Article d’Azad paru dans Courant alternatif, n° 27, juin 1983, p. 24-25.
Désormais deux phénomènes déterminent le quotidien de chaque iranien, la militarisation et l’islamisation.
Une militarisation raffinée
Aujourd’hui, vivre en Iran signifie supporter le nombre impressionnant des « pasdars » (miliciens, partisans inconditionnels de Khomeiny) en armes, postés à tous les carrefours, devant les organismes publics, les mosquées, les habitations des dignitaires du régime, sur les routes, autour de la place du village. Pour toutes les informations et filatures, ils sont aidés par un important réseau de jeunes chômeurs motorisés qui circulent dans toute la ville. De plus, depuis septembre 82, ils sont secondés par des milices anti-guérilla qui circulent à bord de voitures spécifiques, fabriquées par Toyota et la Fiat. Ces structures répressives aboutissent à un contrôle total de la vie économique et sociale. C’est ainsi que le rôle des « pasdarans » dans les usines, l’administration, les écoles, passe du contrôle (fouilles systématiques et répétées à la recherche de tracts, cassettes, armes, drogue, etc… ) aux licenciements. Constituées en conseils islamiques, les milices jugent les conflits entre les membres du personnel, notent les personnes, en fonction de leur assiduité aux cours coraniques, prières et heures supplémentaires non payées au nom d’Allah et pour Allah !
Le rationnement, une des conséquences de l’économie de guerre, demande de la part des familles une mobilisation quotidienne. Carnets de rationnement et tickets sont délivrés par les mosquées. Ce sont les mosquées également qui distribuent les produits aux magasins des quartiers, leur quantité est inférieure aux tickets mis en circuit, la différence soustraite va alimenter le marché noir. Dans ces longues files d’attente, qui se forment dès cinq heures du matin, il faut d’abord faire un tour chez tous les commerçants du quartier pour s’informer du produit vendu ce matin-là. Tout est rationné dans l’Iran d’aujourd’hui : la viande, l’huile, le sucre, les œufs, le riz, la lessive, le gaz, les produits laitiers, les cigarettes, les cahiers, les crayons, les tissus, les appareils ménagers, bref tous vos besoins, en ne parlant que des plus élémentaires, sont ainsi quadrillés, morcelés, frustrés. Est-ce grâce aux conseillers russes, qui ont aidé directement et indirectement le régime islamique dans son installation, (avant d’êtres foutus dehors), ou aux nouveaux maîtres qui convoitent toujours davantage ?! Vous avez également les files d’attente devant les ministères, les organismes publics, les hôpitaux. Le temps s’évapore, mais pas vainement. Les discussions s’engagent, les nouvelles circulent, c’est ici que les rumeurs les plus audacieuses se créent, que la solidarité s’organise ; c’est également là qu’éclatent les révoltes sporadiques contre les pénurie, même si elles sont vite étouffées par les milices toujours présentes pour éviter tout débordement.
Islamisation forcée
Encadrer militairement la population ne suffit pas, les institutions islamiques doivent également lui inculquer une idéologie : l’Islam, revu et corrigé par les fidèles, les inconditionnels de Khomeiny. La mosquée est à la fois le symbole et la réalité du pouvoir absolu de la nouvelle théocratie. Traditionnellement lieu de spiritualité et d’opposition, elle multiplie aujourd’hui ses services. A son rôle purement idéologique, s’ajoute celui de répartir et de distribuer les produits de consommation : tickets de rationnement, soupes populaires. C’est à la Mosquée qu’il faut s’adresser pour obtenir un certificat de bonne conduite islamique, indispensable pour postuler un emploi que l’on ne peut obtenir qu’après avoir passé un examen islamique. Et si vous n’avez pas trouvé ce que cherchez, ne désespérez pas, entrez donc accompagné d’un « pasdar » dans les caves de la mosquée où officie le « comité révolutionnaire » du quartier. Vous y trouverez la caverne d’Ali-Baba version moderne, frottez-vous les yeux, c’est bien ça : de la production occidentale, depuis la télévision en couleur, les films, cassettes, postes, machines à laver, aspirateurs, parfums. Mais aussi les tapis persans d’une valeur de plusieurs millions « empruntés » autoritairement lors des perquisitions nocturnes, et des objets d’art acquis de la même manière. Si vous avez le temps pour faire plus ample connaissance avec la mafia du comité, vous trouverez ce que l’on ne trouve plus, un logement (même s’il y a deux millions de réfugiés de guerre sans abri), de l’alcool, de la drogue et après plusieurs visites, l’adresse d’une dame « respectable ». Mais un conseil : ne partez pas sans amener une confortable somme d’argent : ce n’est pas la vente normale, mais des enchères. L’approvisionnement de ces comités est le fruit de la répression des drogués, des alcooliques et des contrebandes !
Sur les murs, des slogans multicolores crèvent les yeux. Des sentences, des jugements, des leçons morales (islamiques) sont les seuls à couvrir les murs ; « Justice, justice, encore plus d’exécutions d’opposants ». Sur un autre mur : « Femme, sans fichu, vous êtes l’objet de toutes les perversions », signés « l’escadron de Dieu ». Ce pouvoir despotique, qui s’immisce dans la vie privée et familiale par les appels à la délation et à la persécution, fait des femmes leurs victimes privilégiées. Ombres noires et silencieuses (seule apparence permise à l’extérieur), les femmes iraniennes ont quitté leurs maisons pour prendre place dans les interminables queues du ravitaillement, pendant que leur mari cherche désespérément un travail (plus de 5 millions de chômeurs), ou un petit bénéfice par la vente de ses tickets sur le marché noir. Le régime islamique, c’est un régime dans lequel aucune attraction, ni loisir n’est envisagé, du moins pour le peuple. Le petit écran est aussi islamisé totalement. Ou bien il passe des films morcelés (toute actrice est noircie ou découpée), ou bien il transmet les prières-propagandes du vendredi dans les villes. Actuellement les reportages sur la guerre sont les plus fréquents, rappel signifiant aux téléspectateurs que pénurie et insécurité sont les conséquences de celle-ci ! Toutefois, pour écouter la réalité du front, vous devez vous renseigner auprès des radios étrangères.
Azad