Catégories
presse

Kurt Landau : Au lendemain des élections législatives allemandes

Article de Kurt Landau paru dans Le Communiste, deuxième année, n° 7, 1er septembre 1932, p. 10-11

LES élections au Reichstag du 31 Juillet ont valu un gros succès parlementaire au P.C.A. Depuis les dernières élections de 1930, il a pu encore s’accroître de 700.000 voix. Les grandes pertes subies au mois d’avril (élection présidentielle, élections au Landtag de Prusse) se trouvent donc entièrement compensées. 5, 3 millions d’ouvriers et d’ouvrières ont voté pour le P.C.A. L’afflux de nouvelles masses considérables au P.C.A. au cours de ces élections a prouvé que l’avance des Nazis sur le front prolétarien se trouve actuellement immobilisée. Par contre dans les campagnes et dans les petites villes, le fascisme est toujours en progrès ; les petites pertes dans quelques villes industrielles de l’ouest sont contrebalancées par des gains puissants (Wurtemberg) acquis dans les rangs des classes non prolétariennes. Hitler, déjà favorisé par l’élection présidentielle du 13 avril, voit maintenant sa situation renforcée de 300.000 voix. En réalité les gains sont plus grands, car une grande partie des Nationaux allemands qui n’avaient pas présenté de candidat, votèrent le 13 avril pour Hitler contre Hindenburg. Cependant aux élections au Reichstag du 31 Juillet les Nationaux allemands ont obtenu plus de deux millions de voix. Dans son ensemble le camp de la contre-révolution (Nazis, Nationaux allemands, parti populiste allemand, et quelques partis réactionnaires disséminés) réunit 17 millions de voix, c’est-à-dire 2 millions et demi de voix de plus qu’aux dernières élections législatives de 1930.

Le front républicain bourgeois, le camp de Weimar, exception faite pour le parti d’Etat a maintenu ses positions. Bien que son aile gauche, la social-démocratie, ait perdu un peu plus d’un demi million de voix, il s’avère que le point culminant de la crise du parti S. D., qui se situe entre Août et Septembre 1931, a été depuis longtemps franchi. Depuis les élections du Landtag de Prusse, la S. D. a fait de remarquables progrès. Quant à ses pertes aux récentes élections législatives, elles ont été tout à l’avantage du Parti Communiste.

Le Centre et le parti populiste bavarois sortent renforcés de la lutte du 31 Juillet. De ce fait le front républicain bourgeois subit une inclinaison vers la droite, car la « Démocratie autoritaire » de Brüning n’a à peu près rien de commun avec la « Démocratie de Weimar. »

Le succès électoral du Parti Communiste fut une surprise autant pour les adversaires du Parti que pour le Parti lui-même. Succès qui procède essentiellement des facteurs suivants : premièrement, la capitulation de la Social-Démocratie en face du coup d’Etat du 20 Juillet a profondément aigri le prolétariat et amené au Parti Communiste les masses ouvrières qui hésitaient entre le P. C. et la S. D. En second lieu, les nouvelles mesures sociales réactionnaires prises par la dictature militaire, n’ont eu pour effet que de renforcer l’esprit extrémiste des masses.

Le succès électoral a provoqué un véritable délire chez les chefs du P.C.A. Ainsi le Volksecho, (Echo du peuple) organe du P.C.A. dans la province Berlin-Brandenburg, et qui est actuellement en vente à la place de l’organe suspendu, la Rote Fahne, écrit :

« La victoire électorale du 31 Juillet constitue une poussée décisive de l’action anti-fasciste. »

La force du parti et de l’action anti-fasciste qu’il dirige, ayant été évaluée, d’après les méthodes du Réformisme, selon le nombre des bulletins de vote, le résultat électoral est donc aussitôt proclamé « une poussée décisive de l’action anti-fasciste. » 24 heures après cette victoire électorale, l’affirmation des chefs du P.C.A. fut nettement démentie par les faits. Aux résultats électoraux, le fascisme a répondu en multipliant ses actes de terrorisme ; les poignards et les casse-tête ont été remplacés par des obus à main et des bombes incendiaires. En Prusse orientale, en particulier à Koenigsberg, dans le Schleswig-Holstein, en Haute-Silésie, dans le Braunschweig, dans toute l’Allemagne, immédiatement après les élections, le Fascisme organisé fit assassiner une série de chefs communistes et social-démocrates. La force du P.C.A se révéla insuffisante pour susciter la grève générale, au moins dans les centres de la guerre civile fasciste tel que Koenigsberg. La tentative d’organiser le 1er Août, à Berlin, sur le Potsdamerplatz une manifestation illégale contre la guerre, échoua complètement ; des 400.000 membres organisés de la section berlinoise du Parti, il en était à peine venu 200.

Le succès électoral du 31 Juillet n’a démontré ni la force du P.C.A., ni la justesse de ses directives, mais uniquement révélé la profonde déception des masses ouvrières, leur tendance à l’extrémisme et leur sympathie pour le communisme. Le 31 Juillet a démontré au Parti combien il pourrait être puissant, s’il s’entendait, au moyen d’une politique réfléchie, à diriger ces millions d’ouvriers aigris dans un mouvement de masses contre le fascisme. Jamais encore le contraste entre la puissance parlementaire du parti et sa capacité d’action n’a été si éclatant.

Aujourd’hui plus de cinq millions d’ouvriers parmi lesquels, la majorité des ouvriers conscients, au cœur de l’Allemagne industrielle, dans la Ruhr, ont leurs regards fixés sur le P.C. : Le Parti saura-t-il maintenant rassembler la classe ouvrière pour organiser la résistance au Fascisme ? Les exemples de l’histoire, l’inébranlable volonté de lutte de la classe ouvrière allemande qui s’est manifesté le 31 Juillet, offrent une dernière grande chance au Parti Communiste Allemand. Gare à lui et à la classe ouvrière, si le parti laissait échapper cette dernière occasion.

Cinq jours avant les élections, le comité central du Parti Communiste Allemand s’est réuni pour rédiger une circulaire adressée aux membres du Parti. Il faut le dire très clairement et très franchement : si ses chefs parviennent à mener le parti sur le chemin prescrit dans la circulaire, rien ne pourra plus préserver celui-ci de la plus honteuse catastrophe. Voici les thèses sur lesquelles se basent les nouvelles directives :

1) La dictature fasciste est d’ores et déjà établie ; il serait illusoire d’attendre encore une bataille décisive ;

2) Le soutien social de la dictature fasciste est la social-démocratie. Elle est social-fasciste. Toutes ses actions ne cessent de soutenir activement la dictature fasciste ;

3) L’espoir de déclencher un mouvement contre le fascisme par des mesures prises en commun avec la S. D. et les syndicats libres est dangereux. Offrir un appui en ce sens à la S.D. et aux Syndicats libres ne revient qu’à désarmer le prolétariat.

Nous n’avons jamais cessé de nous élever contre la folie de pareilles directives, que le comité central du Parti Communiste Allemand reprend maintenant à nouveau, dans la circulaire qui donne une image entièrement fausse de la situation.

Il est évident que la dictature militaire arrivée au pouvoir par le coup d’Etat du 29 Mai et qui par un nouveau coup d’Etat a fait main basse sur les pouvoirs en Prusse, est essentiellement différente de la dictature parlementaire de Brüning. Mais cette dictature militaire ne saurait être confondue avec la dictature fasciste. Elle représente un régime transitoire, qui n’est pas soutenue par des masses, mais qui s’appuie en premier lieu sur la Reichswehr et non pas sur des partis. Elle veut avec l’aide du fascisme maintenir la classe ouvrière dans ses chaînes, liquider la Démocratie bourgeoise et décomposer ses partis (social-démocratie et centre) ; elle espère qu’une fois ces buts atteints, elle s’incorporera le fascisme qui aspire au monopole politique. Il est clair qu’un tel régime ne peut avoir qu’un caractère transitoire dans un pays tel que l’Allemagne où les masses sont organisées en grands partis politiques. On ne saurait longtemps gouverner avec la Reichswehr contre la classe ouvrière. C’est ce que les premières semaines de la dictature militaire n’ont pas tardé à prouver. Le gouvernement Schleicher-Papen n’a fait que céder une position après l’autre au fascisme, parce que ce gouvernement serait trop faible contre les masses ouvrières sans l’appui des armées de terreur de Hitler.

Mais le Fascisme ne peut se contenter des concessions partielles que le gouvernement lui a accordées ou songe encore à lui accorder. Les élections du 31 Juillet ont précisément démontré que ses réserves sociales, dont il tirait toujours de nouvelles forces au moyen de sa démagogie, sont bien près d’être entièrement épuisées ; son irruption dans la classe ouvrière est actuellement paralysée, car le soutien de la dictature militaire et la résistance anti-fasciste ont déjà commencé à ouvrir les yeux à ses contingents prolétariens. Devant une telle situation, le fascisme est forcé de s’emparer du pouvoir avant que ses conflits intérieurs n’éclatent au grand jour avec toute leur acuité. Telle est également la direction que prennent les forces capitalistes qui déterminent la politique fasciste, et qui considèrent l’anéantissement politique du mouvement ouvrier comme la condition d’un abaissement décisif de la situation matérielle du prolétariat. Pour cette raison le fascisme a déclenché au lendemain des élections une nouvelle offensive de terreur, inaugurant ainsi sa lutte pour la conquête du pouvoir. Une coalition avec le gouvernement Schleicher-Papen sera peut-être la prochaine étape sur le chemin de la lutte fasciste pour le pouvoir.

En face d’un situation d’une gravité si exceptionnelle, le Parti Communiste Allemand se laissera-t-il vraiment émasculer par ses chefs défaillants ? Acceptera-t-il sans protester le joug d’une politique qui mène tout droit à l’anéantissement du parti ? Le danger d’une telle évolution est grand et l’optimisme de Trotski, selon lequel le tournant du centrisme, à l’heure du danger est inévitable (Et maintenant ?) n’est absolument pas motivé.

Mais des symptômes indiquent que dans le parti des forces révolutionnaires se rassembleront, se ressaisiront à temps pour le sauver de la catastrophe. La Direction du Parti avait entrepris, un jour après les élections, c’est-à-dire au milieu de l’enthousiasme de la victoire, de briser les courants de l’opposition de gauche dans l’un des plus grands districts ouvriers de Berlin (Prenzlauer-Berg). Cependant le 1er Août, au cours de la réunion du parti dans ce district, la gauche prit ouvertement position contre les fausses directives du Parti et, malgré les illusions électorales, on vit des éléments importants du parti, en particulier les camarades des exploitations publiques approuver leur protestation. Ce n’est là, en effet qu’un succès minime et peu apparent. Mais il n’en est pas moins un signe symptomatique, qui prouve que ni les défaites du parti ni ses victoires inattendues ne saurait tromper ce solide petit cadre qui s’est formé au sein du Parti Communiste Allemand au cours de dix ans de lutte sous le signe de l’Opposition de gauche.

10 Août 1932.

KURT LANDAU.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *