Manifeste de la Junta organizadora del Partido Liberal Mexicano paru dans Le Réveil socialiste-anarchiste, n° 306, 13 mai 1911, p. 3-4.
Camarades,
Il y a environ quatre mois que le drapeau rouge du prolétariat flotte sur les champs de bataille du Mexique, soutenu par des travailleurs émancipés dont les aspirations se résument dans ce sublime cri de guerre : Terre et Liberté !
Le peuple mexicain est en rébellion ouverte contre ses oppresseurs et les propagandistes des idées modernes participent à l’insurrection générale. Ces derniers, convaincus de l’inefficacité des panacées politiques pour sauver le prolétariat de l’esclavage économique, ne croient pas à la bonté des gouvernements paternels ni à l’impartialité des lois élaborées par la bourgeoisie. Ils savent que l’émancipation des travailleurs doit être l’œuvre des travailleurs eux-mêmes, et ne comptent que sur l’efficacité de l’action directe. Ils méconnaissent d’ailleurs, le droit « sacré » de propriété, et n’ont empoigné les armes pour élever aucun maître, mais pour briser les chaînes du salariat. Ces révolutionnaires sont représentés par la « Junta organizadora del Partido Liberal mejicano » (51 9 1/2 E. th St., Cal., U. E. A.), dont l’organe officiel, Regeneracion, explique avec clarté les tendances.
Le Parti Libéral mexicain ne lutte pas pour faire tomber le dictateur Porfirio Diaz et mettre à sa place un autre tyran. Le Parti Libéral mexicain a pris part à l’insurrection actuelle avec la ferme intention d’exproprier la terre et les instruments de travail pour les remettre au peuple, c’est-à-dire à tous et à chacun des habitants du Mexique, sans distinction de sexe. C’est l’acte qu’il considère comme essentiel pour arriver à l’émancipation effective du Mexique.
Il y a également sous les armes un autre parti : le parti antiréélectionniste, dont le chef, Francisco I. Madero, est un millionnaire. Sa fortune a été créée et augmentée par la sueur et les larmes des travailleurs dans ses propriétés rurales. Ce parti lutte pour rendre « effectif » le droit de vote, et constituer, en somme, une république bourgeoise comme celle des Etats-Unis. Son caractère nettement politique et capitaliste le rend, naturellement, ennemi du Parti Libéral mexicain, parce qu’il voit dans l’activité des libéraux un danger pour le maintien de la république, qui garantit aux politiciens, aux chercheurs d’emplois, aux « riches », à tous les ambitieux, à ceux qui veulent vivre des souffrances et de l’esclavage du prolétariat la continuation de l’inégalité sociale, du régime capitaliste, la division de la famille humaine en deux classes : exploiteurs et exploités.
La dictature de Porfirio Diaz touche à sa fin, mais la Révolution ne cessera pas de ce seul fait ; sur la tombe de cette ignominieuse dictature, les deux classes sociales : celle des rassasiés et celle des affamés, resteront debout vis-à-vis l’une de l’autre et les armes à la main : la première prétendant à la prépondérance de ses privilèges, et la seconde à l’abolition de ces privilèges en instaurant un système qui garantisse à tout être humain le Pain, la Terre et la Liberté.
Cette formidable lutte entre les deux classes sociales au Mexique n’est que le premier acte de la grande tragédie universelle qui bientôt aura pour scène la surface de notre planète, et dont l’acte final sera le triomphe de la formule généreuse Liberté, Egalité, Fraternité que les révolutions politiques de la bourgeoisie n’ont pas réalisée.
Camarades du monde entier, la solution du problème social se trouve dans les mains des déshérités de toute la terre : elle n’exige que la pratique d’une grande vertu : la Solidarité.
Vos frères du Mexique ont eu le courage d’arborer le drapeau rouge, non pas pour une puérile démonstration dans les rues, où l’on a presque toujours quelques arrestations à déplorer, mais pour l’élever fermement sur le champ de bataille comme un défi à cette vieille société que nous cherchons à détruire pour fonder sur un terrain solide la nouvelle société d’Amour et de Justice.
Nos efforts, pour généreux et dévoués qu’ils soient, seraient anéantis par l’action solidaire de la bourgeoisie de tous les pays du monde. Seulement pour avoir vu le drapeau rouge sur les champs de bataille mexicains, la bourgeoisie des Etats-Unis a obligé le président Taft à envoyer 20,000 soldats à la frontière du Mexique et plusieurs navires de guerre dans les ports mexicains. Que font pendant ce temps les travailleurs du monde entier ? Ils se croisent les bras et contemplent comme sur une scène les personnages et les péripéties de ce terrible drame, qui devrait émouvoir tous les cœurs, soulever toutes les consciences, faire vibrer intensivement tous les déshérités de la terre et les mettre debout comme un seul homme.
De l’agitation ! C’est le suprême recours du moment. Agitation individuelle des travailleurs conscients ; agitation collective des sociétés ouvrières et de celles de la Libre-Pensée ; agitation dans la rue, au théâtre, dans le tramway, dans les centres de réunion, dans les foyers, partout où il y aura des oreilles disposées à nous entendre, des consciences capables de s’indigner, des cœurs que l’injustice et la brutalité du milieu n’ont pas encore endurcis ; agitation au moyen de lettres, manifestes, feuilles, conférences, meetings, par tous les moyens possibles, afin de faire comprendre la nécessité d’agir avec rapidité et énergie en faveur des révolutionnaires du Mexique, qui ont besoin de trois choses importantes : de la protestation mondiale contre l’intervention des puissances dans les affaires mexicaines, de travailleurs conscients décidés à propager les doctrines d’émancipation sociale parmi les inconscients, et de l’argent pour soutenir la Révolution Sociale au Mexique.
Camarades, faites réimprimer ce manifeste, faites-le traduire dans toutes les langues et faites-le circuler partout. Demandez à la presse ouvrière de l’insérer dans ses colonnes. Lisez Regeneracion et envoyez votre obole à la « Junta organizadora del Partido Liberal Mejicano », 51 9 1/2 E. 4 th., St., Los Angeles, Californie, U. E. A.
Notre cause c’est la vôtre : c’est la cause du sombre esclave de la glèbe, du paria de l’atelier et de l’usine, du galérien de la marine, de tous ceux qui souffrent comme nous de l’iniquité du régime capitaliste. Si vous demeurez inactifs quand vos frères reçoivent la mort en agitant le drapeau rouge, vous porterez avec votre inaction un rude coup à la cause du prolétariat.
Vous êtes maintenant renseignés sur la Révolution sociale au Mexique. Que vous faut-il pour agir ? attendez-vous que ce généreux mouvement soit écrasé, pour faire retentir vos protestations, qui alors seront impuissantes pour ressusciter ceux de vos frères, les meilleurs, tombés, et pour ôter des cœurs le découragement qu’occasionnerait l’insuccès, insuccès que vous-mêmes aurez préparé par votre indifférence ?
Il faut y penser, camarades, et il faut agir vite, sans perdre de temps, avant que votre aide n’arrive trop tard.
Il faut bien comprendre dans quel danger nous nous trouvons, en face de tous les gouvernements du monde, qui voient dans le mouvement mexicain l’apparition de la Révolution Sociale, la seule que craignent les « puissants » de la Terre.
Camarades : faites votre devoir.
Donné par la Junta organizadora del Partido Liberal Mejicano, en la Ciudad de Los Angeles, California, U. E. A., le 3 avril 1911.
RICARDO FLORES MAGON. — ANTONIO DE P. ARAUJO. — LlBRADO RlVERA. — ANSELMO L . FIGUEROA . — ENRIQUE FLORES MAGON