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Asselin : Sorcières iraniennes

Article d’Asselin paru dans La Gueule ouverte, n° 253, 21 mars 1979, p. 20.

La radio ? J’écoute pour savoir l’heure. Entre deux tops, j’entends des choses. Entre autres, on me dit d’un ton roucouleur que le Tchador (deuxième mot de l’iranien assymil après l’anapurnah-Khomeiny) n’est en fait qu’un cache-misère. Vous voyez : le genre blouse grise qu’on avait tous à l’école publique pour que s’efface la différence de classe. C’est aussi, comme à l’armée, l’uniforme, l’unique forme, qui unifie et vous fait pareil. Luxueusement pareil.

Alors voyez, pourquoi ces Iraniennes refuseraient-elles cette mode communautaire, cette marque de fabrique, ce surplus d’identité, ce paravent des différences ?

Ça, c’est la question que sous-entend le gus de la radio. La réponse re-sous entendue, c’est se dire que ces garces d’Iraniennes en ont après leur libérateur et que le brave sauveur à barbe blanche aurait mieux fait de rester planter ses choux à Néauphle. C’est se dire aussi que le Shah, à part quelques bavures, il était pas un mauvais bougre, c’est-y pas son papet qui avait levé le voile ?

De conclusion en conclusion, le type veut nous faire avaler qu’au fond, ce Shah qui nous livrait du pétrole, nous commandait du plutonium, les Iraniens auraient dû se le mijoter. D’autant qu’on se demande quel plus beau souverain va combler le complexe Cléopâtre et Salomon des lecteurs de Point de Vue et Images du Monde.

Mais nous qui écoutons la radio juste pour les histoires de top, on n’est pas fou.

On sait que Shah et Khomeiny, c’est comme cul et chemise. Pas pareils, mais bien proches ! On sait que sous la discorde pointe l’union sacrée de deux systèmes similaires  le totalitarisme monarcho-mercantil, et l’obscurantisme religioso-féodal. De l’Islam aux multinationales, on peut se demander où passe la ligne de démarcation de la libération de l’être humain.

Au Shah, la Savak, à l’ayatollah, le fouet, la pendaison. Bien sûr, tout n’est pas si simple. Bien sûr, la politique avec ses fonctions nationales et surtout transnationales n’admet guère de tels simplismes, mais …

Il fallait virer le Shah. C’est fait. Il faut maintenant virer le reste. L’étape commence tout juste, ne nous affolons pas.

Cette étape commence avec les femmes. C’est que le goût de la liberté est comme le chocolat ; une fois croqué un carré, on épuise la tablette. Vive les femmes ! Elles ont posé le tchador. Elles vont poser le reste et tout réclamer. Tout, tout de suite. Ça se sent, c’est dans l’air. Des sourires de sorcières vont effacer la morosité des punaises de minarets.

Des sorcières, elles naissent en Iran, elles défilent ; elles disent « ô les mecs, ça commence juste, feignasses, remuez-vous, croyez tout de même pas qu’on va retourner aux casseroles, torcher les gosses et Cie ? » Des sorcières, je vous dit, de celles qui effraient le plus les ascètes larbins du dogme. Des sorcières, je vous dis, avec l’impudeur de leurs cheveux aux vents, avec la complicité internationale de l’internationale des sorcières. Et elles mènent le sabbat. Vous avez vu l’incroyable culot que ça leur donne ? En pleine rue ! Mon dieu, mon dieu, pourquoi nous abandonnez-vous ?

Révolution de mecs n’égale pas révolution. Jamais. Il faut arrêter de militer, de politiquer, de faire comme si. Laissons les bonnes femmes, un peu, beaucoup, de temps en temps. Y’en a marre des 1789 qui se terminent en Chirac et Cie. De la nouveauté ! Les filles n’ont jamais fait la révolution ; politiciens, écoutez, ouvrez vos yeux, vos oreilles, détendez votre plexus solaire et laissez-vous porter par les balais magiques.

Votre poussière, c’est l’affaire des sorcières, pas des aspirateurs.

Asselin

Téhéran : 50 000 femmes dans la rue

Depuis le 8 mars, des représentantes du collectif Des femmes en mouvement sont sur place. Elles nous ont envoyé ce communiqué qui relate les évènements de ces derniers jours.

En Iran les femmes font trembler l’édifice monothéiste d’Orient et d’Occident, et en particulier celui des pays d’Islam. Elles se sont battues contre la dictature pro-américaine du shah. Ce n’est certes pas pour revivre sous la terreur de l’ayatollah, rentrer au cloître ou un harem.

Depuis plusieurs jours, elles sont 50 000 à mener dans la rue une guerre sans relâche.

Jeudi 8 mars, elles sont 30 000 à se réunir pour envisager la parution d’un journal, de livres, de brochures (deux sont déjà en circulation). Ensuite, elles sortent dans la rue et crient : le 8 mars n’est ni un jour de l’Est, ni un jour de l’Ouest, c’est une journée mondiale des femmes ; à l’aube de la révolution, les femmes sont oubliées ; nous sommes des femmes Iraniennes, nous ne resterons pas enchaînées ; sans la libération des femmes, la révolution n’a aucun sens ; indépendance, liberté, égalité des droits ; insulter, molester des femmes, c’est un complot de la Savak ; les femmes luttent et leurs luttes sont victorieuses ; nous ne voulons pas de voile obligatoire ; mort au gouvernement islamique.

Vendredi 9 mars, les femmes partent de leur lieu de travail, de leur maison, les lycéennes de leur école… A l’Université, elles discutent passionnément, se rencontrent, cherchent à rejoindre les femmes en lutte dans les pays musulmans. Sur place des femmes du collectif Politique et Psychanalyse du MLF de France, Kate Millett et une femme canadienne apportent leur force et leur solidarité.

C’est la première fois, dans un pays musulman, que des femmes s’élèvent aussi massivement contre la terreur de l’Islam. Leur ardeur et leur courage sont grands.

Samedi 10 mars, 50 000 femmes manifestent à Téhéran contre l’interdiction qui leur est faite par Khomeiny de fumer dans la rue.

Dimanche 11 mars : c’est la première fois qu’on entend dans la rue à bas Khomeiny, c’est un dictateur. Ce sont les femmes qui le disent. Le soir, un membre du gouvernement annonce l’abrogation de la mesure qui obligeait la femme à porter le tchador dans les ministères. Mais les ayatollahs continuent de dire : « couvrez-vous ».

Le lundi 12 mars, 20 000 femmes, très gaies, décidées, parcourent Téhéran en chantant leurs slogans : ce n’est pas le problème du voile qui est important, c’est la liberté ; les femmes doivent se libérer de l’esclavage ; nous combattons la dictature, quelles qu’en soit la forme ; nous ne plaidons pas seulement pour notre cause, mais pour une vraie démocratie ; nous n’avons pas fait la révolution pour qu’ils décident pour nous, nous avons fait la révolution pour changer les structures de cette société.

Elles ont décidé d’organiser des réunions dans tous les quartiers de la ville et de l’Iran. Un sit-in est prévu pour le 13 mars devant la télévision car depuis une semaine leur mouvement est censuré par celle-ci.

En même temps, des femmes ont manifesté en grand nombre à Marseille, à Bordeaux, à Tarbes, à Pau, à Lyon, à Grenoble, à Rouen, à Lille, à Nantes, à Montpellier, à Paris, à Rome, à Madrid, à Milan, à Barcelone, à Montréal. Des réunions ont lieu quotidiennement dans les librairies des femmes et dans les villes où se regroupent des femmes en mouvement.

Depuis, les femmes iraniennes ont décidé de limiter les manifestations et d’entreprendre plus de réunions de travail en profondeur.

Vive la révolution des femmes.

Des femmes en mouvement

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