Article d’Afif paru dans Alternative libertaire, n° 45, septembre 1996, p. 21
Dans le cadre du travail théorique effectué par les communistes libertaires arabes, visant à rechercher des recoupements, des rencontres, voire des similitudes entre la pensée arabo-islamique et la pensée libertaire « européenne », voici une contribution faite par notre camarade Afif.
L’histoire arabo-islamique a assisté à une série de mouvements sociaux qui ont été l’objet de polémiques entre les historiens à cause de l’absence de ressources authentiques et directes relatives à ces mouvements, les informations n’étant venues que de leurs adversaires. Parmi ces mouvements, il y a le mouvement Qarmate qui est une des branches de l’ismaïlisme.
Ce dernier désignait au début une des sectes chiites modérées, puis avec le temps il a pris un sens plus large pour désigner l’appartenance de plusieurs confessions religieuses et plusieurs partis politiques et sociaux, ainsi que des diverses opinions philosophiques et scientifiques. L’ismaïlisme fut une association secrète à cause de l’oppression à laquelle étaient soumises les opinions non orthodoxes. Ses buts et ses « tariqs » (sorte de systèmes) n’étaient connus que de ses quelques « leaders », alors que la majorité des partisans devaient diffuser les principes de la da’wa (l’appel) communiste (selon l’expression employée par l’historien Bandali al Jouzi), surtout parmi les Arabes et les Nabatéens.
Le précurseur et le fondateur de ce mouvement, Hamdan al Qarmati (le Qarmate) s’est activé dans la ville de Wasit (en Irak) situé entre el Koufa et el Bassora, puisque la majorité de la population de ces régions étaient des Arabes, des Nabatéens et des Soudanais (soudanais veut dire étymologiquement noirs) que les grands propriétaires terriens amenaient de l’Afrique pour travailler dans leurs terres, dans un rapport d’exploitation horrible, à l’image de ce qui se produisait dans les États du Sud de l’Amérique avant la libération des esclaves. La plupart des gens dans ces régions étaient mécontents de leur situation sociale, ce qui fut le fruit du travail idéologique accompli par l’appel qarmate. Les Qarmates ont réussi à fonder leur État à Bahreïn (290 Hégire – 903 é.c) au Xe siècle. Al Noueiri, historien et écrivain du IVe siècle de l’Hégire nous décrit la fondation de cette société collective dans les environs de Koufa.
Le géographe Ibn Hawqal, au quatrième siècle de l’Hégire, décrit, lui aussi, la forme du pouvoir dans l’État des Qarmates à Bahreïn, comme étant une sorte de république oligarchique, mais dont le gouvernement n’était pas du tout autoritaire, un chef d’une communauté égalitaire, aidé dans son exercice d’un conseil de six personnes, appelés al aqdanya (les gens d’al hal wal aqd, c’est-à-dire les gens qui lient et délient). Le premier pas qu’avait accompli cet État, c’est qu’il a supprimé les impôts fonciers, puis il a supprimé et réduit certaines taxes que devaient payer les ouvriers et les paysans et s’est mis à rechercher d’autres ressources qui pouvaient satisfaire les besoins de l’État sans faire souffrir la population : impôts sur les navires qui traversaient le Golfe arabique, impôts qui pesaient sur les pêcheurs de perles dans les eaux de Bahreïn et du Golfe. Cet État qarmate commerçait avec ses États voisins comme la Perse, l’Irak et la Syrie, et l’argent gagné était dépensé sur les travaux et les services publics. Les problèmes relatifs aux terres étaient pratiquement inexistants, puisque sa plus grande partie était propriété collective des paysans, et l’État lui-même achetait des terres pour les distribuer aux paysans qui en étaient privés.
Le souci majeur des Qarmates, leur revendication principale était : la conception socialiste (communiste).
En fait, leur religion n’était que la croyance en « la bonne raison ». C’est pourquoi ils n’avaient pas de rites et de cultes religieux, et ils n’en avaient pas besoin non plus ; c’est ce qu’ont pu remarquer les historiens musulmans, surtout dans le but d’inciter les gens contre eux ; les historiens ont aussi noté que les Qarmates niaient les prophètes et les lois religieuses. Nasser Khasro, le grand voyageur, qui a visité le Bahreïn vers l’an 1052 é.c à son retour de l’Égypte vers la Perse, et est resté parmi eux six mois, a pu dire des Qarmates « ils n’interdisent à personne de faire sa prière mais eux ne la faisaient pas. »
En tout cas, la plupart des historiens et des voyageurs s’accordent sur une question qui est la suivante : « tout chez eux (les Qarmates) était propriété commune, sauf les épées et les armes. »
Afif