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Cinéma militant : « All’armi siam fascisti » (un procès du fascisme italien)

Article signé D. R. paru dans L’Internationale, n° 24, juillet-août 1964, p. 3

C’est le titre d’une célèbre chanson fasciste ; c’est aussi celui d’un film produit par le parti socialiste italien et destiné à l’origine aux militants de ce parti. Réalisé par des militants, ce long métrage a obtenu miraculeusement le visa de censure commercial en Italie (quelques coupures mineures ayant été faites). Il a été présenté au Ciné-Club Action en juin 1964, pour la première fois en France.

Les réalisateurs (Lino Miccichè, critique à « Avanti », Lino del Fra et Cecilia Mangini, militants PSI) (1) ont voulu, à l’aide de documents dont certains sont très rares, faire le procès du fascisme italien d’abord (imaginez un long métrage sur Vichy), procès qui s’élargit à celui du fascisme international, pour aboutir à la répression des révolutions coloniales ; « chaque fascisme doit avoir son Algérie » entend-on dans le commentaire. Pas de tabou. La pourriture dans toute sa nudité. Les rois, princes, prélats, propriétaires, bourgeois, industriels, papes et grands sorciers, derrière le masque des institutions de la religion, sont exhibés, unis dans leur défense du profit de l’exploitation de l’homme par l’homme.

« Pie XI : « Si Mussolini périclite, le pays périclite. Mussolini a mis une barrière à l’anarchie à laquelle impitoyablement nous conduisent et nous bouleversent le libéralisme et le socialisme, tous deux condamnés par l’Eglise. »

« Le monde a voulu oublier ce qu’ont fait Franco et ses complices, et qu’à Rome, et pas seulement Place de Venise, on a béni le massacre des pauvres. »

« Ainsi finit le grand chant populaire de la République Espagnole. Mais ce fut comme en Espagne, l’Italie partisane, et Varsovie, et Athènes ; encore aujourd’hui, ce fut l’Espagne en Chine, en Israël, en Indonésie, au Guatemala, en Hongrie, au Kenya ; c’est l’Espagne aujourd’hui en Algérie. au Congo, à Cuba. »

« Sur les places des cités, dans les vieilles rues, voilà les importants, les dignitaires, les responsables, les éminents, les éminences, les excellences, les gens en place, les honorables, les notables, les autorités, les prélats, les podestats, les hommes de l’autorisation, de l’intimidation, de l’onction, de la recommandation. Voilà ceux qui fixent le prix du blé et celui de l’âme, qui ont en main le marché du travail et celui des consciences. Et voilà ceux qui ouvrent les portières, qui lèchent les bottes des autorités, et remercient toujours parce qu’ils ne connaissent pas leurs droits. »

Mais ce constat n’est que la base de l’analyse historique que font de cette période les auteurs du film. C’est une démonstration rigoureuse et enthousiasmante de la nécessité de jeter à terre un ordre social qui est le véritable père du fascisme.

Lorsque les ouvriers italiens voient le directeur de Fiat d’alors, entouré de ceux d’aujourd’hui, lécher les bottes de Mussolini, ils ne peuvent plus avoir de doute quant à la nature du régime qu’ils subissent. Les patrons de Fiat n’ont pas payé avec Mussolini ; ils ont simplement changé de serviteurs. La démocratie bourgeoise, dans une période plus stable pour leurs intérêts, les protège à moindres frais.

« Le fascisme a retrouvé son visage d’il y a 50 ans, quand, avant les chemises noires, le conservatisme offrait pour pas cher, sur le marché politique, ses petits groupes provocateurs, pour qu’un peu de fascisme visible masque beaucoup de fascisme invisible. »

Ces phrases sont suivies des images des manifestations de juin 1960 à Gênes, de juillet 1960 à Rome, où les flics frappent les élus de l’opposition qui portent des fleurs aux partisans tombés en défendant leur ville contre les nazis, de Reggio Emilia, de Palerme, où les forces de l’ordre ont rougi le pavé du sang des militants antifascistes.

« Qu’est-ce que votre conscience peut en dire ? Il faut choisir. Votre destin n’est qu’à vous. Répondez », ajoute le commentaire sur les dernières images.

Au cours de la projection, des « mouvements divers » se manifestèrent dans la salle lorsqu’apparurent sur l’écran Lénine, puis Trotsky au cours de l’évocation d’Octobre ; ces mouvements s’amplifièrent quelque peu lorsqu’il fut question de « sanglantes dégénérescences idéologiques » à propos de l’aide de l’U.R.S.S. à la République Espagnole ; mais que peut-on attendre du P.S.I., déclarèrent quelques nostalgiques des bonnes vieilles méthodes. Ce film va trop loin pour eux, il irrite les consciences.

Gramsci avait prévu l’avènement du fascisme et, voix isolée, désirait le front unique. Mais au IIe Congrès du Parti communiste italien, Bordiga et Terracini (majoritaires) font adopter les fameuses thèses de Rome (mars 1922) écartant l’éventualité d’un coup d’Etat fasciste, rejetant la tactique du Front Unique préconisée par l’Internationale.

« Mais l’occupation des usines est une bataille à mener unis. Des conseils d’usines se créent sur l’initiative du groupe « Ordine Nuevo » (journal de Gramsci). Les ouvriers demandent le pouvoir dans le centre du pouvoir. »

Gramsci (dont on susurre qu’il fut exclu pour ses déviations et ses critiques de Staline puis réintégré peu avant sa mort) est aujourd’hui encore au centre de l’actualité. Les « Marxistes-léninistes » italiens (pro-chinois) revendiquent son héritage, les étudiants communistes italiens publient un mensuel « La Citta futura » qui reprend le titre d’un journal fondé par le jeune Gramsci en 1917 ; « l’Unita » et « Clarté » publient sa photo (ce qui ne semble pas particulièrement plaire à la direction du P.C.F., grande partisane de l’Unité prônée par le vieux dirigeant italien… l’explication suivra peut-être, nous l’attendons avec impatience…).

Mais plus encore que la politique erronée prônée par la direction ouvrière traditionnelle à l’avènement du fascisme, celle qui a obéi au découpage stalinien du monde, à la chute de Mussolini, est condamné par le film.

« Avril 45 : l’insurrection libère les dernières villes du Nord, sauve les installations, les ports, les usines, avant qu’arrivent les alliés. Des Alpes aux Apennins, où ils avaient souffert deux hivers, les partisans descendent en ville. A leur tête, les comités de libération. Jamais dans son histoire, l’Italie n’avait connu un mouvement aussi vaste, aussi profond. Plus de deux cent cinquante mille partisans, soixante-dix mille morts. Et l’ennemi ne fut pas seulement le fascisme, le nazisme, mais l’asservissement, l’exploitation et l’injustice qui les avaient précédés et déterminés. Par dizaines de milliers, fascistes et Allemands se rendirent. A Dongo, à Piazzale Loreto, on ne condamna pas seulement les crimes des fascistes. On condamna aussi et surtout un système social qui, pour défendre des privilèges, rend les hommes corrupteurs ou corrompus, oppresseurs ou opprimés. Pourquoi une si grande joie dans la foule ? Pourquoi tant de bonheur ? Ce n’est pas seulement la fin de la guerre et de la peur. Ce fut l’espoir d’une société nouvelle, d’une vraie justice. Ils nous laissèrent les yeux pour pleurer. Des dizaines de millions d’êtres ont disparu dans un vide énorme. Ces femmes ne pleurent pas seulement les morts. Elles pleurent sur nous, les vivants, obligés de lutter pour expliquer ce qui est arrivé, pour dominer les forces de destruction. »

Oui, pourquoi soixante-dix mille morts, pourquoi une si grande joie ? Le « Répondez » que jettent les réalisateurs du film doit avoir une amère résonance aux oreilles des inconditionnels de l’apologie et de la coexistence pacifique.

D. R.


(I) Franco Fortini, auteur du commentaire de « All’Armi Siam Fascisti » a également collaboré au film « Grèves à Turin », dont de larges extraits sont publiés dans la revue de cinéma « Positif » n° 53 de juin 1963.

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