Article de Kurt Landau paru dans Le Communiste, n° 6, juillet 1932, p. 4-8
Le Président du Reich, Hindenburg, après avoir chassé le gouvernement Brüning le 29 Mai dernier, l’a remplacé par la dictature du militaire Schleicher et du hobereau von Papen. Cette dictature a dissous le Reichstag qui venait d’exprimer sa confiance en Brüning, et, après de longues hésitations a décidé les élections pour le 31 Juillet. Certainement la dictature n’obtiendra qu’avec peine une majorité parlementaire le 1er Août malgré le régime de terreur imposé à la population. La dictature militaire ne s’en soucie pas ; elle a déclaré qu’elle resterait au pouvoir durant 2 ou 4 années. Elle n’hésitera pas plus dans l’avenir que dans le présent, à violer la constitution du Reich et à instituer un régime dont la méthode de gouvernement sera le coup d’état. Née d’un coup d’état, en violation de l’article 48 de la constitution, elle s’écroulera par un nouveau coup d’état, celui des fascistes qui, pour l’instant la tolèrent et dont elle doit satisfaire les prétentions ; à moins que le prolétariat n’ait la force suffisante pour rejeter ces différents représentants de la domination bourgeoise.
Hindenburg – Brüning – Loebe
La misérable capitulation des derniers dignitaires de la démocratie bourgeoise et du système parlementaire, ne peut que hâter l’arrivée de ce coup d’état. Il est évident que le régime Brüning, après avoir introduit la dictature en Allemagne depuis le 18 Juillet 1930, a [frayé], avec l’aide de la Social-démocratie, la voie à une dictature fasciste ultérieure. Il n’y a pas eu la moindre tentative de résistance parlementaire dans la social-démocratie à la manière lamentable et honteuse dont les « démocrates » ont été chassés par le président Hindenburg qui était leur propre élu. La social-démocratie et le centre catholique ont craint par dessus tout de mettre en mouvement la classe ouvrière par une attitude d’opposition ouverte à la dictature militaire. Cela montre le vide parfait de cette « opposition démocratique » qui maintenant bombarde la dictature militaire avec des boules en papier.
L’attitude du Parti Communiste devant le Coup d’Etat
On ne peut assimiler la formation du régime Schleicher-Papen à un changement quelconque de gouvernement. La dictature des junkers représente une tentative d’utiliser l’équilibre des forces entre le fascisme et le prolétariat pour, appuyée sur le fascisme, établir la domination de la Reichswehr et des gros propriétaires fonciers. L’industrie lourde se trouve naturellement en cette noble compagnie, mais ce n’est pas elle qui donne le ton ; ce sont les junkers [qui] jouent les premiers violons et dont les intérêts sont prépondérants. A la différence du gouvernement Brüning qui gouvernait sans le Reichstag avec l’assentiment de celui-ci, le gouvernement Schleicher-Papen est un gouvernement anti-parlementaire et l’a reconnu ouvertement dans sa proclamation.
Un parti véritablement révolutionnaire devait utiliser le coup d’état pour appeler immédiatement les masses à l’action. Le 30 et le 31 Mai il n’y avait aucune ambiguïté dans l’esprit des masses ; elles attendaient des mots d’ordre ; mais notre parti dormait. D’un ton pédantesque, la Rote Fahne rappela à la classe ouvrière qu’il ne fallait pas oublier le moyen de la grève politique de masses, et puis … le parti attendit ce qui allait arriver. Et il n’arriva rien. Le parti n’avait pratiquement pas la possibilité de conduire la classe ouvrière à la bataille. Pour guider les ouvriers des usines il faut avoir une influence dans les corporations ; et il est maintenant avéré que ce n’est pas la R.G.O. (Centrale Syndicale Rouge) qui puisse résoudre cette tâche.
Il ne reste donc plus qu’une seule possibilité : les dirigeants communistes et révolutionnaires doivent se mettre en rapport avec toutes les organisations ouvrières, spécialement les organisations corporatives, leur montrer la terrible gravité de la situation, et essayer avec elles de provoquer des actions de masse : grèves de protestation, démonstrations, etc. mais il est reconnu comme plus révolutionnaire de rester dans l’attente et de déclamer sur la trahison du parti social-démocrate et des syndicats réformistes plutôt que de prendre soi-même l’initiative d’une action de combat commune.
Où conduit la Dictature Militaire ?
Les junkers et les généraux ne sont pas dépourvus d’une ironie mordante. Ils ont déclaré avoir renoncé à un programme propre et se conformer aux faits. Mais si la dictature ne présente pas de programme écrit, elle n’en possède pas moins un programme concret qui se résume en la phrase suivante : « Aucun sacrifice n’est trop grand pour que le peuple allemand conserve la propriété foncière traditionnelle ». Sans doute, les junkers sont en pleine banqueroute avec leurs champs de seigle ; et il n’existe pas d’art gouvernemental pour transformer cette banqueroute en une exploitation florissante. C’est pourquoi il faut les subventionner et encore les subventionner. Ils ont besoin de milliards dans les assurances chômage : leur abolition est un but capital du nouveau gouvernement. En général le régime de Novembre 1918 doit être liquidé : plus de suffrage universel plus de politique sociale si modeste soit-elle ! plus de droit de coalition, plus aucun « décombre révolutionnaire » : telle est la pensée politique des junkers.
Pour suivre cette voie réactionnaire, la dictature militaire doit s’appuyer sur une forte base hors du parlement. Par là elle est tombée dans une dépendance presque complète du fascisme ; le centre, qui doit tenir compte de ses grosses masses ouvrières, lui refuse même une neutralité bienveillante. Cette protection du parti national-socialiste coûte cher, elle deviendra d’autant plus chère qu’elle grandira. Maintenant Hindenburg doit se résoudre à supprimer l’interdiction des troupes d’assaut bien que l’existence de l’armée privée de Hitler ne soit pas spécialement agréable au gouvernement militaire.
En politique extérieure le gouvernement suit les traces de l’industriel Arnold Rechberg, le roi de la potasse, qui poursuit le rapprochement avec la France à l’aide de la subordination militaire de l’Allemagne à l’impérialisme français et d’une alliance militaire qui dirigera sa pointe en première ligne contre l’Union soviétique, et en seconde ligne contre les Etats Unis. Papen, l’ex-attaché militaire à Washington représente à ce point de vue tout un programme. Les barons prussiens pensent d’abord faire la guerre à l’Union soviétique avec l’aide française, ensuite, tourner les armes contre le système de Versailles. Cette politique extérieure porte tous les signes du brillant aventurisme de l’école de Guillaume II. Elle est aventureuse même au point de vue de l’impérialisme allemand et renferme les germes d’une catastrophe pour lui-même.
De la crise Economique à la Crise Politique
Il n’en va pas du tout, comme l’écrit le sage Thalheimer : « Derrière les junkers banqueroutiers, dit-il, il y a les intérêts inflationnistes, toute la canaille capitaliste », (Contre le courant 12-4-VI 1932). La dictature militaire n’est pas l’expression de la bourgeoisie unifiée, mais celle de l’hégémonie des junkers et de leurs intérêts particuliers sur l’intérêt général de la bourgeoisie allemande. Ce n’est pas par hasard que les feuilles économiques et commerciales, sont en parfaite opposition avec le gouvernement. La politique douanière des junkers les amènera très prochainement à ressentir la diminution des marchés d’écoulement. Ce n’est pas non plus par hasard que les pays du sud, Bavière et Wurtemberg, se dressent menaçants contre le gouvernement. Le petit paysan du sud se rebelle contre le junker prussien, et la renaissance du séparatisme annonce la crise étatique à laquelle l’hégémonie des junkers mène l’Allemagne bourgeoise.
Ce n’est pas une masse réactionnaire unifiée qui s’oppose comme un rempart au prolétariat mais « un agglomérat d’intérêts » maintenu par un conflit d’intérêts aigus avec d’autres couches bourgeoises. Chaque pas de la dictature militaire accentue cette contradiction et c’est une tâche importante pour la classe ouvrière de suivre son développement et de subordonner à sa direction, par une politique de classe constante et active les masses travailleuses et petites-bourgeoises qui sont à la remorque des partis bourgeois engagés dans ce conflit d’intérêts.
La Dynamique du développement fasciste
Le fascisme s’est développé à un mouvement accéléré. Il a encore largement renforcé ses positions dans l’Oldenbourg et le Mecklembourg. Ce n’est pas son programme, mais sa réclame criarde, sa bruyante opposition contre le régime des décrets-lois, le régime d’impositions, de misère et de faim pour les masses, qui ont attiré des millions de petits bourgeois, de paysans, et souvent aussi de sans travail. A présent le fascisme est entré dans une nouvelle étape – Pour la première fois il domine un gouvernement, et un gouvernement qui le force à laisser au magasin des accessoires son programme révolutionnaire de transformation sociale. Pour la première fois les conditions sont favorables pour démasquer le rôle de laquais que joue le fascisme vis-à-vis des pires réactionnaires. C’est pour cette raison que le fascisme va accentuer les traits les plus terroristes de sa politique, épouvanter ses adversaires, entraîner ses troupes et faire un pas en avant malgré ses contradictions de plus en plus criantes. Il est fallacieux de dire que le fascisme par son alliance avec la dictature militaire sera nécessairement démasqué et affaibli. Il ne le sera seulement que dans la mesure où on réussira à briser son terrorisme par une véritable action de masse. Alors les contradictions de sa politique éclateront et le fascisme reculera.
Où mèneront les nouvelles élections ?
Le vote du 31 Juillet sera dirigé par le gouvernement et ses sbires fascistes sous le signe de la terreur la plus ouverte contre la classe ouvrière. Malgré cela il est difficile d’admettre que la terreur réussira à transformer la minorité actuelle du bloc contre-révolutionnaire de droite, en majorité naziste. Il est beaucoup plus vraisemblable que les partis de la démocratie bourgeoise (social-démocratie, centre, parti d’État) et le parti de la classe ouvrière, le parti communiste auront une majorité en face de ce bloc réactionnaire. Il n’est pas du tout impossible que l’extraordinaire acuité de cette lutte électorale anime et mette en mouvement les masses travailleuses qui suivent encore les partis de la démocratie bourgeoise. La pression fasciste engendrera des réactions chez les ouvriers réformistes et chrétiens.
Le 1er Août, la dictature militaire aura vraisemblablement en face d’elle un Reichstag dont la majorité sera contre elle, que fera-t-elle ? Il n’y a que deux issues : ou bien « corriger », le résultat du 31 Juillet par une dissolution de l’Assemblée et une accentuation toujours plus grande de la terreur fasciste, ou bien tout de suite après le 31 Juillet accomplir le « gros coup d’état à l’exemple du roi Yougo-slave en décembre 1926 – Mais comment réagiront les masses qui auront été secouées par le 31 Juillet ? Verront-elles d’un œil quiet la dictature militaire conduire aux méthodes de l’autocratie avouée ? Il n’est pas impossible qu’au vote du 31 Juillet succède une étape où se développera une lutte entre le Reichstag et la dictature militaire, certes une lutte entre le Reichstag et la dictature militaire, certes une lutte peu sérieuse mais qui, par son insuffisance montrerait clairement aux masses à la remorque des partis de démocratie bourgeoise que ce n’est pas avec des méthodes parlementaires qu’on peut lutter contre le fascisme et la dictature.
A situation nouvelle, tactique nouvelle
Le parlementarisme intéressait diablement peu les masses tant qu’il se réduisait à une auto-castration de la majorité parlementaire en faveur de l’article 48. En échange de cette castration, il ne restait rien à la classe ouvrière. Maintenant la possibilité existe de renverser la situation du fait que la démocratie bourgeoise s’appuyant sur le prolétariat pourrait opposer une majorité parlementaire à la dictature militaire ; elle essaierait de se défendre par ses méthodes à elle, parlementaires, s’il arrivait que les masses se mettent en mouvement. Dans une pareille situation, le parlementarisme peut, avant de subir le coup de grâce du fascisme, ou avant d’être supprimé par la classe ouvrière, trouver pour un temps une certaine signification, très fugitive d’ailleurs. Une telle situation exige du parti révolutionnaire une tactique souple. Elle doit établir le lien avec les masses qui sont encore loin d’être communistes mais qui sont prêtes à aller dans la rue et à lutter pour la démocratie contre les « auteurs de coups d’état ». Le parti doit savoir saisir ces dispositions, les développer, et les incorporer dans un grand mouvement de masses extra-parlementaire contre le fascisme. L’essentiel est que les masses ouvrières se mettent en mouvement. Le plus grand danger est l’engourdissement où se trouvent actuellement les couches révolutionnaires par suite de la lamentable politique de notre parti, permettant au réformisme de retenir les masses dans ses filets.
Il faut en finir avec la « ligne générale »
Le Comité central essaye d’imprimer une nouvelle direction, à droite cette fois, à son vieux cours banqueroutier. Pour amener un changement de la situation politique il faut abandonner les vieilles positions faillies et montrer au jeune parti de masses révolutionnaires la voie de retour à Lénine – Le résultat catastrophique des élections de Hesse où le parti a perdu 24.000 voix tandis que la social démocratie en gagnait, montre en évidence que cela ne peut plus continuer.
Kurt LANDAU