Editorial paru dans La Jeune Garde, organe des Jeunesses Socialistes de la Seine (S.F.I.O.), 2e année, n° 14, numéro spécial, 5 février 1937, p. 1
La permanence du fascisme est un fait. En février 1934 la violence a fait échec, mais replié sur lui-même, le phénomène n’a pas cessé de vivre et de préparer les conditions favorables à un développement futur.
La classe ouvrière, en alerte après les journées de février, comprenait la nécessité de s’unir contre un ennemi commun. Mais nous avons souvent affirmé devant les provocations fascistes qui n’ont cessé vraiment que depuis mai dernier, la nécessité de donner à cette unité d’action une expression positive, par la création d’organismes techniques capables de répondre automatiquement à la violence par la violence.
Cependant, il y a quelque chose de changé. Le fascisme a senti la force du barrage constitué par la classe ouvrière, liée aux classes moyennes. Le Front Populaire apportant des espérances d’améliorations matérielles, donnant au pays la possibilité de profiter de la reprise mondiale, obligea le fascisme à modifier sa tactique.
Ce que sait bien le fascisme, paravent du grand capital, et que nous ne devrions jamais oublier, c’est que, dans le régime présent, la prospérité (assez relative, du reste) ne peut durer et que son aboutissant sera obligatoirement une nouvelle crise plus aiguë que celle dont nous semblons sortir.
Le fascisme attend cette heure et s’y prépare. Il se souvient sans doute de l’expérience d’Allemagne des années 1923-1928, au cours desquelles le renflouement de l’économie capitaliste allemande n’a fait qu’accroître la misère et faciliter la conquête des classes moyennes, réagissant contre une situation qui les plaçait au niveau du prolétariat.
Les espérances du fascisme français sont les mêmes. Le capitalisme travaille lui-même à accélérer cette exaspération des classes moyennes, en cherchant à les éliminer économiquement en recherchant à renforcer la puissance des trusts par la création d’Ententes Industrielles.
Il cherche d’autre part à diminuer la puissance de la classe ouvrière en exigeant, comme contre-partie à sa sagesse momentanée, la paix sociale.
D’autre part, le fascisme se terre dans les casernes. Il est à la tête de l’armée. Il façonne l’esprit, la conscience des soldats. Il appelle à l’union, pour mieux briser au moment voulu, par la force, la résistance du prolétariat, abandonné des classes moyennes.
C’est pourquoi l’heure de l’offensive socialiste est venue. Notre lutte au sein du Front Populaire avait un sens concret. Il fallait barrer la route à la réaction. Il fallait gagner du temps et souder à la classe ouvrière ceux qui ne s’en séparent qu’en raison de préjugés et d’illusions bourgeoises. Nous avons à détruire ces illusions de prospérité et de progression ou plutôt nous avons à donner à ces faits leur juste signification.
La démagogie fasciste guette des catégories sociales particulières : les chômeurs, les classes moyennes, la jeunesse. Il faut éviter l’isolement du prolétariat et il doit pour cela conserver son influence sur toutes ces couches sociales.
Au moment où les contradictions capitalistes s’étant aggravées, nous serions conduits à la débâcle définitive, il serait trop tard pour ouvrir aux masses des perspectives nouvelles. C’est le fascisme qui leur apporterait un exutoire à leur désespoir.
Il faut agir contre le fascisme. Ne nous enfermons pas dans la prison de la conservation sociale. Ce sont des perspectives révolutionnaires qui doivent entraîner les travailleurs dans la lutte. Pour défendre simplement le peu qui a été conquis, il faut repartir en tout moment. Aujourd’hui, la lutte contre le fascisme n’a de sens que si elle oblige le capitalisme à un recul. Nous défendrons notre pain, en opposant aux manœuvres patronales, le poids du contrôle ouvrier ; notre liberté, en liant plus que jamais les soldats au peuple et en montrant à tous, par l’exemple, que « l’émancipation des travailleurs ne peut être que leur œuvre propre. »