Déclaration parue dans La Quatrième Internationale, n° 21, septembre 1967, p. 8 et dans Voix ouvrière, n° 88, 19 septembre 1967, p. 3-4
Nous, Front démocratique palestinien et Organisation socialiste israélienne, avons publié notre premier manifeste commun sur la récente crise au Moyen-Orient le 3 juin, avant l’attaque israélienne (le texte intégral a paru dans le « Times » du 8 juin). Nous y avons défini notre position de principe internationaliste à l’égard de l’histoire, de la situation antérieure à la guerre et de la guerre imminente. A présent nous réaffirmons notre première déclaration et y ajoutons une seconde, définissant notre position au sujet de la situation créée par cette guerre.
La guerre israélo-arabe est liée au conflit planétaire
Le phénomène politique prédominant de notre époque est la lutte des peuples des continents non industrialisés – Asie, Afrique et Amérique latine – pour se libérer de la domination politique et économique des puissances impérialistes industrialisées. Tout autre phénomène politique doit s’apprécier en premier lieu d’après sa relation à ce conflit planétaire. Dans ce contexte il n’est guère douteux que la récente guerre au Moyen-Orient et son issue ont servi les intérêts de l’impérialisme dans la région et à travers le monde entier. Peut-on disjoindre les conséquences de l’attaque israélienne de l’anéantissement du combat anti-impérialiste en Indonésie ou de l’intervention américaine au Vietnam ? Il est évident, par exemple, d’après une déclaration récente du général de Gaulle, que même les impérialistes ne pensent pas que ce soit possible.
Une lutte juste, des dirigeants opportunistes
Durant les derniers mois qui ont précédé cette guerre, la politique anti-impérialiste du gouvernement syrien est entrée en un conflit d’une acuité croissante avec les monopoles du pétrole au Moyen-Orient. Cette toile de fond politique a permis à Israël de lancer une attaque aérienne sur la Syrie le 7 avril et de menacer la Syrie d’une invasion militaire. Nasser, qui guide de manière opportuniste les intérêts et les sentiments anti-impérialistes des masses arabes dans les voies du nationalisme, s’est trouvé forcé, sous la pression des circonstances, de soutenir le régime syrien contre cette menace. De plus, les monopoles américains du pétrole en Arabie Séoudite, craignant que les anti-impérialistes du Yémen et d’Aden ne remportent la victoire et ne lèsent leurs intérêts, ont fait de leur mieux pour jouer, l’un comme l’autre, l’Egypte contre Israël, de manière à affaiblir le soutien de Nasser aux anti-impérialistes dans le sud de l’Arabie. Nasser, étant un nationaliste et un opportuniste, n’a pas hésité dans ces circonstances à signer un pacte avec Hussein, marionnette bien connue de l’impérialisme, ignorant les contradictions entre les deux régimes et leurs objectifs. Pis encore, il a eu recours à la propagande raciste contre la population israélienne. En tant qu’internationalistes, nous soutenons pleinement la lutte des masses arabes pour la libération politique, économique et sociale contre la récente agression et toute autre attaque ; ceci ne signifie pas que nous soutenions les dirigeants nationalistes qui se proposent de mener cette lutte. Nous aimerions rappeler à ceux qui accordent un soutien acritique à pareils dirigeants nationalistes les exemples de Tchang Kaï-chek, d’Atatürk et de Soekarno. La lutte pour une véritable libération politique et sociale ne peut être remportée que par une direction internationaliste fidèle à ses principes.
La politique de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie arabes mène à l’échec
Après la première guerre mondiale, le chérif Hussein et ses fils Fayçal et Abdallah (grand-père de Hussein et son prédécesseur sur le trône hachémite) ont promis aux masses arabes de réaliser l’indépendance en servant l’impérialisme britannique. Entre les deux guerres mondiales, Hadj Amin el-Husseini, Fawzi el-Kaukji et d’autres encore (et durant la seconde guerre mondiale Rachid Ali el-Gailani, le général Aziz el-Misri et d’autres) ont tenté de le faire en servant les intérêts du nazisme et du fascisme italien (certains dirigeants nationalistes surnommaient même Mussolini « Saïf el Islam »). Maintenant on nous demande de croire que les nationalistes – les nassériens, les baasistes et la gauche nationaliste qui traîne derrière eux – mèneront cette lutte jusqu’au bout et accompliront même une révolution socialiste. La récente alliance « panarabe » du « progressiste » El-Attassi, de l’anti-impérialiste Nasser, du pro-impérialiste Hussein et du raciste Choukairy n’est que trop conforme au modèle des échecs précités.
Le sionisme politique a partie liée à l’impérialisme
Quant à la direction sioniste d’Israël, nous avons déjà indiqué dans notre première déclaration que l’alliance entre le sionisme politique et les impérialismes ottoman, puis britannique et aujourd’hui américain, n’a pas été fortuite. Le sionisme politique, par son passé colonialiste et en raison de ses principes politiques ségrégationnistes, a un intérêt vital dans la préservation de l’influence impérialiste au Moyen-Orient et s’est comporté comme partie intégrante du système politique impérialiste. Le sionisme politique s’est toujours aligné contre la lutte de la population autochtone de Palestine pour se libérer de la domination étrangère. Le pacte entre Weizmann et Fayçal (1921), le pacte secret entre Ben Gourion et Abdallah (1949), sa participation à l’agression de Suez et l’attaque qui vient d’avoir lieu, ne sont que les points saillants d’une seule et même politique que la propagande raciste des radios du Caire, de Damas et d’Amman a permis – dans le cas le plus récent – de déguiser en politique défensive. Tandis que cette propagande a fait croire à la population israélienne qu’elle luttait pour sa survie, les dirigeants sionistes d’Israël se sont saisis de l’occasion pour réaliser leur vieux rêve d’expansion territoriale. Cette politique d’annexion de territoires nouveaux, spécialement de la ville de Jérusalem, n’est pas nouvelle. Elle a toujours figuré de manière latente parmi les objectifs sionistes, et on pouvait s’attendre à ce qu’elle se manifeste dès que l’occasion s’en présenterait. Le nationalisme arabe lui a fourni cette occasion.
Cette manche de la lutte anti-impérialiste peut être résumée par la constatation que la population israélienne se trouvait alignée derrière une mauvaise direction du mauvais côté de la barricade, tandis que les peuples arabes étaient alignés derrière une mauvaise direction du bon côté de la barricade.
Aucune paix n’est concevable avec un Etat ségrégationniste
Les internationalistes à l’intérieur d’Israël doivent expliquer inlassablement qu’il ne peut y avoir aucune paix ni normalisation des relations avec le monde arabe tant que l’Etat est aligné aux côtés du système impérialiste. Les masses arabes finiront par balayer tout dirigeant et toute politique – arabe ou autre – qui soutient l’impérialisme. Qui plus est, tant qu’Israël maintiendra sa politique sioniste ségrégationniste à l’égard des Arabes tout bavardage au sujet de la « paix » restera une hypocrisie ou au mieux une tentative de s’abuser soi-même. Aucune normalisation des relations n’est possible avec une politique ségrégationniste et pro-impérialiste. Une « paix » qui serait un diktat ou une « pax americana » avec Hussein ne constituent pas un remède à ce conflit. Le recul temporaire de la lutte encaissé par la lutte anti-impérialiste suite à cette guerre ne tardera pas à être surmonté et la lutte sera reprise avec une vigueur nouvelle et sous une meilleure direction. Il ne peut y avoir aucune coexistence entre l’impérialisme et le mouvement anti-impérialiste, il est même douteux qu’il puisse y avoir un répit. La politique sioniste et pro-impérialiste des dirigeants israéliens n’éveille pas simplement l’hostilité de l’un ou l’autre leader arabe, mais celle de la population entière du monde arabe. Cet antagonisme fondamental ne peut être surmonté par des victoires militaires.
Les nationalistes arabes ont trahi leur juste cause
Les internationalistes au sein du monde arabe doivent expliquer sans désemparer que l’on ne peut compter sur la direction nationaliste pour mener une lutte résolue contre l’impérialisme, qu’elle est toujours tentée de rechercher des compromis ou d’avoir recours à une politique opportuniste, comme l’a démontré le pacte Nasser-Hussein ; qu’en ayant recours à une propagande raciste cette direction commet un crime contre la lutte anti-impérialiste ; qu’en empruntant à l’impérialisme son idéologie et sa morale pour atteindre ses propres buts, elle compromet par avance et elle souille ses objectifs. Les appels de Choukairy au massacre de tous les Juifs, femmes et enfants compris, lancés par la radio du Caire, ne sont pas quelque « défaut mineur » que nous pouvons maintenant oublier. Même la Syrie, que certains considèrent comme l’Etat arabe le « plus progressiste », a parlé de destruction d’Israël en « négligeant » de mentionner ce qui adviendrait de la population juive. Nous ne pardonnons en aucun cas pareils crimes et nous nous refusons à nous abstenir de les dénoncer pour des raisons tactiques. Ceux qui agissent ainsi causent un grave dommage à la lutte anti-impérialiste. Quant à Israël, toute tentative des nationalistes arabes de détruire cet Etat par la force ne peut que consolider la population israélienne tout entière derrière la direction sioniste. Israël sera transformé de l’intérieur par ses propres internationalistes antisionistes qui rejoindront en temps voulu les rangs des internationalistes du monde arabe dans une lutte commune contre l’impérialisme et pour établir une république authentiquement socialiste à travers le Moyen-Orient.
Pas d’annexions ni de « bantoustan » palestinien
Face à la situation engendrée par l’attaque israélienne, nous disons :
1. – Nous nous opposons à toutes les annexions territoriales réalisées par cette guerre, mais nous trouvons nécessaire de souligner que la racine du conflit au Moyen-Orient n’est pas de nature territoriale ; les racines du problème résident dans l’existence d’une structure de pouvoir ségrégationniste et pro-impérialiste en Israël qui a dépossédé un peuple entier de ses droits humains et politiques ainsi que dans l’incapacité ou se trouve la politique nationaliste arabe de résoudre ce problème.
2. – Une paix dictée par les Israéliens, une « Pax Americana » entre Israël et Hussein, qu’elle soit publique ou privée, et d’autres arrangements occidentaux similaires ne pourront résoudre le conflit entre Israël et les Etats arabes mais seulement le différer.
3. – La création d’un « Bantoustan » sioniste pour les Arabes palestiniens tout en maintenant la politique ségrégationniste à leur égard ne résoudra pas davantage le « problème palestinien » qu’un Bantoustan sud-africain ne peut résoudre les problèmes résultant de l’existence d’un Etat raciste en Afrique du Sud.
Pour une solution internationaliste
La seule solution viable consiste en :
1. – L’abolition complète de toutes les mesures ségrégationnistes des sionistes vis-à-vis des Palestiniens (ce qui inclut la mise en œuvre de leur droit au rapatriement) et la transformation d’Israël en un Etat représentatif de sa propre population.
2. – La participation active d’un Israël non sioniste à la lutte anti-impérialiste du peuple arabe.
3. – La possibilité pour les Palestiniens de décider eux-mêmes de leur sort politique.
Sachant que les dirigeants actuels des deux côtés n’ont aucune intention de mettre en œuvre ces solutions, nous ne doutons guère que le conflit subsistera tant que ces régimes resteront au pouvoir. A tous ceux qui se bercent de leurs propres illusions nous disons : il n’est pas de salut aux problèmes des peuples par une politique qui consiste à maintenir, tacitement ou ouvertement, des mesures de suprématie économique, sociale, raciale ou nationale d’un groupe de personnes contre un autre.
Le Front Démocratique Palestinien.
L’Organisation Socialiste Israélienne.
Rome, le 28 juin 1967.
NOTA : Nous avons emprunté les intertitres à notre confrère belge « La Gauche ».