Article d’André Rolland paru dans Germinal, organe de la Fédération des travailleurs socialistes algériens, n° 9, 25 juin 1905

La discussion de la loi de séparation se poursuit lentement. Que va-t-il en sortir ? Rien ou peu de chose. Le projet Briand, déjà si libéral, semble devoir se libéraliser de plus en plus.
Chaque jour amène une concession nouvelle ; chaque jour l’abîme se creuse plus profond entre le socialisme et le projet de la commission.
La loi, qui devait être une attaque et une rupture, ne semble plus être qu’une opération lamentable de défense.
L’attitude socialiste, en matière de religion, ne doit pas être neutre. Le socialisme doit être résolument non seulement anticlérical, mais antireligieux. Il ne doit pas, comme le parti bourgeois, respecter la religion, forme de la pensée, et lutter contre la déviation du sens religieux, selon la formule de Waldeck-Rousseau, et par là protéger la religiosité elle-même, être sensé l’ignorer : il doit la combattre.
Par sa propre définition, le socialisme doit être athée ; non pas superficiellement, par formule, par bravade d’esprit fort comme l’est la bourgeoisie ; il doit être athée ; parce que toute idée de religion implique forcément l’idée d’autorité et d’avertissement.
La religion favorisée et soutenue par la classe privilégiée, n’a jamais été, depuis les premiers bégaiement de l’humanité, qu’un moyen de domination.
L’homme, au commencement de sa lutte avec la nature, se sentait faible et hésitant, parce qu’il avait peur de l’inconnu et du mystère ; que ses sensations encore inexpérimentées ne parvenaient pas à lui faire percevoir et interpréter : il créa les dieux.
Cette peur instinctive fut merveilleusement exploitée par quelques hommes plus perspicaces ou simplement plus rusés. La supériorité qu’ils finirent par acquérir fut la cause naturelle de l’alliance du prêtre et du plus fort.
Le vol, la rapine et le meurtre conquérants avaient en effet besoin d’être sinon expliqués et excusés, du moins sanctionnés par un semblant de légalité : la religion fut un palladium ; elle maintint les faibles par la crainte des dieux et permit au fort et aux vainqueurs de légiférer pour justifier leurs brutalités.
Et l’histoire est toujours la même. La classe dirigeante maintient et soutient la religion, parce que la religion prêche la résignation et la crainte de la divinité. La noblesse se repose sur elle, la bourgeoisie capitaliste voudrait s’en servir. Maia l’antagonisme est trop violent, l’alliance devient impossible ; la bourgeoisie est débordée elle-même par le flot montant des Eglises, dominatrice par essence, et pour se défendre, pour ne pas périr, elle crée un mot et une chose nouvelle : le cléricalisme.
La lutte est donc maintenant circonscrite, mais la victoire est difficile pour la classe capitaliste qui doit tout à la religion et qui s’est édifiée sur elle et par elle ; l’affranchissement est facile pour le peuple qui ne lui doit que l’asservissement ; il ne doit pas connaître, lui, cette « déviation de l’esprit religieux », qui n’est qu’une formule d’excuse pour la dénonciation du pacte religio-capitaliste.
Voilà pourquoi le socialisme doit faire pénétrer dans la masse prolétarienne cette idée primordiale qu’être religieux, c’est laisser la porte ouverte au bourgeoisisme. Or le bourgeoisisme, ne doit pas nous socialiser, nous devons le socialiser.
Nous devons donc diriger notre action vers un athéisme total, une irreligiosité complète : nous devons faire l’éducation intégrale avec l’aide seule de la science expérimentale et de l’observation : l’éducation sans Dieu et contre Dieu, l’éducation en un mot, non pas anticléricale, mais antireligieuse.
André ROLLAND

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.