Article paru dans Tribune algérienne, n° 1, novembre 1974, p. 8-10
A l’invitation du F.L.N., une délégation du P.C.F. conduite par MARCHAIS a séjourné en ALGERIE du 11 au 15 septembre 1974.
Précisons le cadre et le caractère de ce voyage, le contenu de l’accord P.C.F.-F.L.N. et ses premières retombées.
UN TOURNANT A 180°
Après le putsch de BOUMEDIENNE, le P.C.F. et l’O.R.P. caractérisaient le régime algérien de « dictature bureaucratique, anti-constitutionnelle, antipopulaire et antidémocratique ». En 1968, le P.C.F. apportait son aide ouverte au P.A.G.S. qui condamnait dans ses publications clandestines le régime illégal, antiouvrier et obscurantiste de BOUMEDIENNE. D’où l’absence de tout contact entre le P.C.F. et le F.L.N., la C.G.T. et l’U.G.T.A. Ce qui ne veut pas dire que la C.G.T. aidera l’émigration ouvrière en FRANCE. Au contraire, pendant les grèves qui vont éclater à partir de 1970 dans des petites entreprises, puis à GIRASTELL, PENARROYA (1971), à RENAULT-BILLANCOURT (janvier 1971), à RENAULT (LE MANS), SIMMERFER à LOUVIERS, à FOS, dans le Nord… la C.G.T. s’est à chaque fois mobilisée pour casser le mouvement et l’isoler. On connaît également la passivité du P.C.F. devant le projet de circulaire FONTANET-MARCELLIN.
En juillet 1972, lors des cérémonies du Xe Anniversaire de l’indépendance, KANAPA, un des membres de l’appareil international du KREMLIN en FRANCE, se rend à ALGER. Il s’agissait d’harmoniser la politique du P.C.F. avec celle de BREJNEV en pleine lune de miel avec les régimes bourgeois arabes du Moyen-Orient : SYRIE, IRAK, EGYPTE. Le tournant commence. On passe d’une analyse « critique » à un soutien « critique », puis de plus en plus ouvert en 1973, où les voyages de SEGUY et de délégation de la C.G.T. et du P.C.F. se sont multipliées en ALGÉRIE, tandis que la collaboration entre l’U.G.T.A., l’A.G.T.A., le P.C.F. et la C.G.T. se faisait plus étroite.
Un bond a été franchi avec le voyage de MARCHAIS qui à son retour a déclaré que la rencontre F.L.N.-P.C.F. était « historique ».
MARCHAIS, COMMIS-VOYAGEUR DE GISCARD
L’invitation faite au P.C.F. date de juillet 1972 et sera renouvelée en 1973. Alors pourquoi ce voyage de MARCHAIS en septembre ?
« LE MONDE » du 4 septembre publiait un article de P. BALTA, qui indiquait que GISCARD acceptait l’invitation faite par BOUMEDIENNE le 2 septembre de se rendre en ALGERIE entre le 15 et 30 mars 1975, et précisait le calendrier des relations franco-algériennes, tant sur le plan économique (« journées franco-algériennes » organisées par le C.N.P.F. et ABDESSELAM, Ministre algérien de l’Industrie et de l’Energie) que sur le plan politique (voyage de GISCARD à ALGER).
Pourquoi de telles rencontres ? C’est que pour la première fois, la balance commerciale française s’est inversée en faveur de l’ALGERIE par suite des importations de pétrole, et que pour M. SEGARD « cela nous impose donc d’exporter encore plus que par le passé. C’est une nécessité absolument vitale ».
C’est dans ce contexte précis et pour préparer le voyage de GISCARD comme l’expose nettement AFRIQUE-ASIE du 7 octobre, que MARCHAIS est tout d’abord venu en ALGÉRIE. Et cela explique en partie l’accueil réservé.
UN ACCUEIL DE CHEF D’ETAT
Toute la presse d’ALGER a souligné l’accueil exceptionnel réservé à MARCHAIS. Dans l’HUMANITE du 16/9, R. LAMBOTTE souligne le fait que BOUMEDIENNE a « consacré à MARCHAIS quatre heures d’entretien en deux visites, que cinq ministres ont été présents à la réception offerte le 12 et que pour la première fois, le dirigeant d’un parti étranger a été invité à s’adresser aux cadres du F.L.N. et des organisations de masses algériennes et à engager avec eux un large débat sur tous les aspects de la politique des deux partis et sur la façon d’appréhender les grands problèmes de la situation internationale. »
De son côté, nous dit AFRIQUE-ASIE, MARCHAIS « a eu des accents de l’homme d’Etat qu’il pourrait devenir si la coalition de la gauche arrivait un jour au pouvoir. »
Le voyage de MARCHAIS s’inscrit bien dans la politique de défense de l’économie menée par le P.C.F. et dont une des clés est la coopération franco-algérienne qui s’inscrit elle-même dans un cadre plus large : celui de la reconstitution de l’Union française.
LE CONTENU DES ACCORDS F.L.N.-P.C.F.
Le texte souligne largement l’orientation anti-impérialiste commune de la politique extérieure : reconnaissance de 1’O.L.P., respect des accords de PARIS sur le VIETNAM, neutralisation de la Méditerranée…
Mais là n’est pas l’essentiel, BOUMEDIENNE avait besoin du P.C.F. pour apporter une caution démocratique et socialiste à son régime et d’autre part pour contrôler l’émigration en FRANCE.
Sur le premier point, le P.C.F. approuve « la décentralisation démocratique qui confère de très larges pouvoirs aux assemblées élus dans les communes et les villayas », alors qu’il s’agit d’élections préfabriquées pour des assemblées régionales sans pouvoir réel.
De plus, le P.C.F. est impressionné « par l’expérience originale de gestion socialiste des entreprises » qui est un accord corporatiste.
Sur ce point AFRIQUE-ASIE écrit que MARCHAIS en a discuté avec les responsables de l’U.G.T.A. et du F.L.N.
« On ne saurait qu’être attentif à cette expérience, déclarait-on au sein de la délégation française, puisque le problème du pouvoir dans l’entreprise se pose maintenant en FRANCE et qu’il est extrêmement utile d’étudier de près la charte algérienne. »
Cela est clair. Il s’agit de ligoter les travailleurs par des accords d’entreprise dans le cadre d’un régime où la bourgeoisie détient l’essentiel des moyens de production et l’appareil d’Etat.
MARCHAIS va plus loin et considère que le régime actuel « s’est engagé résolument dans la construction d’une société socialiste. »
Sur ce point, que le F.L.N. considérait comme essentiel, « Révolution Africaine » du 20 septembre 1974 écrit :
« La plus importante (question), oui ou non, l’ALGERIE s’engage-t-elle dans la voie du socialisme. A cela la délégation a carrément répondu par l’affirmative, tout le reste vient après. »
Sur l’émigration, le P.C.F. s’engage résolument à travailler avec l’A.G.T.A. pour contrôler les travailleurs en FRANCE.
Ces deux points sont complémentaires. Le régime BOUMEDIENNE en pleine crise avait besoin du P.C.F. pour consolider son pouvoir branlant. De son côté, MARCHAIS comprend que la faiblesse de la bourgeoisie et de l’Etat algérien impose le contrôle plus strict d’une émigration qui se lie de plus en plus au combat des travailleurs. L’accord P.C.F.-F.L.N., un accord contre-révolutionnaire dirigé contre la classe ouvrière algérienne des deux côtés de la Méditerranée. Qu’en pensent les militants du P.A.G.S. qui se souviennent de tous les textes publiés par le P.C.F., l’O.R.P. et le P.A.G.S. depuis 1965 ?
Nous publierons d’ailleurs dès le prochain numéro des extraits de textes de ces organisations sur ce problème.