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Kurt Landau : Communisme et réformisme sous la dictature d’Hitler

Article de Kurt Landau alias Wolf Bertram paru dans Le Communiste, Nouvelle Série, n° 2, 1er septembre 1933, p. 4-6

Cet article est personnel à son auteur et doit servir à la discussion sur l’Allemagne.


Le processus de décomposition s’est déclenché plus tard dans dans la social-démocratie que dans le P.C.A. Mais le résultat final est fondamentalement différent dans l’un et dans l’autre.

Le coup d’Etat fasciste du 28 février était dirigé avant tout contre le P.C.A. Les millions de votants communistes n’étaient ni politiquement ni organisatoirement en position de livrer une bataille décisive. Il en était de même des organisations militaires du parti. Pourtant la direction du parti, déjà le 18 juillet 1930, depuis le passage de Brüning à la dictature parlementaire, avait déclaré que la dictature était instituée. Cet aveuglement politique ne poussa pas seulement le parti à la catastrophe, mais il retomba cruellement sur les dirigeants eux-mêmes. Le fascisme les tira de leur lit pour les jeter dans les camps de concentration et dans les caves de torture, car, dans leur aveuglement politique, les dirigeants du parti, la bureaucratie stalinienne, ne fut pas moins surprise que le parti qu’elle menait. Cela paraît incroyable si l’on pense que déjà un mois avant le coup d’Etat fasciste, s’était formé le gouvernement Hitler-Hugenberg dont tout marxiste devait savoir qu’il conduisait inévitablement soit au coup d’Etat fasciste, soit à la Révolution prolétarienne.

Un exemple de la méconnaissance de la proximité de la bataille décisive nous est fourni par un marxiste aussi remarquable que Trotsky. Ainsi, il écrivait immédiatement après la formation du gouvernement Hitler-Hugenberg :

« A cette nouvelle étape de l’évolution de la crise sociale en Allemagne correspond la nouvelle combinaison gouvernementale dans laquelle les postes militaires et économiques restent aux mains des seigneurs, tandis que les postes décoratifs et secondaires sont laissés aux plébéiens … Toutefois, l’écrasement et l’extermination de l’avant-garde prolétarienne, les fascistes ne doivent pas l’accomplir autrement que dans les limites tracées par les représentants agrariens et industriels. » (Vérité, n° 142, 16-11-1933. Souligné par nous W. B.).

Trotsky croyait sérieusement que les rapports de force du 30 janvier entre le bonapartisme et le fascisme pouvaient être durables, il croyait même que les bonapartistes avaient encore un poids si décisif qu’ils pouvaient même instituer une dictature militaire sans fascistes (« … on ne saurait exclure complètement l’éventualité de voir les hautes couches sociales en cas de rupture avec les nazis, essayer à nouveau de reculer dans la voie présidentielle-bonapartiste ».) Il ne voyait pas que le rapport de forces du 30 janvier devait se modifier d’heure en heure en faveur des fascistes qui désormais mettaient au service de la conquête du pouvoir une partie décisive du pouvoir d’Etat, en plus de leurs positions puissantes et de leurs organisations en marge du gouvernement. A l’époque où Trotsky se forgeait encore de nouvelles illusions, nous écrivions ce qui suit :

« … Au sein de la contre-révolution, dont les forces globales ne se sont aucunement fortifiées ces derniers mois, le poids du fascisme est devenu beaucoup plus grand que le bloc féodal national-allemand ne l’aurait cru possible il y a six mois. Le 13 août encore et à la mi-novembre, Hindenburg pouvait refuser à Hitler ce qu’il est à présent obligé de lui accorder. Cela montre que le fascisme a fortifié ses positions d’une façon décisive … Aujourd’hui, le fascisme est à la tête de la force policière d’Allemagne et de Prusse ; il se sert des moyens de pouvoir d’Etat ainsi que de ses propres forces armées pour l’engagement avec le prolétariat. » (Der Kommunist, Berlin, février 1933, n° 3).

Les illusions étaient incomparablement plus grandes encore dans les rangs du Parti qui ne croyait pas du tout à un choc total des forces de classes, mais à une fascisation graduelle de l’Etat.

Les organisations militaires du parti étaient les plus décomposées en face du combat. Les tendances à la terreur individuelle s’étaient développées depuis des années dans ces organisations qui furent alimentées par le parti et les syndicats rouges en 1930-31. Plus le parti était incapable d’organiser des actions de masse du fait de son isolement par rapport aux usines, plus cette tendance à la terreur individuelle croissait dans les sections d’autodéfense qui ne comprenaient que des cadres très réduits. Le point maximum fut atteint le 22 janvier avec la marche des fascistes devant la maison de Karl Liebknecht. Malgré des efforts désespérés, le Parti ne réussit pas à mener dans la rue une seule usine le soir du 21 janvier. Le Comité Central envoya en vain Torgler au chancelier von Schleicher pour exiger de lui l’interdiction de la démonstration. Schleicher y consentit, mais il n’en avait plus le pouvoir, il était déjà un homme mort.

Les organisations militaires du parti virent que le parti ne pouvait préparer aucune action. Elles savaient d’autre part que le prolétariat berlinois était dans une grande excitation. Elles exigèrent violemment du C. C. qu’il les envoyât à l’action armée. Le C. C. refusa et devait refuser, car une action armée isolée du parti était fatalement une aventure. Mais en même temps, jusqu’au 12 février, il repoussait toute pensée d’unité de front. la supposition décisive des actions de masses. Aussi, le 30 janvier au soir, le jour de l’avènement du gouvernement Hitler-Hugenberg, la tentative de préparer la grève générale mourut dans l’œuf. Pas une usine ne répondit à l’appel du parti.

Les cadres actifs des organisations militaires furent poussés au désespoir par tous ces événements. Ils se décomposèrent complètement. Ils perdirent confiance dans le parti, dans sa direction, et beaucoup aussi dans leurs idées.

Telle était la situation du parti quand Göring, le 28 février, mit le Reichstag en flammes et donna le signal du coup d’Etat. Le parti non préparé s’écroula dès les premiers coups. Durant quatre jours, du 28 février au 3 mars, le parti se tut ; il ne vit absolument pas la situation véritable. Pour autant qu’il se manifesta, il fit appel aux voix communistes pour le 5 mars. Le quatrième jour, le 4 mars, quand les restes de l’appareil se furent tires de leur première stupeur, ils lancèrent leurs premières directives politiques. Ce fut le mot d’ordre d’action aux 4 et 5 mai, à la manifestation de la victoire du fascisme, le mot d’ordre de l’attaque par tous les moyens ! ! Personne ne le suivit ; aujourd’hui, la fraction stalinienne nie son échec lamentable et tente de couvrir sa banqueroute en affirmant que son but en mars était la retraite sans combat (résolution d’Heckert). Par cette légende – tout communiste allemand sait que le parti a essayé désespérément de lutter, mais que sa politique l’en avait rendu incapable – la fraction stalinienne encourage l’accusation absurde de « trahison du P.C.A. », qui est malheureusement reprise par la fraction Trotsky, et qui affirme que le P.C.A. fut obligé de trahir par Staline « parce que la bureaucratie stalinienne voulait éviter des troubles révolutionnaires à l’étranger ». (Résolution du plenum de juillet.)

La défaite épouvantable que le parti a subi en février-mars du fait de la fraction régnante, a ébranlé le parti de fond en comble. Une grande partie de ses membres passèrent au fascisme, une partie plus nombreuse se retira désespérément dans l’inaction. Le parti sembla tombé en ruines. Dans le même temps, la social-démocratie restait relativement intacte. La terreur fasciste l’épargna au début. L’illusion se répandit dans ses rangs que le fascisme n’en avait qu’au P.C.A. Les réformistes à la tête du P.S.A. se précipitèrent vers la traîtresse capitulation Ils repoussèrent foin d’eux la supposition qu’ils aient jamais pu penser ou penseraient à un front commun avec les communistes. Wels sortit de la 2e Internationale, Hertz partit à l’étranger pour combattre « la propagande d’atrocités », Leipart demanda aux fascistes de prendre les syndicats libres, et enfin, le 17 mai, au Reichstag, Lobe prit ouvertement parti pour Hitler. La fascisme accepta la capitulation avec des insultes sanglantes et envoya les capitulards dans ses camps de concentration et dans ses chambres de torture.

Le P.S.A. n’a pas été écrasé par la terreur, mais décomposé jusqu’en ses racines par la trahison de ses propres chefs, ceux-ci sont poursuivis jusque dans leurs prisons par la haine des ouvriers. La tentative de Wels, Stampfer, etc., de diriger le parti de Prague, échoua complètement. Les ouvriers socialistes se détournant de ceux qui les ont corrompus, trahis, et qui, après la trahison, ont rejeté la responsabilité de la catastrophe sur « les conditions objectives ». Le P.S.A. ne réussit à créer ni un centre intérieur illégal, ni un centre à l’étranger reconnu. Ses organisations qui ne se sont pas écroulées travaillent sous leur propre chef et responsabilité. Et, pour autant qu’ils travaillent, ils cherchent – au moins les plus sérieux d’entre eux – à se rapprocher des cadres illégaux du P.C.A.

Cette évolution du P.S.A a arrêté le processus de désagrégation du P.C.A. Ce n’est pas que les ouvriers conscients considèrent le P.C.A. et le P.S.A. comme étant également responsables. Ils savent que la direction du P.C.A. était incapable d’organiser la résistance contre Hitler, mais ils savent aussi que la direction du P.S.A. était décidée à tolérer même Hitler si cela leur avait été permis.

C’est une légende de Trotsky que les ouvriers communistes, c’est-à-dire ceux qui sont restés fidèles à nos idées, et ils sont nombreux malgré tout – se détournent avec dégoût et mépris du P.C.A., et qu’en conséquence, celui-ci est définitivement perdu.

Nous le disons franchement : si les ouvriers du P.C.A. avaient été éduqués dans l’esprit du marxisme révolutionnaire et avaient lutté pour une politique différente de celle de la direction sans pouvoir empêcher sa politique corruptrice, la révolte se serait déclenché dans le parti 10 fois plus fort encore qu’en 1923-24, après la première grande défaite. Et si la direction soutenue par Moscou n’avait pas cédé à cette attaque, la scission du parti serait devenu inévitable.

Une telle scission, aurait été le début d’une scission internationale. Les idées de la Révolution d’octobre, représentées aujourd’hui par les groupes chétifs de l’aile gauche du P.C.A., seraient devenues celles de grosses masses du parti. Les forces révolutionnaires du parti russe qui luttent isolément depuis 1923 auraient reçu une impulsion nouvelle par cette révolution de l’I. C. La fraction stalinienne, qui a subi un affaiblissement décisif sur l’arène internationale du fait de la défaite allemande, aurait en face d’elle les forces imposantes du prolétariat international capables d’utiliser l’évolution à gauche des ouvriers socialistes en vue de leur propre lutte, et pour la renaissance de la 3e Internationale. La dernière heure de la fraction stalinienne serait proche. La scission ne serait que le prologue d’une nouvelle unité communiste sur la base des idées de la Révolution d’octobre.

Mais cette scission n’a pas eu lieu malgré la catastrophe de mars, et elle n’est pas près de se produire. Elle ne pouvait pas se faire, car les conditions fondamentales manquaient pour cela : une scission se produit ou bien quand le parti trahit, ou bien quand d’importantes masses du parti se rendent compte que la direction ne conduit jamais à la victoire et garde son pouvoir par tous les moyens.

On ne peut pas parler d’une trahison du P.C.A. D’autre part, les forces qui se seraient fait une idée claire sur le centrisme et sur la politique, et auraient été de ce fait prêtes à rompre avec lui, manquaient dans le P.C. La gauche, affaiblie par la scission de 1931 – Trotsky fonda ouvertement sa propre fraction en 1931 en Allemagne, sous la direction de Well, Sénine, etc. qui se divisa à la veille du moment décisif, et capitula en partie – était trop faible pour atteindre une partie suffisante du P.C.A.

Les conditions objectives pour une scission dans le P.C.A. étaient données au printemps 1933, mais non les conditions subjectives. C’est pourquoi, et non parce que nous avons le fétichisme du parti, ou parce que nous avons un point de vue sentimental « right or wrong, my country » (Déclaration de Trotsky, 1924 devant le P.C.R.), nous restons fraction de l’I. C., et nos camarades allemands restent fraction du P.C.A. Fraction indépendante, cela ne signifie par idéaliser le parti de l’I. C., mais au contraire pratiquer le réalisme révolutionnaire. Nous ne confondons pas le parti avec la direction. Nous savons que la fraction stalinienne n’atteindra ni le but de la 3e Internationale, ni celui de Staline lui-même. Elle n’organisera pas la révolution mondiale et elle n’édifiera pas le socialisme dans un seul pays. Le résultat de la politique n’est pas moins néfaste que celui du réformisme. C’est pourquoi nous combattons impitoyablement cette politique.

Mais ce fait seul ne suffit pas pour se séparer du parti. Il ne consiste pas seulement en une grosse fraction stalinienne et une petite fraction de gauche, mais sa base est composée de larges masses d’ouvriers révolutionnaires, d’un noyau prolétarien qui n’a pas été éduqué dans l’esprit du marxisme révolutionnaire et ne possède pas non plus l’expérience de la lutte politique. Complètement révolutionnaire au point subjectif, mais sans expérience politique, le noyau prolétarien du P.C.A. a été conduit à la catastrophe par la fraction régnante. Maintenant seulement, dans les terribles conditions de l’illégalité, après la défaite que la direction nie, le réveil des jeunes combattants du P.C.A. a commencé.

Propager maintenant le mot d’ordre d’un nouveau parti, alors que les cadres communistes commencent seulement à réveiller, à s’armer spirituellement et à essayer de reconstruire le parti battu, cela équivaut à livrer à la fraction stalinienne la meilleure partie du P.C.A.

Non seulement cela ! L’écroulement du P.S.A. pousse ses meilleurs éléments vers la gauche. Ils voient bien les terribles lacunes du P.C.A., mais ils comparent la route du P.S.A. qui a conduit à la ruine totale, avec celle de la Révolution d’Octobre qui, malgré Staline, a empêché une nouvelle ascension du capitalisme en Russie, et ils se décident pour la IIIe Internationale, bien que celle-ci se présente à eux sous la forme dégénérée de la domination stalinienne.

Le mot d’ordre d’un nouveau parti et d’une nouvelle Internationale, cela ne signifie pas seulement livrer les ouvriers socialistes révolutionnaires éveillés d’Allemagne qui s’orientent vers la IIIe Internationale.

Cela signifie que les marxistes révolutionnaires s’enlèvent eux-mêmes la possibilité de former intellectuellement et politiquement les meilleurs éléments du prolétariat qui, malgré tout, se massent aujourd’hui autour de la IIIe Internationale.

On nous opposera : ne suffit-il pas d’avoir lutté une décade pour la renaissance de l’I. C. sans avoir pu empêcher la catastrophe allemande ? Ce calcul ne vaut rien. Nous, gauche de 1923, qui avons une décade de lutte pour l’I. C. derrière nous, nous sommes les derniers débris d’un grand mouvement oppositionnel du passé, dans le sein de l’I. C., de l’époque de 1923-28. La dernière demi-décade de l’histoire du parti, la génération qui a rejoint l’I. C. dans cette période ne connaît nos luttes que de loin. La nouvelle génération communiste qui aujourd’hui en Allemagne, veut reconstruire avec indépendance et critique le parti battu, n’est pas lasse d’une longue opposition de plusieurs années, car elle ne l’a jamais connue. Elle ne croit pas le parti définitivement perdu, car elle n’a jamais essayé de le sauver par elle-même, sans et contre la direction. Or, un nouveau parti peut-il naître autrement que sur la voie d’une nouvelle évolution de la meilleure part de l’ancien parti, sur la voie de la scission ? Peut-on d’autre part fonder un nouveau parti communiste avec des éléments non communistes qui n’ont pas encore dépouillé le pelage réformiste ? Sur cette question qui est posée par la tentative de fusion de Trotsky avec le S.A.P., nous nous prononcerons prochainement.

W. Bertram.

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