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Appel des communistes hongrois

Texte paru dans L’Internationale communiste, n° 7-8, novembre-décembre 1919, p. 1137-1140

Heltai’s sailors, supporters of the Hungarian revolution, 1918-1919 (source)

Aux prolétaires de tous les pays.

Camarades !

Nous vous adressons cet appel de Hongrie, du pays classique de l’oppression et de l’esclavage ; du pays dans lequel le régime féodal a pu manifester le plus librement sa nature spoliatrice ; du pays où la réaction a sévi à découvert et où des millions de travailleurs ont été privés de tous les droits, où les prisons, les violences de la police et de l’armée ont été la seule réponse à toutes leurs revendications ; du pays où quelques milliers de familles privilégiées détenaient tous les droits, tout le pouvoir, tandis que l’immense majorité de la population n’était qu’un troupeau de bêtes de somme, ou qu’une méprisable canaille.

Les souffrances de la guerre ont pesé sur nous plus lourdement que sur n’importe quel autre peuple. Les dirigeants de notre pays nous ont vendus pour s’assurer le pouvoir et l’impérialisme n’a épargné personne. Les soldats hongrois ont été jetés d’un champ de bataille à un autre et notre petit pays a perdu dans le massacre plus d’un million d’hommes. Et pendant que nos exploiteurs, nos grands propriétaires, nos banquiers, nos spéculateurs s’enrichissaient, nous, prolétaires-travailleurs, nous tombions dans la plus noire misère, nous endurions des privations indescriptibles. On nous a forcés à combattre pour les riches ; pour eux nous avons souffert, nous avons versé notre sang. La famine, les privations et les morts on été notre salaire. C’est peut-être parce que nous avons été soumis à la plus grande oppression, parce que notre peuple a le plus souffert que nous avons été les premiers à entendre l’appel de nos frères russes. Nous libérant par la force de la révolution de la domination des exploiteurs, nous avons proclamé la dictature du prolétariat. Camarades ! Prolétaires ! Notre révolution a été celle des travailleurs, celle des déshérités de ce monde, des oppressés et des exploités contre ceux qui, par les moyens de la guerre, en sont arrivés aux pires crimes. Et notre révolution a vaincu sans avoir versé une goutte de sang. Parce que notre peuple le comprenait clairement, notre peuple le déclarait ouvertement : il n’y avait pas d’autre issue pour la Hongrie, mise en demeure de choisir entre une ruine complète et la dictature du prolétariat. La classe ouvrière s’est ralliée à nous. Animés d’une ferme volonté, énergiquement exprimée, nous avons commencé une tâche difficile : la destruction de la vieille société pourrie et la création d’un nouvel État libre, basé sur l’égalité économique, la République des travailleurs libres et égaux. Maintes fois les maîtres d’hier regrettant amèrement leurs anciens privilèges se sont soulevés contre nous en incitant contre nous les paysans arriérés, corrompus par l’ancien régime. Nous aurions été des lâches et des traîtres à la cause ouvrière si, nous croisant les bras, nous avions laissé faire tranquillement les ennemis de notre organisation sociale ; si nous n’avions pas châtié ceux qui aspiraient au rétablissement de l’esclavage. Mais il n’est pas vrai que nous ayons versé, ne fut-ce qu’une goutte de sang guidés par un sentiment de vengeance ou de haine de classe, que nous avons ôté la vie ne serait-ce qu’à un seul de nos ennemis pour la seule raison que nous étions les plus forts, possédant le pouvoir et la force armée. Nous aurions été des misérables et des traîtres si nous avions donné libre cours aux passions sanguinaires. Nous avons armé les prolétaires pour défendre la révolution et non pour en faire des assassins.

Nous n’avons pu tenir contre la violence des États capitalistes du monde entier. La république Hongroise des soviets est tombée. Et maintenant la bourgeoisie règne par un terrorisme sans exemple. 1.500 de nos camarades languissent dans des prisons ; quelques dizaines y sont déjà morts. Nos adversaires ne se donnent même pas la peine d’accuser leurs victimes d’une façon précise. Il suffit d’une dénonciation, il suffit d’une accusation de socialisme pour qu’un homme soit immédiatement jeté en prison, pour qu’il soit livré à l’arbitraire d’un terrorisme sauvage. Il ne s’agit pas de combattants armés, de révolutionnaires pris les armes à la main pendant une insurrection ouverte, mais d’ouvriers, d’ouvrières, de paisibles travailleurs, d’enfants que l’on arrête, torture et tue. Les maîtres actuels de la Hongrie inventent les plus terribles et les plus abominables moyens de coercition. Si tout ce déchaînement de terreur blanche est possible, c’est que nous voyons derrière nos bourreaux, la force armée de l’Entente. C’est sous la protection des prétendus défenseurs de la liberté des peuples et des droits de l’homme, que l’on verse actuellement à Budapest, en un jour, plus de sang qu’il n’en a été versé pendant quatre mois de dictature prolétarienne.

Pendant les premières émeutes contre-révolutionnaires de Budapest, alors qu’un grand nombre d’ouvriers et de soldats tombaient au cours de combats acharnés, le lieutenant-colonel Roskansili, chef des missions de l’Entente, protesta dans une note violente contre l’exécution des contre-révolutionnaires « qui n’étaient que des adversaires politiques, quoique prêtant une résistance armée ». Et la dictature prolétarienne céda, ordonnant de faire cesser ces exécutions. Et maintenant de paisibles travailleurs qui ne pensent même plus à la résistance armée sont égorgés, sans raison, en masse ; et les missions alliées gardent le silence. Elles font plus : par leur puissance, par leur autorité, elles soutiennent la terreur blanche qui par elle-même et sans leur aide ne durerait pas un jour.

Camarades ! Prolétaires de tous les pays !

Ceux qui sont au pouvoir chez vous, « votre bourgeoisie » en un mot — trouvent à leur goût le sang des prolétaires. Un seul désir les guide : se venger de la classe ouvrière hongroise qui a osé secouer leur joug. Ils ont organisé une grandiose tuerie afin de vous terroriser, afin de vous décourager, afin que vous n’osiez plus tenter de renverser, par la révolution, vos oppresseurs. Ils ne connaissent ni grâce ni merci, le respect de l’humanité leur est inconnu. Quand leurs coffres-forts et leur pouvoir sont menacés, ils ne reculent pas devant la mort de milliers de travailleurs ; de même qu’ils ont envoyé à la mort, sans broncher, des millions d’ouvriers.

Mais, vous êtes avec nous ! Nos souffrances sont les vôtres et vous ne devez pas permettre à la réaction universelle de répondre par un massacre à la révolution légitime du prolétariat hongrois.

Nous nous mettons sous votre protection. Nous attendons, nous espérons que vos forces révolutionnaires nous apporteront la liberté et le salut. Élevez votre voix puissante, rassemblez toutes vos forces pour ne pas permettre que soit anéantie la classe ouvrière de tout un pays, uniquement coupable de s’être soulevée contre la plus abjecte réaction.

Vive la solidarité internationale des travailleurs ! Vive la révolution internationale !

Le Parti Ouvrier Socialiste-Communiste Hongrois.

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