Tribune du Comité « Riposte à la répression en Algérie » publiée dans Rebelles, n° 2, mai-juin 1982, p. 12
Lorsqu’on parle de l’Algérie , on pense tout de suite à la guerre de libération nationale, à ses positions « antiimpérialistes », au « socialisme » et à la « mobilisation du peuple contre le sous-développement ». Aussi parler de répression en Algérie, provoque t-il des réactions d’étonnement, de doute : aucun journal n’en parle, très peu d’organisations politiques ou spécialisées sur la question n’en font état, alors même qu’elle est dénoncée, pour d’autres pays, en long, en large et en travers.
POURTANT, non seulement la répression n’est pas un phénomène nouveau en Algérie, mais elle est aussi le fait de tous les régimes qui se sont succédé depuis l’Indépendance : de Ben Bella à Chadli, aujourd’hui.
Dès 1962 l’Armée des Frontières, restée loin des combats organisée et surtout bien armée : a écrasé les armées de l’intérieur, qui avait supporté, avec les masses, tout le poids de la répression coloniale ; une armée de 40.000 hommes bien nourris face à des armées de wilaya durement éprouvées par les combat, comme par exemple la wilaya 3 (Kabylie) qui ne disposait que de 1.000 hommes. En 1963-64, le nouvel Etat indépendant n’a pas hésité à mater dans le sang les maquis qui se sont constitués en Kabylie et dans le Constantinois. Il faut dire qu’il a profité de la lassitude des masses qui ne voulaient pas d ‘une guerre civile, la lutte anticoloniale ayant coûté 1,5 millions de morts sur une population estimée à une dizaine de millions.
La mise au pas de l’UGTA
Après avoir écarté la résistance armée, l’Etat s’est attaché à mettre au pas I’UGTA (Union Générale des Travailleurs Algériens), qui, malgré ses origines nationalistes était le seul pôle de regroupement des opposants. Au 1er Congrès de I ‘UGTA, une direction fantoche est parachutée grâce à la présence de flics déguisés en congressistes ; au 2e Congrès, en 1965, tentative de vider I’UGTA de tout contenu revendicatif. Malgré la répression, les luttes continuent : résistances à la caporalisation de I’UGTA ; occupation des terres coloniales par les ouvriers agricoles contre les convoitises de l’Armée et des gros propriétaires fonciers et que l’Etat a traités de « Collaborateurs du colonialisme » sous prétexte qu’ils étaient employés par les colons.
C’est dire que l’intimidation et la calomnie ont de tout temps constitué l’arsenal d’accompagnement de la répression pour neutraliser ou discréditer toute velléité de résistance de la bourgeoisie. N’oublions pas que la Sécurité Militaire, qui existait bien avant l’Indépendance a été créée par l’état-major de l’Armée des frontières : elle est dirigée et encadrée par des officiers rompus au travail clandestin, dont certains parmi eux sont issus du réseau terroriste de la Fédération de France du FLN. Principal organe de la répression syndicale et politique, spécialiste en intox et en coups montés, la S.M. emploie des méthodes qui n’ont rien à envier à celles des services psychologiques de l’Armée coloniale.
Une répression plus systématique
Le régime issu du coup d’Etat de 1965 s’emploie à rassurer la bourgeoisie inquiétée par la démagogie et les louvoiements de Ben Bella : la dénationalisation des entreprises a été la première mesure du nouveau régime. La répression devient plus systématique des militants syndicaux sont arrêtés, torturés, sans compter tous ceux qui se sont opposés au coup d’Etat. De 1967 à 1969, les effectifs syndicaux tombent de 250.000 à 150.000. Le régime poursuit ses opposants jusqu’à l’ étranger : Khider est assassiné à Madrid en 1968 ; Krim Belkacem, un des chefs historiques de 1954, est assassiné à Frankfort en 1972.
Les tentatives de caporalisalion du mouvement étudiant culminent en 1968 : un décret du FLN institue l’adhésion obligatoire aux structures qu’il contrôle ; les nervis du FLN font la loi à l’Université. Après une série de grèves, I’UNEA (Union Nationale des Etudiants Algériens) est dissoute en 1970-71.
Ayant écarté toute opposition organisée, le pouvoir lance ses projets économiques et toute une série de mesures démagogiques telles que « révolution agraire » , « médecine gratuite », « gestion socialiste des entreprises » et destinés à tromper les masses. Ces mesures ont, en réalité, pour but de faire taire les masses et de les mobiliser pour les besoins du développement capitaliste.
La reprise des luttes
Les luttes reprennent dès 1976 : grève des étudiants de sociologie en raison de l’insuffisance des structures d’ accueil ; grève des étudiants de psychologie en avril 1977.
Au cours de l’été 1977, les dockers du port d’Alger organisent une grève en dehors des structures de I’UGTA et à l’insu des bureaucrates syndicaux : la première manifestation, depuis bien longtemps, a lieu à la Place du 1er Mai à Alger. La répression fait 3 morts ; les dockers de Hambourg (RFA) ont fait une grève de solidarité.
Une cascade de grèves a suivi peu après à la A.S.T.A. (transports urbains d’Alger), à la S.N.T.F. (transports ferroviaires) à la S.N.I.C. (industries chimiques) et à la SONACOME (industries mécaniques).
La mort de Boumediène libère les luttes entre les clans de la bourgeoisie et donne l’illusion d’un changement par rapport à la période précédente. En fait, pour les masses la situation empire de plus en plus. Le pouvoir met en place des cellules du FLN dans les entreprises pur le flicage des travailleurs. Pour lutter contre l’absentéisme et contrecarrer les revendications des travailleurs et des militants de base de I’UGTA, le pouvoir lance une « Opération d’assainissement ». Cette opération a consisté à arrêter les chômeurs et les mettre dans des camps de travail sous prétexte de « délinquance », à discipliner la population avec tout ce que cela entraîne de contrôles d’identité, d’intimidation, de répression à l’égard des résistances. C’était fin 1979, début 1980.
Le Mouvement du printemps
L’année 1980 marque un tournant historique avec la naissance du « Mouvement du Printemps ». Le 10 mars 1980, une conférence sur la poésie berbère ancienne, organisée par l’université de Tizi Ouzou est interdite par les autorités. Pour protester contre cette mesure, les étudiants organisent une manifestation à Tizi Ouzou le 11 mars, occupent les sièges du Darak El Watani (gendarmerie), de la police et du FLN. L’agitation gagne toute la région, la Petite Kabylie et a des répercussions à Alger. Les travailleurs de l’hôpital se mettent en grève pour exprimer leur solidarité. Les mots d’ordre étaient les suivants : « Halte à la répression culturelle », et « Nous en avons assez de l’injustice ». Le 16 avril , c’est la grève générale en Kabylie. Le 20, les forces de l’ordre investissent, à l’aube, l’université de Tizi Ouzou et les étudiants sont sauvagement battus ; ceux qui fuient sont pourchassés par les CNS (équivalent des CRS) et leurs chiens. Les travailleurs de la SONELEC, attaqués par les CNS, menacent de faire sauter la centrale électrique de l’usine.
L’ampleur et la brutalité de la répression provoque une mobilisation populaire contre l’Etat, d’autant que la vue des CNS, équipés, armés et accompagnés de chiens rappelait les noirs moments de la répression coloniale. Aux revendications de la « reconnaissance des langues populaires », de la « libération des détenus » et aux mots d’ordre tels que « union des masses populaires contre la bourgeoisie », le pouvoir opposa la calomnie et le mensonge : « manipulation par l’impérialisme », « tentative de division du peuple » et d’autre encore bien connus.
Des exemples de répression
Aujourd’hui la répression s’abat sur les militants des collectifs culturels, les travailleurs qui osent revendiquer ou s’organiser, les militants politiques, sur tous ceux qui ne veulent plus se taire. Des exemples?
• 22 membres du collectif culturel d’Alger arrêtés en mai 1981, jugés en octobre de la même année, 4 d’entre eux ont écopé d’un an de prison ferme (peine ramenée à huit mois).
• Les ouvriers de la DNC détenus à la prison de Lambèse pour avoir fait grève : cinq ans de prison, les ouvrières de la même entreprise ont été violées par la gendarmerie de Hussein Dey (Alger).
• 5 Jeunes élèves officiers de l’armée arrêtés en novembre 1978 pour avoir été trouvé en possession de journaux du PC International : torturés, jugés en décembre 1980 et détenus à Lambèse.
La liste est longue et nous avons publié dans le Bulletin n° 7 les noms des détenus morts dans cette prison de Lambèse de sinistre réputation.
Tous ces faits demeurent ignorés parce que la répression se fait en silence et la bourgeoisie algérienne, bien sûr, fait tout pour le cacher. Mais la responsabilité de la presse française, en particulier « Le Monde », journal « très objectif » (et très lu en Algérie), mais aussi des organisations syndicales et politiques est entière. Elles ne disent pas un mot de ce qui se passe en Algérie alors qu’elles ont toutes les informations. Pourquoi font-elles tant de tapage lorsqu’il s’agit du Chili, alors que pour l’Algérie c’est le silence complet?
C’est pour contribuer à briser le mur du silence qui entoure la répression , à populariser les luttes et à construire une solidarité réelle avec tous les détenus que le Comité « Riposte à la répression en Algérie » (RIPRA) est né en juillet 1980 .
RIPRA s’est fixé comme tâche de diffuser toutes informations sur la répression par une activité militante, d’appeler à la défense de tous les détenus, indépendamment de leurs idées politiques, (sauf les « Frères musulmans » et les Baathistes qui sont les nervis de la bourgeoisie), par l’action directe.
Riposte à la répression en Algérie
Pour tout contact avec RIPRA écrire à c/o Librairie Parallèle, 47 rue Saint Honoré 75001 Paris