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Ernst Toller : Un appel de la jeunesse ouvrière allemande

Appel d’Ernst Toller paru dans Le Populaire, 4e année (2e série), n° 314, 23 février 1919, p. 3

Ernst Toller, pendant son emprisonnement (source)

A LA JEUNESSE DE TOUS LES PAYS

La jeunesse révolutionnaire d’Allemagne salue cordialement la Jeunesse socialiste de tous les pays.

La jeunesse allemande s’est engagée volontairement en 1914, croyant qu’il s’agissait de la défense de la patrie et de la défense du peuple allemand. La Jeunesse allemande a été abominablement trompée. Elle a été la victime de gens sans conscience et elle a été fauchée en de nombreux combats, à la légère parfois, comme à Wytschaete où des milliers de jeunes recrues insuffisamment entraînées ont été envoyées à la mort aux sons de la fanfare. Mais lorsqu’ils surent la vérité, beaucoup d’entre ces malheureux se soulevèrent et se dressèrent de toute leur force contre la guerre, le gouvernement et le militarisme.

Ils ressentirent tous les crimes commis par le gouvernement allemand contre la Belgique et dans le nord de la France, comme une honte personnelle. Et lorsqu’ils portèrent plainte contre les traitements souvent durs qu’eurent à subir en France les prisonnier de guerre, en Angleterre les internés civils, comme lorsqu’ils portèrent plainte coutre les fabrications de munitions en Amérique, qui, avant de se trouver en état de guerre avec nous, avait bien un droit formel, mais non pas un droit moral à cette attitude, ils savaient bien que ces revendications devaient tomber à plat, vu les horribles méthodes de guerre que pratiquait l’Allemagne. La Jeunesse socialiste d’Allemagne s’incline devant les victimes tombées en Belgique, en France, en Angleterre et en Russie.

LA JEUNESSE ALLEMANDE CONTRE LA GUERRE

Dès 1915, un nombre important de jeunes Allemands s’opposèrent à la guerre et furent jetés en prison. Il en fut ainsi à Heidelberg, et les étudiants se soulevèrent contre le parti des pangermanistes et en faveur d’une paix des peuples et d’une politique de responsabilité envers la patrie et l’humanité. Et, lors de la grève de janvier 1918, on vit des jeunes gens se mettre partout à la tête des manifestants et lutter pour la dignité humaine. Et, lorsqu’en décembre 1917 nous eûmes connaissance de l’invention des gaz asphyxiants, nous fûmes secoués de dégoût et jetâmes un appel aux jeunesses de tous les pays, pour les prier de s’opposer à de pareilles mesures et de s’allier à nous pour mettre fin à la guerre. J’ignore si mon appel passa la frontière. J’eusse désiré qu’on l’entendit. Le militarisme — et ce n’est pas encore suffisamment reconnu — a troublé l’âme et le jugement des peuples. Car n’est-ce pas monstrueux que des mères se nomment orgueilleusement des mères de héros parce que leurs fils ont dû périr pour la cause de l’impérialisme ? N’est-ce pas monstrueux que le point d’honneur moyenâgeux du chevalier de grand chemin ait pu se répandre ainsi ? Et c’est pourquoi la jeunesse socialiste allemande acclame les paroles de MacDonald et de M. Snowden : « A bas le militarisme sous toutes ses formes ! » .

Tant que régnera le militarisme, les hommes lutteront à l’aide des lance-flammes au lieu d’avoir recours à la force des idées. Nous prions la Jeunesse de tous les pays de se soustraire au service des armes, là où on cherche à en abuser. Le respect du prochain doit régner au lieu des obus. Je sais bien qu’il va s’agir de luttes auxquelles nous ne pouvons nous soustraire, de luttes non pas pour des questions d’intérêt, mais pour la victoire du socialisme.

Nous voyons aujourd’hui des questions territoriales résolues en quelques heures et c’est pour elles que, durant quatre années et demie, la guerre a sévi dans toute son atrocité et que des millions de frères ont été tués, des millions de frères et de sœurs ont misérablement péri.

L’ECOLE ET LE MILITARISME

La Jeunesse socialiste allemande demande que la Société des Nations délivre l’école du joug que le capitalisme comme le militarisme lui impose. C’est précisément dans l’école que la griserie de la guerre a trouvé des instigateurs systématiques, et les chansons chauvines se trouvaient aussi nombreuses dans les livres d’étude des écoliers allemands que des écoliers français. Il faudrait prendre une résolution que nous avons formulé depuis longtemps au au conseil des ouvriers en Bavière : chaque livre qui glorifie la guerre doit être éliminé des bibliothèques d’enseignement. L’école doit offrir à tout enfant selon ses aptitudes spéciales des possibilités analogues. La société doit subvenir aux dépenses pour les récréations de la jeunesse jusqu’à l’âge de 16 ans. Il ne faut plus que les enfants soient à la charge de leurs parents, comme au début de l’ère industrielle. Nous demandons que, jusqu’à l’âge de 16 ans, les enfants soient exempts de travailler. Nous demandons pour les jeunes gens de 16 à 19 ans la journée de cinq heures. Il ne faut pas que l’Europe cède le pas au Mexique, qui, dès 1917, a réduit le travail obligatoire pour la jeunesse à la journée de six heures.

Il y a encore une autre chose que la jeunesse socialiste d’Allemagne espère de la société des nations, elle espère que l’heure approche où chaque ouvrier, logé aujourd’hui en de misérables réduits, se verra allouer un morceau de terrain dont il sera le maître. Qu’il cultivera où il jettera ses racines et où il vivra librement tout en se sentant lié par le sentiment de la responsabilité sociale.

C’est précisément dans la jeunesse allemande que l’idée de la communauté n’est pas basée sur la souveraineté de l’un sur les autres et qu’elle tend au contraire, aux moyens d’une assimilation organique, au bien de tous. Elle ne voit pas dans le droit illimité des peuples à disposer d’eux-mêmes un même idéal. Ce droit figure parmi les conditions de la société des nations, mais ce n’est pas le seul.

UNE ACTION COMMUNE

La jeunesse socialiste allemande tend la main à celle de tous les pays, en vue d’une activité commune. Elle veut lutter d’un commun accord contre les capitalistes, mais elle demande à la jeunesse socialiste de tous les pays comme un devoir envers nous de s’opposer aux conditions d’armistice qui menacent le peuple allemand dans son existence même, qu’elle s’oppose à une paix par la force appliquée au peuple allemand. La jeunesse socialiste des autres pays est priée d’envisager fait que la jeunesse d’Allemagne est aujourd’hui affamée, souffre de la faim jour par jour et qu’elle risque de rester atteinte pour le reste de la vie. La jeunesse révolutionnaire allemande promet à la jeunesse des autres pays de continuer sa lutte pour la victoire de la révolution. Car il faut bien avouer que la révolution dans sa vraie signification n’a pas encore pénétré tout le peuple allemand. Mais nous ne cesserons pas un instant de lutter jusqu’à son triomphe final et nous vous le promettons. La jeunesse socialiste de tous les pays sait que si le Congrès international de Berne veut avoir une influence sur la Conférence de Paris, ce succès nous laissera loin encore du but que nous voulons atteindre.

Et si nos chefs plus âgés devaient nous lâcher, l’Union de la jeunesse de tous les pays devra reconstituer la Société Socialiste.

Nous, les jeunes, nous ne voulons plus être la chose dont les généraux, les industriels disposent à leur gré. Nous voulons vivre pour le socialisme qui représente pour nous non seulement une nouvelle communauté, de nouvelles relations qui vont d’homme à homme, de peuple à peuple, mais aussi toute toute nouvelle réorganisation économique. Nous voulons vivre et lutter pour l’assurer, pour l’esprit, pour l’humanité.

Ernst TOLLER,
Membre du Conseil exécutif des ouvriers de Bavière.

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