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Statut personnel : Un premier pas dans la lutte

Article paru dans le bulletin Riposte à la répression en Algérie, n° 8, mars 1982, p. 9-11


La mobilisation des femmes à Alger contre l’interdiction qui leur était faite de sortir librement du territoire, la manifestation devant l’assemblée contre la farce du « code de la famille » ou « code du statut personnel » et plus récemment la manifestation du 23 décembre au cours de laquelle on a vu les femmes descendre courageusement dans la rue pour revendiquer leurs droits, ont permis dans une certaine mesure de lever le voile sur l’oppression particulière qui pèse terriblement sur les femmes en Algérie.

La participation des femmes Algériennes à la guerre de libération nationale de leur a pas permis pour autant de s’émanciper au lendemain de l’indépendance des chaînes de l’oppression habituelle et séculaire qui les frappaient particulièrement.

Déjà pendant la guerre de libération nationale et malgré cette volonté de participer aux luttes et d’être reconnues pleinement, les femmes Algériennes se sont souvent heurtées à l’opposition farouche du FLN qui refusera toujours de les intégrer et de les organiser militairement à la campagne, cloisonnant ainsi leur participation dans le transport des armes en ville et l’organisation de la vie du douar, à la campagne.

Ce phénomène et un facteur important pour comprendre que la participation des femmes au mouvement de libération nationale a toujours été (et continue à l’être, mais dans une situation différente) négociée par le FLN, dès lors que les femmes pendant la guerre de libération représentaient une potentialité incontrôlable au sein du mouvement de libération, et dès lors que la lutte des femmes pendant la guerre entrait en conflit direct avec les besoins du pouvoir car elle s’affirmait comme alliée des luttes menées par les masses populaires.

Pour des milliers de femmes, la guerre de libération nationale a représenté un pas vers une prise de conscience, la période 1962/65 sera marquée par d’incessantes luttes populaires dont les femmes vont se saisir pour continuer à mener la bataille issue du mouvement de libération contre la situation inique qui leur est faite (manifestation de 15 000 femmes à Alger contre le port du voile.)

C’est donc dans ce cadre qu’il faut situer l’offensive menée par l’Etat (le FLN d’hier) contre la « dépravation des moeurs », « l’occidentalisation à outrance », « l’abandon des valeurs arabo-musulmanes ».

En 1966 on vit apparaître un projet de loi de code de la famille qui définit l’évolution de la femme dans le cadre arabo-musulman du respect des traditions. Ce projet s’intègre dans les offensives menées par les frères musulmans et les rétrogrades de la bourgeoisie pour assurer un plus grand contrôle.

Certains ne manqueront pas de nous rétorquer que cela c’est de l’histoire ancienne, nos « tuteurs » voire nos « guides » ont certainement évolués depuis. 1982 n’est pas la période de 1965/66. Ne se qualifient-ils pas eux-mêmes de « progressistes » de « socialistes ». Ne nous prêchent-ils pas le changement dans… la continuité. Essayons de déceler une trace de changement dans cette sacro-sainte continuité.

– L’année 1980 a vu la mobilisation des femmes qui protestaient contre la mesure d’interdiction de sortie du territoire national pour les femmes de moins de 45 ans non accompagnées de « tuteurs ». Quelle a été la réaction de l’Etat ? minimiser la portée de la lutte en la banalisant. El-Moudjahid organe et porte-parole de l’Etat ne manque pas de faire semblant de s’interroger non sans quelques pointes d’ironie et de mépris « qu’est-ce qui fait agiter ainsi notre « gente féminine ».

– En 1981 il y a, selon « nos » autorités compétentes, un vide juridique à combler. En effet les illustres « guides » qui ont doté l’Algérie d’un Etat fort, d’une constitution, d’une charte nationale et une assemblée « populaire », ne peuvent s’en tirer sans combler ce vide. Ce serait un lèse tâche « révolutionnaires » inconvenant.

Ce vide juridique à combler concerne les femmes, il vise plus précisément à réglementer leur place dans la société. L’entreprise est certes délicate, mais nos bourgeois, quant il s’agit des femmes ne s’embarrassent jamais de scrupules démocratiques : ils décrètent le huis-clos pour l’élaboration de ce projet, estimant, selon le quotidien Le Monde du 10/11/81, « le dossier trop brûlant pour être porté sur la place publique.

Sous le nom de « code du statut personnel » le projet de la famille vient de faire sa réapparition, l’expression consacrée est très significative. Elle nous rappelle le célèbre et odieux « code de l’indigénat » de l’époque coloniale, les bourgeois font leur, le langage de leur maître.

Le projet de code de la famille de 1966 définissait l’évolution des femmes dans le cadre arabo-musulman du respect des traditions c’est-à-dire sanctifie juridiquement la situation d’infériorité dans laquelle se débattent les femmes (polygamie, répudiation, mariage forcé etc.). Celui de… 1981 la définit dans les mêmes termes. Aussi à défaut de changement on se trouve confronté nez-à-nez à la continuité. Sainte logique bourgeoise.

Aujourd’hui force nous est de regarder la réalité en face. Il n’y va pas de l’intérêt de la bourgeoisie de promouvoir la libération des femmes quand il y a de ses intérêts de limiter le plus possible leur travail. Si l’Etat aujourd’hui a cédé et reporte le vote de l’avilissant « statut personnel » c’est grâce à la mobilisation, même restreinte, des femmes. Cependant il ne faut pas se leurrer, et s’en tenir là. La lutte continue car qui nous dit que ce même Etat ne reviendrait pas à la charge avec ce même statut, présenté sous la forme d’une charte de la famille qui contiendrai les mêmes dispositions que le précédent statut personnel.

C’est dire toute l’importance pour les femmes de s’atteler au travail de sensibilisation et de mobilisation la plus large possible pour préparer les prochains affrontements – les femmes y gagneraient encore plus en nombre et en force si elles cherchaient dès à présent à lier leurs efforts avec ceux des travailleurs objectivement intéressés par la lutte contre les discriminations et l’oppression.

Dans la lutte qui oppose les travailleurs, les paysans, les étudiants et lycéens à l’Etat bourgeois, les femmes n’auront pas seulement à avancer des revendications qui les intéressent directement en tant que femme c’est-à-dire les revendications pour l’égalité de droit, la prise en charge par l’Etat de leurs problèmes matériels (crèches, garderies d’enfants etc.). La liberté d’avortement et de contraception, mais également des revendications sociales pressantes telles le logement, le transport, les pénuries, la lutte contre la corruption, le favoritisme, le piston et enfin les revendications pour les libertés d’expression, d’association, d’organisation, condition indispensable pour avancer dans la lutte et permettre au mouvement de s’élargir et gagner l’ensemble des femmes et des travailleurs. Si les femmes ne s’organisent pas aujourd’hui, si une avant-garde ne se battait pas chaque jour contre les préjugés réactionnaires et bourgeois et contre les privilèges éhontés, cet espoir sera – et pour combien de générations – qu’une chimère.

– Pour une sensibilisation et une mobilisation plus large.
– Pour l’égalité complète des droits.
– Pour les libertés d’expression, d’association et d’organisation.
– Vive la lutte des femmes.
– Vive la lutte des masses populaires.
– A bas la bourgeoisie.

NON A L’OPPRESSION DES FEMMES !

2 réponses sur « Statut personnel : Un premier pas dans la lutte »

Et la lutte des femmes n’est pas terminée.
1962/1965/1982/2020…Il y’a presque 60 elles luttaient contre le voile traditionnel… aujourd’hui beaucoup portent le voile islamiste.

Sur bien des aspects on a « avancé l’arrière » comme on dit à Alger. Mais la lutte pour l’émancipation est loin d’être achevée. Peut-être ne fait-elle que commencer en réalité.

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