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Le césarisme à nos portes

Article paru dans La Révolte, organe communiste-anarchiste, première année, n° 30, du 21 au 27 avril 1888, p. 1

L’histoire ne se répète pas. Mais des conditions semblables amènent à des résultats semblables. Et c’est ce que nous voyons aujourd’hui ; 1848 renait à quarante années de distance ; et de nouveau nous avons le bonapartisme, le césarisme, sur les bras.

En 1848, les prolétaires de Paris donnaient trois mois de misère au service de la république bourgeoise. Et au bout de ces trois mois, ne voyant rien venir, dégoûtes des radicaux plus ou moins socialistes, les uns saisissaient le fusil contre la république bourgeoise ; tandis que les autres, – la foule, la masse désespérée, acclamait le César qui lui promettait le socialisme gouvernemental ou, du moins, des victoires au dehors, du travail à l’intérieur.

Si à celle époque, il s’était trouvé un parti assez sérieux pour avoir une idée plus avancée que la république du suffrage universel ; si une idée plus grande avait été lancée, ceux qui laissaient égorger les insurgés de juin et criaient Vive Bonaparte le long des boulevards se seraient ralliés au mouvement. La révolution commençait.

Mais, quelle idée pouvait lancer cette Montagne tout aussi âpre à la curée que les autres ? cette Montagne qui cherchait à ménager la chèvre et le chou ? qui vivait de souvenirs jacobins de 1793, de fables convenues sur le jacobinisme de 1793 ?

Elle fut inepte, impuissante ; et le Césarisme vint, promettant au bourgeois la curée, au travailleur la reprise des affaires et un vif intérêt pour la question sociale.

Et la France subit la honte du second Empire, la curée des rastaquouères, la maison publique de Compiègne, l’orgie des millionnaires, l’écrasement de Sedan.


Et maintenant, le Césarisme s’annonce de nouveau dans des conditions semblables. Une maladie profonde, un cancer qui gagne jusqu’aux parties que l’on croyait saines.

De nouveau, comme en 1848, le travailleur est las de cette république des épiciers : des Limouzin-Wilson, des voleurs tonquinois, des marchands de décorations, des tripoteurs en chemins de fer, canaux, emprunts. Il est las de voir cette curée de la haute pègre sous le masque de la République.

Il a longtemps attendu qu’une parole sérieuse lui vint des partis avancés. Mais qu’a-t-il trouvé ?

De piètres radicaux, ne demandant tous qu’une seule chose : celle de partager le pouvoir et les places avec les épiciers installés en haut lieu par Gambetta.

Des socialistes ne demandant qu’à être admis aux rangs des épiciers, à gouverner comme eux, soit au parlement, soit au conseil municipal.

Des révolutionnaires dont l’idéal ne va pas plus loin que le césarisme jacobin.

Un parti ouvrier qui, après avoir prêché Commune, s’est mis à prêcher Municipalité, et qui, aujourd’hui au moment où toutes les libertés de la France sont menacées, où le cri de Vive la Commune révolutionnaire eût été la seule conclusion logique de tout ce qu’ils avaient prêché jadis et la seule digue à opposer au flot montant du Césarisme – ne trouve rien à dire sinon prêcher l’alliance avec les côtelettes de Ferry pour s’opposer au bonapartisme qui s’annonce.

Montagne en 1848 ! rien que la Montagne, cachant toujours la redingote sous la blouse dont elle s’affuble.


Car, ne nous y trompons pas, c’est le bonapartisme qui nous envahit.

Qui est ce Boulanger après lequel on court dans le Nord, à Paris, à Lyon ? Qu’est-ce qu’il représente ?

La révision de la Constitution, répond-il. Mais dans quel sens ?

– LA RÉVISION PLÉBISCITAIRE, celle que représentait Napoléon en 1848. Oui, la révision plébiscitaire : la présidence acclamée par le plébiscite.

Que Monsieur Rochefort ne dise pas non ! C’est le plébiscite en faveur de Boulanger qu’il organise. Que Madame Séverine – son ennemie hier, son alliée aujourd’hui, – ne prenne pas ces airs de pitié pour Boulanger : le Cri du Peuple s’attelle déjà au char du césarisme plébiscitaire.

Le plébiscite, l’élu du peuple, le César, – voilà ce qu’ils prêchent tous : le Laguerre, ami de Portalis, le blanquiste Susini, le journal de Rochefort et des blanquistes et tant d’autres !

Ils sont d’ailleurs dans leurs rôles. Qu’ont-ils jamais demande si ce n’est un gouvernement fort ? Qu’ont-ils jamais voulu sinon la dictature acclamée ou subie par le peuple ?

Le Césarisme, c’est leur idéal de gouvernement. Ils sont dans leur rôle en chauffant le Nord pour leur candidat.


La cheville ouvrière de tout ce mouvement, c’est le petit boutiquier. Il ne veut pas que la grosse finance s’enrichisse pendant que lui se ruine. Toujours jacobin, il veut un gouvernement fort pour tenir le travailleur sous son talon. Toujours chauvin, il veut que la France se mesure avec l’Allemagne, qu’elle voie si ses sept millions de fusils valent les sept millions de fusils allemands.

Et le peuple travailleur ? Il est las de ces farceurs, des bourgeois plus ou moins peints de rose et il se dit : « N’importe quoi au lieu de ce marais où nous croupissons, où nous étouffons, où nous devons languir sans travail, sans moyens d’existence ! »

Eh bien non ! Nous ne voulons pas de ce « n’importe quoi ! » Nous savons ce que nous voulons. Et nous savons que ce n’importe quoi, c’est le césarisme.


Point de césarisme !

Dans les villes – la Commune communiste et anarchiste : elle le sera de par la nécessité des choses.

Dans les campagnes – la terre à celui qui la cultive ! Un bon coup de balai aux paresseux qui possèdent un tiers de la France.

Partout – à bas l’hypothèque, à bas les titres de dettes, à bas la rente du loyer !

Et, puisque guerre il y aura, – armement de tout le peuple, confié au peuple lui-même, s’organisant lui-même pour la défense, et prenant là où il y a pour nourrir, vêtir et loger l’armée populaire, le travailleur armé.


Et, si peu nombreux que nous soyions, si nous lançons ce cri de guerre aux bourgeois, – ce cri trouvera écho auprès du travailleur et du paysan opprimé. Il ralliera les masses.

Mais – le temps presse. Et si nous le perdons, César est à nos portes, suivi de son cortège de plumitifs vendus, de financiers véreux et de femmes galantes – cortège qui va grossir ces jours-ci de toute la haute et basse pègre en redingote.

– Vous n’avez pas voulu de la Révolution Sociale – vous aurez César ! écrivait Proudhon. Aujourd’hui encore ils acclameront un César pour éviter la Révolution.

Eh bien, non, c’est la Révolution Sociale que nous opposerons au Césarisme.

Et nous vaincrons, nom de Dieu !

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