Article de Djouhar Tazrout paru dans Le Renouveau, organe national du Mouvement démocratique du renouveau algérien, n° 4, 16 mars 1968, p. 1 et 4
ALGERIENNES, mes sœurs, soyons solidaires les unes des autres. Nous représentons plus de la moitié de la population de notre pays.
Vous savez troquer, quand il le faut, et vous l’avez prouvé, vos voiles contre le pantalon, et vous savez vous battre.
Le sang qui coule dans mes veines est le même que le vôtre. Mais comme je vis loin de vous, je vois nos problèmes de femmes algériennes d’une façon plus nette, comme si je regardais du haut d’un balcon et je n’accepte pas sans indignation de lire dans « El Moudjahid » du 7 mars, que l’Algérienne « vit indubitablement en marge de la société, et le plus souvent, parce qu’elle le veut bien ». Cette affirmation est révoltante pour notre dignité. « El Moudjahid », qui prétend faire parler une de nos sœurs, qui reste anonyme, intitule cet article : « Ce que nous sommes, ce que nous devrions être ».
L’inertie dont on nous accuse, ne vient pas de nous. Ce n’est pas non plus le fait de nos maris qui nous comprennent et ne s’opposent pas à notre émancipation. Ce sont ceux qui nous dirigent ce sont les tyrans au pouvoir qui ne veulent pas de cette émancipation parce qu’ils la redoutent.
Algériennes, mes sœurs, un pays qui ne lutte plus est sur le déclin. Il faut que chacune d’entre vous, dans la mesure de ses moyens, lutte pour elle pour ses enfants…
Nous avons payé cher notre indépendance, cette indépendance qui devrait faire de nous des êtres libres avec toute la noblesse, les devoirs et les droits que la liberté comporte.
Fières de nous-mêmes ne nous laissons pas influencer par la prose de journaux et de magasines répandus par les despotes qui pressurent notre pays.
Il n’est pas vrai, comme ils l’écrivent, que vous demeuriez un « objet utilitaire et négociable ». Il n’est pas vrai que vous n’ayez pas encore pris conscience de vos droits et de vos possibilités. Vous n’êtes pas, comme le prétend « El Moudjahid » paralysées par un sentiment d’infériorité. Vous voulez, au contraire, vous jeter dans la minée et prendre toutes vos responsabilités sociales.
Il est faux que la religion soit un frein à notre émancipation et que cette religion commande à notre égard une attitude négative et incompréhensible de nos maris et de nos frères.
S’il est des réactionnaires, des rétrogrades, ce sont les tenants du pouvoir, malgré leur masque de pseudo socialisme.
Mais, Algérienne comme vous, je souhaite que celles qui ont eu la chance de recevoir une certaine instruction, que celles qui ont le bonheur d’exercer une profession, que celles qui ont reçu une culture, soient indulgentes pour nos sœurs moins fortunées. Nous avons le devoir de les aider à s’émanciper, de les informer.
Nous ne sommes pas une minorité privilégiée écrasant de son mépris celles que la presse de Boumediène appelle « des sous-développées mentales et intellectuelles ». Nul n’a le droit de proférer un tel outrage. Le seul obstacle à leur promotion c’est le régime qui nous oppresse tous Algériennes et Algériens.
Contre ce régime l’heure est venue de retrouver notre combativité, de projeter la lumière sur ses crimes, sur ses abus de pouvoir, ses abus de confiance en se cachant derrière les idéaux qu’il a trahis. Avides de faire couler le sang de nos frères nos tyrans espèrent par ce moyen durer encore. Ils lanceraient volontiers nos fils et nos frères dans une guerre pour prolonger le régime.
Pour défendre notre pays attaqué, si aucune autre solution n’était possible, nous accepterions, nous, femmes, de nous battre.
Mais quand le Pouvoir s’en prend à nos frères, à nos fils, aux femmes, aux faibles sans défense, nous sommes aux côtés des victimes de la répression, aux côtés des plus faibles.
Algériennes, luttons ensemble, luttons en commun sans nous laisser démoraliser. N’oublions pas que le monde nous regarde et se demande si notre peuple aura un sursaut contre ses mauvais bergers.
Pour masquer son bilan de catastrophe le Pouvoir cherche des cibles faciles. Il accuse notre religion (voir « El Moudjahid »), il s’attaque aux femmes, aux étudiants… Mais personne ne pourra nous arracher la liberté que nous avons conquise. Nous la consoliderons en conservant nos traditions, en les adaptant au monde moderne, en écartant celles qui pourraient être paralysantes, en rendant leur dynamisme à celles qui sont valables, et sans perdre notre personnalité propre.
Algériennes, nous ne voulons plus vivre repliées sur nous-mêmes, enfermées dans notre cadre ancestral. Pour notre progrès, pour notre évolution nous voulons multiplier les contacta avec tous les autres peuples.
Cela ne peut que nous enrichir et nous faire évoluer, comme brassés par la mer les galets se polissent et s’affinent sur les plages de notre Mer Méditerranée.
Mais pour que s’ouvrent largement nos fenêtres sur le monde — un monde en effervescence —, pour qu’entre chez nous la brise du large, il faut d’abord que soit abattu le régime rétrograde et sanglant qui veut nous confiner et nous scléroser.
Et c’est parce qu’elle a osé crier la vérité, parce qu’elle a osé dans son livre admirable « Les Algériennes », — évidemment interdit en Algérie —, porter le fer dans la plaie que l’une d’entre nous — une des meilleures —, Fadéla M’Rabet a été frappée par le pouvoir et révoquée de son poste de professeur au lycée El Idrissi.
J’admire cette femme qui s’est lancée au premier rang dans le combat pour la justice. Faisons comme elle… Osons la rejoindre et nous battre à ses côtés, aux côtés de nos frères et sœurs du Mouvement Démocratique du Renouveau Algérien.
Nous voulons des écoles, des dispensaires, des hôpitaux ; nous voulons une politique de la famille, du travail et du pain pour les nôtres, et non des tanks, des automitrailleuses que les mercenaires de Boumediène retournent contre notre peuple.