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Jimmy Lallement : Ni dieu, ni maîtresse

Article de Jimmy Lallement paru dans Le Frondeur, n°5-6, automne 1980


Il est assez notoire que les surréalistes, les révolutionnaires, n’ont pratiquement pas parlé de leurs aventures érotiques, de manière assez suggestive, malgré leur admiration pour D.A.F de Sade. Il y a là pourtant d’immenses possibilités de jeu, certainement les plus centrales pour la subversion du quotidien. Les jeux érotiques sont cantonnés à des livres érotiques (ou se voulant tels, car dans cette expression actuelle je ne vois guère que René Charvin qui dont le style et la précision me fassent bander : c’est un critère).

La recherche du raffinement érotique dans le jeu des corps, échafaudages de tendresses et suppléments pour l’orgasme, n’est pourtant en rien inconciliable avec la recherche et la construction de l’amour fou ; mais son indispensable constituant. Le Marquis nous indiqua le chemin, à chacun de nous de le reprendre et de l’expérimenter, débarrassé des perversions maladives et de la logique de tout pouvoir.

Il n’ est bien sûr pas question de dresser au grand jour un catalogue de chaque aventure amoureuse, sauf par accord des partenaires s’il y a lieu ; en ce sens que la vie personnelle de chaque prolétaire, durement conquise contre les mœurs dominantes, fait partie de ses habitudes, de son unicité, et n’a pas à être livrée en pâture aux rackets policiers, ni alimenter le cycle archétypal, le marché de l’image au détriment de l’expérimentation.

Mais inversement, une fausse-pudeur sur ce point décisif de l’existence entretient également le cimetière des passions, la reconduction des mœurs aseptisées, banalisées, interchangeables. Dans ce modus vivendi les féministes sont passées maîtresses es-dératisation, et rejoignent parfaitement ainsi leurs complices phallocrates (dont elles ne sont le plus souvent que l’autre aspect, au féminin).

Nous sommes quelques-uns, prolétaires pour la plupart, qui persistons malgré le décervelage (car le cerveau participe aussi à la construction érotique) ambiant à dire très fort que faire l’amour est peu de chose sans la tendresse. Les féministes ont opposé au pouvoir des mâles un contre-pouvoir : le leur ; et dans ce conflit d’attitudes réifiées la spontanéité n’a pas été réinventée.

L’acte d’amour, l’érotisme, avec son inséparable tendresse est une situation. La monotonie ici tue la passion : mes souvenirs parmi les plus beaux sont ceux qui sortent des stéréotypes en ce domaine : il nous faut inventer d’autres habitudes là comme ailleurs, indissolublement de notre combat pour la libération totale.

Dans les premiers moments d’une passion amoureuse, les amants, emportés par le fleuve étincelant de leur amour naissent, font les premières fois l’amour sui generi. Mais dans ce domaine comme dans l’ensemble de leur relation amoureuse (et une relation amoureuse digne d’un tel nom est un foyer insurrectionnel) il faut savoir entretenir la passion, la démultiplier, par son combat contre l’aliénation.

L’érotisme est aussi une recherche, comme l’ensemble du combat pour la liberté. Il est sans doute ainsi (avec la chasse) le temps privilégié de l’aventure humaine, son épaisseur possible, le moment où la sublimation est éventrée, l’inconscient en mouvement d’abolition.

Faites l’amour avec amour, avec tout vous-mêmes. Vous n’avez pas un corps, vous êtes un corps. Le cerveau en est une partie : copuler aussi avec lui. Dans l’orgasme, les ondes prennent la totalité de l’être.

J’affirme pour ma part être prêt à faire l’amour n’importe où, y compris dans la rue (je l’ai fait). Je suis tout prêt à la construction de moments érotiques, de ces instants-soleils où le désir est paré des ors de la construction de situations. Il n’ y a là nulle froide programmation, mais bien plutôt l’introduction consciente d’un jeu parmi et dans nos habitudes amoureuses (que je vous souhaite poétiques).

Aux phallocrates, qui urinent dans la femme, petits bitoloques en quête de records de puissance homologués, s’opposent les vaginocrates, tristes femelles qui sous prétexte de libération, dépoétisent, enlaidissent, mécanisent le rapport sexuel. Dans la lutte de leurs pouvoirs respectifs et que je ne respecte pas, je ne suis concerne que dans la stricte mesure ou ils me font tous chier avec leur étroitesse de sens dans l’aliénation.

J’ai connu des militantes féministes (il y en a, encore un stade suprême de chaos sexuel) qui refusaient certains habits (bas ou bijoux) ou certaines pratiques (coït buccal principalement), croyant ainsi faire preuve de libération. J’ai connu des phallos ne pas se soucier du plaisir de leur partenaire, de ses goûts ou recherches érotiques. TRISTES AMANTS DU CREPUSCULE DU MONDE MARCHAND ! Loüys eut plaint ces pauvres désamourés, et Sade les eut tancés d’importance !

Tout ce qui embellit le corps et son mouvement, tout ce qui met en valeur un être, tout ce qui entretient la passion, amplifie le plaisir, ne saurait être laissé de côté. N’avoir d’autre règle que le plaisir… Le pouvoir, tous les pouvoirs , toutes les idéologies et leurs valets, en sont ses bourreaux.

Je n’ai nullement voulu ici dire du neuf ou de l’inédit ; je n’entends pas non plus réécrire quelque nouvelle philosophie dans le boudoir. Mais je tiens à clamer ma quête de tendresse, d’amour fou, d’insurrection, à la face de tous les fossoyeurs de la beauté et de l’érotisme, quels qu’ils soient.

J’ai l’habitude d’avoir des ennemis.

« Je vous souhaite d’être follement aimée » (André Breton).

Jimmy LALLEMENT

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