Article de Mercedes Comaposada paru dans Terre libre, n° 32, juin 1937
Le problème de la prostitution dans le régime capitaliste que nous voulons détruire nous atteint tous, au moins dans un de ses divers aspects. L’honnête ébéniste qui crée des meubles de luxe se prostitue, de même que se prostitue l’étudiant qui cultive ses aptitudes avec l’argent de sa famille qu’il croit honnête ; comme se prostitue le poète qui donne du prix à ses poésies. Le problème de la prostitution est de tous et atteint tout le monde. Si nous sauvons l’esprit, c’est au prix d’une vente matérielle, et réciproquement. Dans une économie capitaliste il ne peut en être autrement, déjà que sa base même c’est la grande prostitution, l’exploitation entre humains qui ôte toute possibilité de se libérer. Mais les hommes oublient facilement leurs fautes et voient celles du prochain. Ainsi s’explique que, parlant de la prostitution, l’on se réfère exclusivement à la misère de quelques femmes qui, pour subsister, sont obligées de vendre leur corps.
Nous savons tous les tristes conséquences de ce commerce : contagion de maladies héréditaires, transformation de la femme en une chose atrophiée moralement et spirituellement. Nous connaissons tous l’humiliation de la tragique vente, et si nous ne collaborons pas directement avec elle, nous sentons aussi la nécessité de sa rapide suppression. Tout être conscient s’est indigné quelques fois de cette institution admise par les hommes de justice, défendue par les écrivains de notre siècle d’argent et propagée vulgairement comme l’unique et la plus facile solution du problème sexuel.
L’homme a besoin du contact sexuel, mais non d’une maladie vénérienne. L’homme a besoin du parfait contact sexuel, qui n’admet pas le simulacre de l’une des deux parties. Et l’homme a besoin d’une large communion dans l’échange des esprits et du sang. L’homme a besoin d’un esprit et il doit se le forger lui-même, aujourd’hui qu’il n’y a plus de Dieu, pour s’occuper de ces individualités. C’est l’œuvre indispensable, profondément révolutionnaire. Attendre qu’un décret « supprimant » la prostitution résolve le problème est assez ingénu. Il ne suffit pas de fermer les lupanars ni d’empêcher les attentes dans la rue, ni d’adopter des mesures plus ou moins sanitaires. C’est dans l’âme humaine que l’on doit détruire la prostitution, où l’on doit la clore définitivement.
Dépasser l’état animal, avec le complément spirituel de la chair et des os, c’est en cela que réside la formule saine et véritable des relations d’homme à femme. Elles sont déjà nombreuses les femmes « propres » qui obéissent à un contrôle spirituel de féminité. C’est à l’homme qu’incombe la tâche de détruire les erreurs, d’enterrer les préjugés qui rendent impossible l’harmonie dans la réalisation des désirs, et maintiennent, d’autre part, toute la misère de quelques vies prostituées en entier.
De la même façon que nous transformons l’économie et que l’éducation nous préoccupe – deux voies fondamentales pour empêcher de nombreux aspects de la prostitution – nous devons éclairer, jusque dans ses racines, le problème de la relation des sexes pour arriver à supprimer positivement cet autre aspect de la prostitution humaine que constitue la prostitution de la femme.
Mercedes COMAPOSADA.
(Tierra y Libertad, 2-1-1937.)