Article paru dans le quotidien Le Monde, le 13 octobre 1954.
Tandis que le « néo-M.T.L.D. » se prononce pour une république algérienne
Les messalistes se préparent à une action révolutionnaire
(De notre correspondant particulier)
Alger, … octobre. – L’existence simultanée de deux M.T.L.D. qui ne renoncent pas même à leur étiquette entretient une confusion sensible parmi les Algériens et rend plus difficile encore aux Européens une compréhension de leurs tendances respectives véritables (1).
La fraction fidèle à Messali Hadj est dirigée par cinq hommes. Quatre d’entre eux, Moulay Merbah, Mezerna (ancien député d’Alger et directeur de l’hebdomadaire du parti, l’Algérie libre), Kaoua Moussa, Aïssa Abdalli, composaient la fédération du mouvement dans la métropole. Le cinquième est naturellement Messali lui-même. Actuellement en résidence forcée aux Sables-d’Olonne, il a confié la réorganisation du parti en Algérie à un triumvirat comprenant Moulay Merbah, Mezerna et Aïssa Abdalli, tandis que sous sa haute autorité Kaoua Moussa recevait la charge de regrouper dans une nouvelle fédération les militants installés en France.
Dans ce nouvel état-major, Moulay Merbah fait figure de représentant direct de Messali, de porte-parole officiel. Nous l’avons donc prié de nous définir la position de son groupe.
MESSALI : reprise de l’action (directe).
» Après les décisions du congrès de Liège, lui avons-nous demandé, quelle est, à votre avis, la répartition des forces entre les deux tendances qui se manifestent au sein du M.T.L.D., en Algérie et dans la métropole ?
– En vérité il n’y a pas de tendances, mais il y a eu une déviation dont les auteurs ont été exclus, et cette exclusion n’a pas eu d’incidence notable parmi les militants. Bien au contraire, elle répondait au vœu de l’ensemble des militants d’Algérie et de France. D’ailleurs les exclus n’ont été suivis que par certains éléments intéressés.
Je répète qu’il n’y a pas de scission, mais simplement une exclusion qui sanctionna les auteurs d’une politique non conforme aux principes fondamentaux du parti.
– Cette scission va-t-elle avoir des conséquences sur l’action générale du M.T.L.D. et sur l’action et l’attitude des élus restés fidèles à Messali ?
– Il est évident que le dénouement de la crise devra mettre un terme à l’immobilisme qui a été une des causes de cette crise. Ce qui veut dire que le parti se conformera désormais aux principes de lutte qui l’ont toujours guidé depuis sa création. Sur le plan municipal, les élus M.T.L.D., qui ont condamné dans leur grande majorité la politique de réformettes instaurée par les ex-dirigeants exclus, pratiqueront à l’avenir une politique qui sera axée sur la défense effective des intérêts majeurs de l’ensemble du peuple algérien.
– Sur quels principes sera désormais guidée l’action des messalistes ?
– Le Mouvement national algérien sera désormais guidé par les principes mêmes qui l’ont animé avant la déviation. Comme par le passé, il luttera pour arracher dignement des revendications, sans pour cela oublier un seul instant on y subordonner son objectif principal ; l’indépendance de l’Algérie. »
L’ » internationalisation » du problème algérien
Dans ces déclarations, la phrase capitale est assurément celle où Moulay Merbah indique qu’il devra être mis » un terme à l’immobilisme qui a été l’une des causes » de la crise. Elle est à rapprocher des conclusions du rapport préparé par Messali pour le congrès de Belgique. Le leader y affirmait la volonté d' » internationaliser le problème algérien « , et il ajoutait :
» …Les problèmes tunisien et marocain ont connu l’internationalisation de 1950 à nos jours. Pour rappeler en un mot quels sont les moyens pratiques qui ont milité en faveur de cette internationalisation, disons que la situation au Maroc et en Tunisie frise l’insurrection… (2) » …Au point de vue tactique, le moment est extrêmement favorable pour tenter de lier le problème algérien à celui du Maghreb arabe et, par là même, internationaliser le problème algérien… Cela est du domaine de la diplomatie, qui, pour réussir, doit être appuyée par une politique intérieure révolutionnaire. Il n’y a pas plusieurs façons d’internationaliser un problème, il faut s’y mettre ou se démettre… »
Pour une action révolutionnaire
Messali définissait clairement ce que son porte-parole exprime de façon plus voilée : il s’agit par des manifestations, voire par des troubles, d’attirer sur l’Algérie l’attention de l’opinion internationale, et singulièrement celle du gouvernement américain.
Les incidents qui se sont déroulés le 2 octobre à Roubaix et à Tourcoing (région où les messalistes sont installés en force) prouvent cette volonté d’action. En Algérie même on peut supposer que de telles manifestations ne seront pas organisées avant que les dirigeants aient pu regrouper leurs militants désorientés par la crise.
Quelle peut être la puissance de cette action ? Nul ne peut le dire, car elle variera certainement suivant les lieux et en fonction des circonstances. Une chose paraît en tout cas certaine : les messalistes ne reculeront pas devant l’agitation.
LAHOUEL : un néo-destour algérien ?
La position de la fraction anti messaliste du M.T.L.D. a été définie dans un manifeste publié dans le premier numéro de son journal la Nation algérienne :
» Le M.T.L.D. est pour l’édification d’une République algérienne démocratique et sociale. Tous les Algériens, sans distinction d’origine, ont le droit et le devoir de participer à cette œuvre… » De plus, le M.T.L.D. estime que la lutte pour des revendications immédiates n’est pas incompatible avec la lutte pour la libération. C’est pourquoi il a encouragé et guidé l’action des ouvriers, des jeunes, des femmes, des chômeurs, etc. C’est pourquoi il a participé à la lutte pour le développement de la langue arabe, pour la séparation du culte et de l’État ; c’est pourquoi il a organisé des campagnes pour la libération des détenus politiques et contre la répression… »
Dirigé par des hommes qui semblent vouloir s’écarter des méthodes violentes et sortir de la clandestinité, le nouveau parti que dirige Lahouel pourrait faire penser au Néo-Destour. Par leur formation et leur forme de pensée ses dirigeants sont très proches de ceux du parti nationaliste tunisien et de certains dirigeants de l’Istiqlal.
Quelle place prendront-ils dans la vie politique de l’Algérie ? Il est assurément trop tôt pour le prévoir. Leur adhésion à l’idée d’une » République algérienne » pourrait les rapprocher de l’Union du manifeste algérien. Il est vrai cependant que leur mouvement, comme le parti de Ferhat Abbas, risque de se trouver dépassé par le M.T.L.D. messaliste, dont les racines sont surtout prolétariennes.
(1) Voir le Monde du 12 octobre 1954.
(2) Rappelons, que préparé en juin ce rapport a été présenté au mois de juillet.