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Jean Rous : A la mémoire de Messali Hadj

Article de Jean Rous paru dans Combat, le 21 juin 1974

Jean Rous et Habib Bourguiba (1951). Archives Pierre Chevalier

Messali Hadj est mort. Depuis 1936 période où je l’ai connu en luttant à ses côté pour la défense de « l’Etoile nord-africaine », il était à mes yeux non seulement le pionnier de l’émancipation algérienne mais un vieil ami rencontré le plus souvent dans ses résidences forcées et ses lieux d’exil plutôt qu’en liberté. Je ne l’avais pas revu depuis un certain temps, j’ignorais la gravité de sa maladie et j’ai donc été vivement touché en rentrant à Paris le mardi soir 4 juin d’apprendre sa mort. J’ai pensé aussitôt à sa longue vie de lutte et à l’Algérie révolutionnaire dont il avait inlassablement depuis 1925 éveillé la conscience nationale et le vouloir vivre. Le lendemain le premier journal que j’ouvris fut « El Moudjahid » le porte parole de l’Algérie nouvelle. Il disait simplement : « Messali Hadj cofondateur de l’Etoile nord-africaine, président du PPA et du MTLD n’est plus ». Dans son laconisme cette dépêche contenait en raccourci toute une leçon d’histoire. Ainsi au-delà des règlements e comptes fratricides que la bonne volonté fut impuissante à empêcher, l’inéluctable et souveraine mort accomplissait son œuvre réconciliatrice. Messali entrait officiellement dans l’histoire comme le père du nationalisme algérien. Peu de temps après on devait apprendre qu’informé de sa maladie, le président du Conseil de la révolution algérienne, Houari Boumédienne avait autorisé son transfert à Tlemcen pour qu’il puisse mourir dans sa patrie. Désormais Messali repose à côté de son père dans cette terre qui fut le berceau du nationalisme algérien et même nord-africain.

Quelques heures avant le transfert, sa famille, son fils Ali, sa fille Janina, son gendre, ses deux petits enfants nous avaient réunis autour du corps du défunt exposé dans la mosquée du cimetière musulman de Bobigny. Et ce fut là, une cérémonie du souvenir bien émouvante dans sa simplicité. Il y avait des anciens  de l’Etoile nord-africaine, du PPA, du MTLD et les représentants de l’Algérie nouvelle avec l’Association des travailleurs algériens en France. Chacun y allait de son souvenir et c’était le meilleur hommage que l’on puisse rendre à un homme qui fut toute sa ville un militant.

Ahmed Mezerna ancien lieutenant député MTLD racontait comment Messali en plein Congrès musulman d’Alger s’opposa à l’assimilation en brandissant une poignée de terre et en proclamant « cette terre est à nous, elle le restera ». C’était en 1936. C’est peu après que je l’ai connu, car il participait avec « L’Etoile nord-africaine » aux rassemblements de la gauche française et à la lutte antifasciste, en détournant les travailleurs des mouvements fascistes qui tentaient de les rassembler (on parlait ironiquement de « sidilarité » française). Mais quelle atroce déception, qui devait avoir une portée historique dans le raidissement du nationalisme algérien, quand on apprit que le gouvernement de Front populaire avait dissous « l’Etoile nord-africaine ». Ce fut fait principalement à la demande du PC de l’époque qui en voulait à Messali d’avoir maintenu la revendication d’indépendance, contrairement à la politique de Staline qui estimait qu’il ne fallait pas affaiblir l’impérialisme des pays démocratiques. Ce fut dans la gauche les premiers déchirements. J’étais à l’époque secrétaire du PCI (section du mouvement pour la Quatrième internationale) et responsable de « Lutte ouvrière ».  Nous étions solidaires de Messali et de son mouvement et nous fûmes matraqués ensemble par le service d’ordre stalinien dirigé par Gitton à la manifestation du « Mur des Fédérés » de mai 1937. Puis nous organisâmes un meeting à la salle du « Petit Journal » qui fut le dernier où je vis Messali en liberté. Je le revis en 1946 à la Bouzaréa où il fut maintenu en résidence forcée malgré la libération de la France et la présence de la gauche au pouvoir. Il me donna une interview pour « Franc-Tireur » sur le thème de la Constituante algérienne ouverte à tous sans distinction de race ni de religion. Puis ce furent le statut de 1947 et les élections truquées. Il nous fit venir avec son avocat notre ami Me Dechézelles pour dénoncer les truquages et l’étouffement des libertés qui devaient pousser le peuple algérien opprimé à l’insurrection quelques années plus tard. En 1948 nous fondons à Puteaux le « Congrès des peuples contre l’impérialisme » avec les grands mouvements nationaux d’Afrique et d’Asie. Messali y engage à fond le MTLD et en raison des persécutions dont il est victime nous en faisons notre Président d’honneur. Nous organisons de grands meetings souvent interdits même par des ministres S.F.I.O. A la même époque j’assiste Messali dans un curieux procès où il est condamné parce qu’il a essayé de se rendre à Paris qui est pour lui ville interdite. En 1952, on obtient son transfert en France et nous nous voyons à Niort dans des conférences de la « Révolution prolétarienne ». Car Messali contrairement à ce qui a pu être écrit en raison de certaines survivances des amalgames staliniens, n’a jamais eu la moindre complaisance pour des mouvements comme le PPF de Doriot. Il s’est toujours situé aux côtés de la gauche révolutionnaire et syndicaliste française. Puis ce fut l’insurrection de novembre 1954. Je me souviens le matin même avoir reçu le tract du CRUA appelant au soulèvement et invoquant le nom de Messali. Ne revenons pas sur ce qui s’est passé au cours de cette tragédie. Quand le revoyais parfois seul et parfois avec Yves Dechézelles, c’était pour me faire le modeste écho des espoirs de réconciliation et d’unité formulés par des hommes de l’autorité de Mohammed V ou de Habib Bourguiba. L’histoire et la révolution, ces grandes « mangeuses d’hommes » selon l’expression consacrée ont tranché de leur verdict impitoyable, désormais Messali repose en paix dans la terre qu’il fécondée de sa sueur et de son sang. Sa lente et douloureuse agonie nous disent ses proches fut dominée par le souvenir de ses souffrances de ses persécutions de ses prisons et de son amour de la terre algérienne. Que celui qui fut le Blanqui algérien, ayant comme l’illustre « enfermé » passé la majeure partie de sa vie en prison et en exil, reste pour tous les hommes l’intrépide combattant de la liberté.

Jean ROUS

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