Article de Mohamed Dorbhan paru dans Algérie-Actualité, n° 1260, semaine du 7 au 13 décembre 1989
Source : « Femmes en mouvements » de Merzak Allouache (1989)
La salle de réunion du comité populaire de la ville d’Alger a vécu les jeudi et vendredi derniers des heures uniques. En effet, quelque mille femmes d’âges, de formations, d’origines et de régions divers, représentant 14 associations féminines, y ont débattu, parfois avec beaucoup de passion des dérives intolérantes, du fascisme rampant et de l’anticonstitutionnalité du code de la famille adopté, rappelons-le, par un tour de passe-passe, en 1984.
Bien sûr, si l’objectif de cette rencontre, organisée par le comité provisoire de coordination inter-associations féminines, était l’élaboration d’une plate-forme d’action commune, celle-ci, la rencontre, n’a pas échappé aux querelles de procédures, aux batailles de chapelle et à la houle d’un débat qu’un bureau parfois dépassé a eu souvent du mal à maîtriser. Normal : il s’agissait, ici, d’une première rencontre. En plus, l’urgence et la nécessité ont fait que les femmes et les associations présentes ont su dépasser les débats politiciens, voire « électoralistes » pour adopter une attitude commune contre les menaces et les agressions dont elles sont, depuis quelque temps, l’objet. Et ici, les femmes se sont élevées contre la banalisation, la réduction, à de simples faits divers, d’actes aussi graves que répréhensibles tels que le meurtre d’un enfant de trois ans à Ouargla, la violation, et l’incendie du domicile d’une militante des droits de la femme à Annaba, les bastonnades de Constantine… Simples écarts d’individus mal dans leur peau ?
« Loin de là : ce sont des actes qui s’inscrivent dans une logique obscurantiste, laquelle logique, accuse les femmes d’être à l’origine de maux aussi disparates que le chômage, la délinquance, le manque de logements ou la baisse du niveau scolaire ! »
Une panacée a l’envers ! Pourtant, en 1954, et même avant, le problème ne se posait pas ainsi. A ce moment-là, les femmes se battaient aux côtés des hommes et les balles françaises ne faisaient point de différence. Mais que de reculs depuis ! Les mentalités, apparemment, loin d’évoluer régressent chaque jour. Les manuels scolaires, la télévision et la presse ont, chacun selon ses moyens, enfermé la femme dans des clichés faciles et rétrogrades. Le code de la famille, à travers nombre d’articles, est venu légaliser et remettre au goût du jour des pratiques déjà condamnables. Ainsi, à l’aube du 21ème siècle, des mœurs moyenâgeuses s’offrent, pour le jeu des circonstances, un nouveau droit de cité.
« L’école, loin de constituer un creuset dans lequel se façonne l’avenir, est devenu, au fil du temps, le terrain d’actions, le champ de manœuvres de groupes politiques. Les enfants sont devenus les otages d’un discours prosélyte. Il faut rendre l’école au peuple ! Le code de la famille, lui, est en porte-à-faux avec la Constitution. Des discriminations sur des bases sexistes fleurissent ça et la, dans les lieux de travail ! »
Dans ce cas, des questions demeurent : où est la loi ? Pourquoi l’Etat reste-t-il passif ? Oui, les femmes s’interrogent car, au-delà des menaces physiques dont elles sont quotidiennement les victimes, c’est un projet de soucie qui se dessine, et qui, entre autres, fera d’elles des souffre douleur perpétuels. Cependant, au cours de cette réunion et devant les dangers que représente ce brusque regain de violence, le débat sur l’abrogation du code de la famille fut, par moment, relégué au second plan.
« Ce n’est pas en annulant un papier que la société changera. Le terrain des luttes est ailleurs. »
Mais il n’en demeure pas moins que beaucoup d’intervenantes, soulignant les aberrations du code de la famille, son inadéquation avec les dispositions pénales et les textes législatifs en vigueur, en appellent au conseil constitutionnel. En attendant, et à la fin de cette rencontre prise entièrement en charge par les participantes (hébergement, transports, repas…) une plate-forme, acte de naissance de la coordination nationale des associations et collectifs de femmes, fut adoptée après amendement par les délégués. Ce texte consensuel, rédigé en peu de temps, mérite une large diffusion : il rappelle les luttes féminines, appelle à la lutte contre toute forme de discrimination sexiste, pour la citoyenneté à part entière et revendique des espaces d’expressions. Autant de choses d’importances capitales certes, mais qui ne doivent pas occulter le fond du débat : la monte des intolérances n’est pas seulement une affaire de femmes.
Mohamed Dorbhan