Article de Kurt Landau paru dans La Lutte de classes, 4e année, n° 28-29, février-mars 1931, p. 168-171
Le développement politique des derniers mois a trompé l’espoir du centrisme et a motivé un certain « tournant » de sa part.
Après le grand succès électoral du 14 septembre, la direction du parti s’était attendue à un renforcement extraordinaire du mouvement révolutionnaire. Elle se prépara pour la mi-janvier à une grande attaque offensive. Les manifestations de chômeurs au début de décembre, dont la Rote Fahne écrivit qu’elles « furent les prodromes d’une prochaine révolution populaire » furent le signal de cette offensive.
Les désordres spontanés des chômeurs dûs à la faim ne se produisirent pas. Le flambeau de la grève politique de masse que devait être le signal donné par la grève des mineurs de la Ruhr dans les premiers jours de janvier s’éteignit avant d’avoir mis en état d’alarme même les couches les plus essentielles des mineurs. L’élan révolutionnaire de l’avant-garde révolutionnaire isolée s’est brisé contre la force des organisations syndicales qui sont plus solidement que jamais entre les mains de la bureaucratie réformiste réactionnaire.
Il est vrai que la grève des mineurs perdue a été fêtée dans des discours et des articles comme une énorme victoire par la direction du parti. Mais, en face des suites désastreuses de l’échec (diminution des salaires, brimades massives, etc.) elle fut contrainte à reconnaître que les conditions d’une « lutte décisive » n’existaient pas actuellement.
Ce sont ces expériences qui ont fait naître le « tournant » à la séance plénière de janvier du C.C.
L’ABANDON DE LA THEORIE DE L’OFFENSIVE
Ayant en vue les préparatifs de décembre pour l’offensive de janvier, ainsi qu’une série de préparatifs organisatoires importants à l’intérieur du parti (les mots d’ordre et les directives donnés dans les conférences du parti, signalaient la gravité de la situation) l’Opposition de gauche a donné des avertissements aux membres du parti. Dans une lettre ouverte la Direction nationale déclarait :
« De tous les dangers menaçants, l’illusion d’après laquelle la seule force du parti suffirait à entraîner la décision, est la plus dangereuse. Cette illusion est à la base de la nouvelle théorie de l’offensive, que le parti répand actuellement, et forme la base de ce jeu avec la « chevauchée de la mort » du parti en janvier ».
Certains ont trouvé inopportun le cri d’alarme de la gauche, en pensant qu’il n’y avait « pas de preuves » que les perspectives du parti étaient celles-là.
A présent le Comité Central confirme lui-même à sa séance plénière que ces craintes de l’Opposition de gauche avaient une base très réelle. Ainsi, Thaelmann déclara à la séance plénière :
« Si par exemple le parti admettait des exagérations dans les tâches qu’il se pose, cela pourrait nous amener à tomber dans les provocations de la bourgeoisie et de la social-démocratie et à nous laisser provoquer à une lutte prématurée ».
Thaelmann lance des avertissements ? La légende dit qu’il existe aussi en Allemagne, un an après les « vertiges » de Staline, des gens qui n’ont pas encore compris qu’il s’agit ici de la forme de retraite décrétée par Staline. La même attitude qui était hier encore l’ultime sagesse de la bureaucratie toute-puissante, est qualifiée aujourd’hui « d’exagération » par les « fonctionnaires maladroits ».
LA VOIE DE L’IMPUISSANCE
La direction du parti s’aperçoit que le rayonnement de l’action du parti est terriblement restreint, que l’avant-garde révolutionnaire, organisée dans le parti (environ 100.000) est isolée même de la masse sympathisante des électeurs (4.500.000). La question de savoir par quelle voie il est possible d’unir les parties arriérées de la classe ouvrière à son avant-garde, de gagner la direction de la classe ouvrière et par suite la direction des masses laborieuses en général (couches moyennes, petits paysans, employés) est devenu la question cruciale du parti.
L’Opposition de gauche a donné à cette question une réponse précise : tout en ayant une vue parfaitement claire quant à notre but stratégique, qui est la dictature du prolétariat, il faut employer les méthodes tactiques les plus souples, afin de réveiller les énergies révolutionnaires contenues en puissance dans les masses. C’est pourquoi la gauche demande depuis des mois l’établissement d’un programme ouvrier, c’est-à-dire d’une série de mots d’ordre pour lesquels les masses sont, dès aujourd’hui, prêtes à lutter. Elle exige l’application de la tactique du front unique afin d’organiser sur la base de ce programme de lutte prolétarienne, le front de classe révolutionnaire du prolétariat.
L’Opposition de gauche a indiqué en toute netteté que, dans les conditions actuelles, seule cette voie est la voie qui conduit à la prise du pouvoir en Allemagne.
La direction du parti a-t-elle compris que ses espérances étaient vaines, que ses attentes étaient illusoires, que la voie poursuivie jusqu’ici était fausse ?
En partie, oui. Elle essaye de « tourner ». Mais ce n’est pas un tournant véritable et sérieux, mais seulement un tournant estropié, dans lequel le sabot de l’opportunisme se fait jour avec une netteté inquiétante. On continue à développer la ligne poursuivie par la direction avec son programme de « libération nationale et sociale ». Le mot d’ordre de la « révolution populaire » devient à présent le « mot d’ordre stratégique essentiel ». Que signifie le nouveau mot d’ordre ? D’abord quelques observations de principe :
Lénine lança le mot d’ordre de la révolution populaire, alors que la révolution démocratique était encore à l’ordre du jour. Que devait-il sortir de la révolution populaire? Dans son article « Deux tactiques » (Vperiod, n° 6, du 1.II.1905) dans lequel il s’exprime sur la conception de Martynov, selon laquelle « une révolution populaire ne peut être fixée de prime abord », Lénine cite en l’approuvant un tract des bolchéviks du 10 janvier 1905, dans lequel il est dit :
« Vive la révolution ! Vive l’assemblée constituante des représentants du peuple ».
Il est évident que la révolution populaire ne peut être autre chose que la révolution démocratique. Mais la révolution qui est actuellement à l’ordre du jour en Allemagne – et elle ne peut être repoussée de cette ordre du jour que temporairement et non pas à perte de vue – n’a rien à voir avec la révolution démocratique ; elle sera, au contraire une classique révolution socialiste, prolétarienne, éprouvée au feu de la répétition générale de 1919-1923.
Quel sens peut-il y avoir à remplacer le but stratégique du Parti – la révolution prolétarienne – par le mot d’ordre de la révolution populaire ? Certes, dans l’Allemagne hautement industrielle, la révolution prolétarienne ne saurait concerner seulement le prolétariat industrialisé. Pour triompher elle aura certainement besoin de l’appui de tous les exploités, et étant donné son étendue et sa profondeur elle prendra un caractère « national », c’est-à-dire qu’elle embrassera toutes les parties laborieuses de la nation. Mais celui qui se représente autre chose par révolution prolétarienne, n’a rien compris aux enseignements les plus élémentaires de la lutte de classe révolutionnaire.
La direction centriste ferait preuve du pire opportunisme si bien que la notion de la révolution prolétarienne par la lutte révolutionnaire soit entrée dans la conscience de la classe ouvrière allemande et qu’une mer de sang ainsi que d’innombrables cadavres indiquent au prolétariat la voie de la révolution prolétarienne, elle abandonnait à présent le mot d’ordre de la révolution prolétarienne, en le remplaçant par le mot d’ordre de la révolution populaire qui est dénué de tout contenu de classe.
Les bavards professionnels, entre les mains desquels repose aujourd’hui le sort du P.C.A. croient très sérieusement pouvoir gagner plus « aisément » des couches non-prolétariennes à la lutte de classe prolétarienne.
On ne trompe pas les classes. On ne gagnera pas celles qui gardent encore, vis-à-vis de la révolution prolétarienne, une attitude de refus, en la leur présentant sous le costume « populaire ». De telles manœuvres opportunistes ne font que désorienter l’avant-garde révolutionnaire.
Révolution populaire ? N’est-elle pas la fille légitime de la « lutte pour la libération nationale et sociale » ? Un emprunt lâche et honteux fait à l’idéologie fasciste, une excursion impunie dans les champs de l’opportunisme ?
Dans le dernier appel du parti (15.II.31) contre les fascistes, qui s’engagent maintenant, par leur départ du Reichstag, d’une façon encore plus décidée sur la voie extraparlementaire, « l’action populaire » prend la place éclatante de l’action révolutionnaire de masse, et au lieu de s’adresser à la classe, l’appel s’adresse à la classe laborieuse par le mot « Volksgenossen » (camarades du peuple national) – qui appartient au vocabulaire du fascisme. Peu importent les intentions qui sont à la base de cette nouvelle terminologie. En matière politique ce sont les résultats qui comptent. Et les résultats de cette extirpation systématique du caractère de classe de nos conceptions, ne manqueront pas de se faire jour. De cette façon on décompose et on détruit les fondements idéologiques du parti.
Nous ne serions pas étonnés de voir bientôt la révolution populaire suivie d’un mot d’ordre gouvernemental équivalent. L’opportunisme a sa logique. Celui qui ne veut pas effrayer le petit-bourgeois par le fantôme de la révolution prolétarienne, celui-là ne peut pas lui causer ensuite, par le mot d’ordre de la dictature prolétarienne, la même frayeur dont la « révolution populaire » venait justement de le délivrer.
Gouvernement populaire ? Gouvernement ouvrier et paysan ? (1) Ce serait un simple manque d’esprit de suite, si celui-ci ne suivait pas celui-là.
Au lieu de changer les méthodes tactiques, le centrisme a commencé à nier les buts stratégiques du communisme. Ce n’est pas là le chemin vers la prise du pouvoir, mais inévitablement le chemin de la décomposition, celui de l’impuissance.
K. LANDAU.
(1) Nous ne faisons que mentionner en passant que nous repoussons le mot d’ordre du gouvernement ouvrier et paysan, sœur occidentale de la dictature démocratique des ouvriers et des paysans, que nous repoussons également ; et cela depuis le 4e Congrès mondial.