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Cercle Zimmerwald : Djilas et « la nouvelle classe »

Article paru dans La Révolution prolétarienne, n° 127 (428), mai 1958, p. 24

La publication en Amérique du livre de Djilas, paru en France sous le titre : « La nouvelle classe dirigeante », a valu à l’auteur d’être emprisonné chez Tito. André Prudhommeaux est venu le 20 avril nous présenter ce livre, dont il a établi la version française, et ses propres réflexions.

Le titre de la version anglaise est simplement : la nouvelle classe. Et Prudhommeaux, qui n’a pas choisi le titre français, remarque qu’il s’agit dans l’esprit de Djilas non seulement d’une nouvelle classe dirigeante mais véritablement d’une nouvelle classe possédante.

Du fait que Djllas est en prison son livre prend un intérêt particulier, mais c’est autre chose qu’un témoignage qu’il a entendu apporter ; formé à l’école du marxisme, il a voulu écrire un livre de doctrine.

Certes, la classe des nouveaux exploiteurs se reconnaît à son genre de vie, au statut privilégié qu’est le sien au sommet de la hiérarchie sociale et qui équivaut à ce qu’est la richesse dans la société capitaliste. A cet égard Djilas la dénonce en moraliste. C’est un homme qui a rompu avec son passé et qui lutte avec ce passé.

Mais, pour significatif que soit cet aspect de son livre, là n’est pas l’important aux yeux de Djilas. Ce n’est pas la part prélevée sur le revenu national qui peut définir une classe. Djilas a voulu parler en sociologue de ce qu’il appelle une nouvelle classe et c’est là-dessus que, selon Prudhommeaux, il convient de réfléchir.

Maîtresse absolue de l’économie, la nouvelle classe est, aux yeux de Djilas, une classe bureaucratique. Mais il s’agit de la haute bureaucratie. Marx, qui avait employé le terme de classe à propos de la bureaucratie, n’avait pas distingué entre haute et basse bureaucratie. C’est de l’appareil du parti communiste qu’est issue la nouvelle classe. Djilas la montre naissant de la révolution.

Si on considère la Révolution française comme une révolution bourgeoise, on doit se rendre compte que la classe bourgeoise s’était constituée avant qu’elle ne s’emparât du pouvoir politique, avant la Révolution — et non après, comme ce fut le cas en Yougoslavie, selon Djilas, pour ce qu’il appelle la nouvelle classe.

Et quel sens donner, dans la perspective que nous ouvre Djilas, à la vue marxiste d’une révolution faisant disparaitre les classes ? Dans quelle mesure peut-on se représenter une telle disparition comme l’absorption de la société tout entière dans le prolétariat ? C’est l’occasion pour Prudhommeaux de rappeler qu’a cette notion d’une disparition des classes Bakounine avait opposé celle d’une égalisation des classes.

Rien ne pouvait mieux amorcer une discussion que les réflexions de Prudhommeaux. Le règne de la nouvelle classe dont parle Djilas évoque dans l’esprit de Guilloré l’ère des directeurs annoncée par Burnham ; ce que décrit Djilas est-il rien d’autre que le capitalisme d’Etat ? Boston considère que l’importance du livre de Djilas est historique plutôt que doctrinale : l’analyse qu’on y trouve laisse à désirer, mais c’est la première fois qu’on entend à l’Est un homme parler authentiquement au nom des exploités — à la différence de ceux qui se mettent à leur tête et les trahissent, comme c’est le cas aujourd’hui en Pologne. Ce qui est sensible aussi, selon Barton, tout au long du livre de Djilas, c’est la manière dont l’appareil communiste impose aux réalités sociales un schéma prédéterminé. Chambelland considère que la seule question demeurant aujourd’hui posée est celle de la domination du monde par la Russie ou par les États-Unis, et que cette question enlève beaucoup de son intérêt au témoignage de Djilas, avec ce qu’il a de personnel et de local. Monatte rappelle que Djilas entra dans la lutte révolutionnaire au moment où l’objectif des hommes d’octobre avait déjà été abandonné : à la révolution sociale on avait substitué la révolution industrielle ; là est l’origine du mal dénoncé par Djilas.

Prudhommeaux clôt la discussion en prenant soin de nous ramener au propos de Djilas : une nouvelle classe est née, au lendemain de la Révolution, de l’appareil du Parti. A Monatte, entre autres, il fait remarquer qu’au lieu de dire qu’à l’Est la révolution industrielle a été substituée à la révolution sociale, on pourrait dire qu’en Yougoslavie comme dans tous les pays où une révolution sociale a porté les communistes au sommet de la hiérarchie, c’est pour maintenir leur puissance et leurs privilèges qu’ils ont imposé une révolution industrielle.

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