de masse.
Les grèves répétées des étudiants, la puissante vague de grèves ouvrières de mai-juillet 1977, les manifestations de jeunes et de ménagères, le refus de la paysannerie de passer par les organismes étatiques (CAPS) pour livrer les produits nécessaires au ravitaillement : tout cela traduisait le profond mécontentement de toutes les couches de la société algérienne face au régime.
Le refus des grévistes de la RSTA de discuter avec toute autre autorité que BOUMEDIENE en personne, comme les inscriptions murales apparues depuis septembre : « A BAS BOUMEDIENE ! », traduisaient le fait que le mécontentement généralisé de la population se concentrait contre l’homme détenant tous les pouvoirs, et incarnant le régime qui a confisqué le combat héroïque du peuple algérien pour son indépendance : pour le PAIN, la TERRE, les LIBERTES !
C’est cela qui est en jeu. C’est cela qui fait peur aux tenants de l’ordre bourgeois !
Certes aujourd’hui l’angoisse devant la crise prend une forme spectaculaire. Mais qu’on s’en souvienne.
Un régime ébranlé
Déjà, au cours de l’été 1974, une fraction de l’appareil d’Etat et de la bourgeoisie dirigée par MEDEGHRI-BOUTEFLIKA prônait la modification de la forme de domination de l’appareil d’Etat bourgeois et préconisait la tenue rapide d’un congrès extraordinaire du FLN (dont le dernier congrès s’est tenu en 1964 !) et la mise en place d’une Assemblée nationale.
Etouffée par le « suicide » de MEDEGHRI, la crise de l’été 1974 n’était, quant au fond, pas définitivement réglée.
L’appel des bourgeois ABBAS, BEN-KHEDDA, LAHOUEL, KHEREIDINE à « un débat public à l’échelle nationale pour l’élection au suffrage universel direct et sincère d’une ASSEMBLEE CONSTITUANTE et SOUVERAINE » en mars 1976 traduisait la volonté d’une fraction de la bourgeoisie de changer la forme de domination existante.
En faisant élire une Assemblée-croupion de béni-oui-oui, en se faisant plébisciter à la hâte par des « élections à l’algérienne » comme président de la République, en mettant en place une « Constitution » LUI donnant TOUS les pouvoirs (chef des armées, de la police, du gouvernement…), BOUMEDIENE ne faisait que différer les échéances.
La décision aujourd’hui du « Conseil de la Révolution » de prendre en main les rênes de l’appareil d’Etat balaie les mensonges des staliniens (Parti d’avant-garde socialiste) et du FLN qui ont tenté hypocritement de faire croire à notre peuple que la mise en place de ces institutions constituait un élément de démocratisation du régime.
En réalité, les choses sont aujourd’hui devenues claires pour tout le monde, il s’agissait d’une tentative de mystification du peuple algérien, d’une tentative de replâtrage d’un régime failli, ébranlé par les coups portés par les masses.
— Le « Conseil de la Révolution » (réduit par suite des épurations successives, des limogeages, des assassinats, des démissions, de 26 à 8 membres) mis en place par BOUMEDIENE au lendemain du putsch du 19 juin 1965 comme état-major de la dictature vient de déclarer :« Le pouvoir, c’est nous ! », violant ainsi la pseudo-Constitution qui prévoyait qu’en cas de décès, de démission ou de vacance du pouvoir, l’intérim serait assuré par le président de l’Assemblée populaire nationale, RABAH BITAT, qui aurait pour charge de convoquer un congrès du FLN et d’organiser de nouvelles élections.
Mais nous savons tous que BITAT n’est qu’un président fantoche d’une Assemblée-croupion et qu’il ne détient aucun pouvoir.
BOUMEDIENE « disparu », c’est l’appareil d’Etat tout entier qui risque d’être menacé. Alors les différents clans et cliques s’arment, s’observent et cherchent désespérément une issue à la crise.
Certains appellent à serrer les rangs autour du pouvoir politique, et à la vigilance. D’autres, « pour éviter les affrontements qui ouvriraient la voie aux ingérences étrangères », en appellent « à toutes les forces saines, qu ‘elles soient à l’extérieur ou l’intérieur de l’appareil d’Etat, pour peser de tout leur poids »…
Est-ce cela que veut le peuple algérien ? Est-ce pour cela qu’il a combattu et qu’il combat ? Assurément NON !
— Le peuple travailleur ne veut ni d’un autre BOUMEDIENE, ni d’un « BOUMEDIENE-COLLECTIF ».
Ce que veut le peuple algérien, c’est la satisfaction de ses revendications non satisfaites :
— LE PAIN, LA TERRE, LA RUPTURE DES LIENS DE SUBORDINATION AVEC L’IMPERIALISME !
Ce que veut le peuple algérien c’est : LA LIBERTE, TOUTES LES LIBERTES, LA PAROLE ET QUE NUL NE DECIDE A SA PLACE !
• LIBERTE DE PRESSE, LIBERTE DE REUNION, LIBERTE D’ORGANISATION !
• LIBERATION DE TOUS LES EMPRISONNES POLITIQUES !
• LIBRE RETOUR DES EXILES POLITIQUES !
C’est cela qu’ont exprimé les cheminots, les travailleurs de la RSTA et des docks. C’est cela que les travailleurs veulent : un syndicat totalement indépendant du pouvoir et du parti FLN. C’est pour cela que les militants trotskystes du CLTA ont lancé le mot d’ordre du CONGRES EXTRAORDINAIRE ET DEMOCRATIQUE DE L’UGTA.
C’est cela que veulent les millions de jeunes que le régime a jetés à la rue et au chômage.
C’est cela que veulent les millions de femmes bâillonnées et humiliées !
C’est cela qu’ont crié les manifestants d’AIN-BEIDA, qui ont scandé : « A BAS BOUMEDIENE ! » avant d’être assassinés par la mitraille !
C’est cela que réclament dans leurs geôles les prisonniers que les sinistres prisons construites par le colonialisme n’arrivent plus à contenir !
C’est cette exigence qui s’élève des mechtas, des douars, des campagnes et des villages !
Ce que le peuple algérien veut c’est :
DECIDER LIBREMENT DE SON SORT
en désignant ses représentants à une
ASSEMBLEE CONSTITUANTE SOUVERAINE.
Le combat du CLTA
Nous, militants trotskystes du CLTA, nous disons :
— la lutte pour l’indépendance nationale, menée depuis des décennies pour mettre fin à la subordination à l’égard de l’impérialisme, n’est pas terminée. Celle-ci ne peut être menée à bien jusqu’au bout que par la classe ouvrière algérienne rassemblant autour d’elle la paysannerie, la jeunesse, toutes les couches opprimées.
— que le mot d’ordre de la CONSTITUANTE SOUVERAINE lancé par le CLTA, dès 1974, est le mot d’ordre qui aujourd’hui peut centraliser le combat de toutes les masses algériennes contre le régime et son appareil d’Etat, pour les revendications non satisfaites.
— que, pour que ce combat se mène, le prolétariat doit préserver son indépendance politique et d’organisation par rapport à la bourgeoisie.
Cela signifie pour nous, combattants du socialisme et de la révolution prolétarienne, que la classe ouvrière a besoin de son propre parti, le parti ouvrier, le parti révolutionnaire, qui, pour nous trotskystes, trouve son expression la plus achevée dans le programme de la IVe Internationale.
Il faut en finir avec un régime fondé sur la subordination à l’impérialisme, l’oppression et le mensonge !
L’immense majorité du peuple algérien est victime de cette oppression et de ces mensonges.
C’est à cette immense majorité qu’il revient de décider d’imposer la satisfaction de toutes ses revendications.
CONSTITUANTE SOUVERAINE !
Alger, le 29 novembre 1978