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De la naissance du sionisme à la colonisation ; De la résistance palestinienne au Moyen-Orient socialiste

Articles parus dans Front libertaire des luttes de classes, n° 20, 1er novembre 1972, p. 4-5 et n° 21, 15 novembre 1972, p. 4-5

One of the eight Black September members, who wanted 232 Palestinian prisoners released by Israel (Source)

Quelques semaines après l’attentat de Munich, et les réactions passionnées qu’il a provoquées, il nous paraît important de dépasser la simple polémique autour du fait en lui-même pour mener une analyse politique profonde des problèmes soulevés au Moyen-Orient. Analyse, qu’il faut bien le dire, a souvent été délaissée (et ceci même dans la presse révolutionnaire) au profit de phrases-slogans assez vides de sens politique dans l’urgence où nous nous trouvions de répondre à l’hystérie hypocrite et démagogique de la presse dans son ensemble.

nature de l’Etat d’Israël et de la colonisation sioniste

Pour bien comprendre la dynamique des problèmes politiques posés au Moyen-Orient, il faut d’abord comprendre la nature particulière de l’Etat d’Israël et de la colonisation sioniste. Sans vouloir entrer dans une analyse exhaustive, il nous faut redéfinir certains points.

Il faut d’abord détruire un mythe : la nature discriminative et répressive de l’Etat d’Israël ne tient pas à une quelconque défense de l’Etat face à une réaction de révolte arabe contre l’implantation juive en Palestine mais, en premier lieu, à la nature même de la colonisation sioniste.

Dans le même ordre d’idée, il est maintenant établi, et cela par les officiers israéliens eux-mêmes, qu’Israël n’était pas en danger de destruction à la veille de la guerre de six jours ; ce n’est pas du tout à ces préoccupations qu’a répondu l’attaque des six jours. Ce sont elles pourtant qui ont servi d’arguments majeurs à Israël dans sa campagne de propagande à travers le monde (cf. l’article de Kapelioulo dans Le Monde du 3 juin 1972).

D’ailleurs, les dirigeants israéliens eux-mêmes se sont toujours félicités du fait que la population arabe a gardé le plus grand calme, même pendant la guerre de 1948.

« Même les représentants de la Ligue arabe admettent que les Arabes de la Palestine ne se sont pas soulevés, malgré les pressions exercées sur eux, sauf un nombre infime de bandes armées… »

(Ben-Gourion, dans le Davar du 18 février 1948).

Alors pourquoi cette politique de discrimination pratiquée par l’Etat d’Israël dès sa naissance ? Pour répondre à cette question, il nous faut revenir aux prémices du sionisme politique.

A. Léon, dans son étude magistrale sur la « conception matérialiste de la question juive » explique que le peuple juif, dans son ensemble, jouait un rôle social bien déterminé, à tel point que l’on peut parler (comme l’a fait Marx dans sa « Question juive » de la notion de peuple-classe). Ce peuple remplissait, en effet, les fonctions commerciales et marchandes pré-capitalistes dans les sociétés en voie de transformation capitaliste. Ainsi, quand un pays quittait cette période pré-capitaliste, perdant tous ses aspects féodaux pour s’installer définitivement dans le système capitaliste de production économique et industrielle, les conditions requises pour la floraison du judaïsme dans ses fonctions spécifiques de classe disparaissent. Le judaïsme éclate de toutes les couches sociales de la société et le processus d’assimilation commence. Or, c’est dans cette période de montée du capitalisme et de l’éclatement de la fonction sociale du judaïsme que l’antisémitisme se développe, entraînant des migrations en masse du peuple juif.

Ainsi, en Europe, à la fin du XIXe siècle, aucun rôle économique n’était plus rempli exclusivement par les juifs, les conditions d’assimilation existaient, devant aboutir à la disparition de la communauté juive en tant que peuple-classe. Mais, dans le même temps, les masses juives d’Europe orientale connaissaient leur période de déclin – c’est-à-dire période où les fonctions commerciales prenant de l’ampleur – le judaïsme dans sa fonction sociale trouve concurrence avec la bourgeoisie locale ; cette période est, bien sûr, favorable a la poussée de l’antisémitisme et entraîne l’émigration des juifs.

Or, la bourgeoisie juive occidentale voyait d’un très mauvais œil la venue du judaïsme oriental qui allait relancer le problème juif, l’antisémitisme et donc empêcher son intégration économique. C’est ce qui explique les premières réactions de la bourgeoisie juive (Rothschild, etc.), très opposée au sionisme politique, soutenue par des couches du judaïsme en déclin. Mais c’est ce qui explique par la suite son soutien (financier et jamais pratique, aucun grand bourgeois juif n’a lui-même émigré en Palestine) lorsqu’elle a vu dans le sionisme le moyen d’envoyer ces juifs gênants dans de lointaines contrées. Ainsi la bourgeoisie juive s’intéresse à la détresse du judaïsme oriental non pas pour cette détresse elle-même, mais comme facteur pouvant empêcher son intégration à la bourgeoisie locale.

les courants sionistes

Cette brève analyse historique explique la formation des premiers partis sionistes. Trois courants se dessinent :

– La haute bourgeoisie qui s’intéresse au sionisme uniquement dans un but philanthropique et non pas politique ;

– La moyenne bourgeoisie en déclin des pays de l’Est (Herzl en est le principal représentant) qui sera à l’origine de la création du parti ouvrier social-démocrate (Poale-Tsion qui deviendra Mapaï *) ;

– Le courant de la petite bourgeoisie et d’une frange du prolétariat (Boroklov qui donnera plus tard le Mapam *) qui restera, lui aussi, sur des positions social-chauvines, poussé par la nature même du Sionisme.

Or, le courant dominant dans le Sionisme fut le courant de Herzl qui reflète tout à fait les intérêts de sa classe (la moyenne bourgeoisie) fortement imprégnée des courants nationalistes de l’époque : dans une Europe en pleine expansion coloniale, sa solution penchait tout naturellement vers un nationalisme juif.

Et c’est ce qui explique la nature particulière de la colonisation juive en Palestine. Ce qui comptait pour ce courant, n’était pas tant de se créer des surprofits par l’exploitation de la main-d’œuvre arabe, mais bien la conquête territoriale économique et politique du pays. Il fallait donc conquérir le travail en Palestine, d’où la création d’une concurrence entre les travailleurs juifs et arabes, et la naissance des slogans « conquête du travail », « travail juif », etc. Dans cette logique, on créa le syndicat des travailleurs juifs (Histadrout *, chargé en fait de favoriser l’implantation juive en Palestine et la conquête du marché du travail par les travailleurs juifs en évinçant les ouvriers arabes. Il s’agissait non pas de créer une surexploitation locale au profit d’une bourgeoisie de diaspora, comme dans la colonisation classique, mais bien de créer un état dans tout le sens du terme et comprenant les différentes classes de la société mais uniquement dans le judaïsme. Et c’est dans ce sens que le Sionisme s’inscrit dans la ligne de l’expansion colonialiste européenne en jouant un rôle pilote face aux régions sous-développées. Ainsi le mouvement sioniste (Herzl en tête) s’efforcera de convaincre les impérialismes que le Sionisme pouvait jouer un rôle de tête de pont de l’Occident en Orient et. ainsi, contribuer a l’asservissement des pays sous-développés. D’où l’alliance de l’impérialisme britannique avec le Sionisme (voir l’attitude de l’Angleterre pendant la révolte palestinienne de 1936-39). Il ne faut donc pas se méprendre sur la signification des mesures anglaises contre l’immigration sioniste dans les années 1946-48 qui s’explique par la crainte de perdre leur propre influence au Moyen-Orient et notamment leur influence qu’ils gardaient auprès des classes dirigeantes arabes, mais qui ne remettaient pas en cause leur soutien au Sionisme. Preuve en est leur position vis-à-vis de l’Etat d’Israël qui naît peu de temps après.

De tout cela nous pouvons commencer à déduire la nature actuelle de l’Etat d’Israël. Israël est avant tout une société d’immigrants. Le fait d’avoir émigré donne aux nouveaux arrivants l’impression d’avoir ouvert un nouveau chapitre de leur vie. L’immigré a changé de situation sociale, de classe. En Israël, la majorité des immigrants arrivent de la petite bourgeoisie urbaine. Il voit que tous les postes-clés sont tenus par d’anciens immigrants. Il vit donc dans l’esprit que sa situation sociale est transitoire et dans le seul but de monter dans l’échelle sociale. Cette situation constitue un frein terrible à la prise de conscience de classe du prolétariat israélien.

De plus, Israël vit de l’afflux de capitaux extérieurs, mais sans être exploité économiquement par l’impérialisme qui utilise Israël à des fins politiques.

Dans l’année 1968, Israël a connu un déficit de la balance des paiements de six milliards, dont 70 % ont été couverts par des « transferts unilatéraux de capitaux », n’exigeant ni remboursement ni paiement de dividendes, transferts provenant du judaïsme mondial pour sa plus grande partie, mais aussi des réparations allemandes et du gouvernement américain. Ceci montre bien la dépendance économique qu’Israël connait vis-à-vis de l’étranger, mais aussi démystifie le soi-disant « miracle économique » israélien.

Or cet afflux de capitaux a servi non pas à la bourgeoisie israélienne, mais à l’Etat, à « l’Establishment » sioniste.

En effet, Israël se trouve entièrement aux mains de la bureaucratie sioniste qui a organisé l’implantation en Palestine et qui est constituée par la Histadrout (syndicat patron), l’Agence juive et le gouvernement des partis sionistes sociaux-démocrates. L’Histadrout subventionne tous les partis sionistes (du Mapam au Hérout) en fonction de leurs résultats aux élections, ce qui leur permet de faire vivre leur presse et leurs entreprises économiques, et cela même bien après la disparition des forces sociales qui les ont créées. De plus cette bureaucratie, qui reçoit tous les capitaux, s’occupe de leur redistribution et de leur utilisation. Ainsi l’Agence juive elle-même finance les secteurs non-capitalistes de l’agriculture comme les kibboutzim. Ce système permit de faire tomber non seulement la petite bourgeoisie mais aussi le prolétariat sous le contrôle de cette bureaucratie, lui faisant croire que ses intérêts lui sont directement liés. Ainsi, puisque c’est la Histadrout qui organise la Sécurité sociale comme les Allocations familiales, il faut être affilié à ce syndicat. Ainsi nous sommes dans une situation où 70 % du flux des capitaux ne sont pas consacrés au profit économique ni soumis à des considérations de rentabilité, mais servent directement au budget de l’Etat. Tout cela signifie que les luttes de classes, si elles existent bien, sont limitées par le fait qu’Israël reçoit une aide de l’extérieur.

L’autre frein à la prise de conscience du prolétariat israélien et qui découle directement de la structure sioniste du pays, est la ségrégation ethnique en trois classes distinctes : Ashkenazim, Sephardim, Arabes, qui entrave l’unité prolétarienne au profit de la distinction ethnique. Aussi chaque groupe ethnique social correspondant, afin d’affermir sa position propre, doit se séparer nettement du groupe ethnique sociale se trouvant en dessous de lui dans l’échelle sociale. De plus, le gouvernement sioniste arrive à enrayer les luttes revendicatives du prolétariat juif par l’introduction dosée à l’intérieur du marché du travail de travailleurs arabes des territoires occupés surexploités et sans garantie de l’emploi : ceci est proche de la situation des travailleurs émigrés en France que le système capitaliste utilise comme réserve de main-d’œuvre.

la crise du sionisme

Pourtant, à l’heure actuelle, Israël connaît trois problèmes principaux : d’abord le problème de l’armée, qui prend de plus en plus d’importance, et sape l’économie (24 % du produit national brut en 1970) ; de plus, l’énorme effort qu’il demande à la jeunesse (trois ans de service, plus un mois de période par an) commence à créer un mécontentement parmi cette jeunesse (concrétise par le refus de servir de Giora Neumann, qui se trouve toujours en prison), qui commence à se demander pourquoi elle doit fournir un tel effort « le gouvernement fait-il tout pour faire la paix ?… ».

Le deuxième problème est lié à la nature nationaliste juive de l’Etat d’Israël. En effet, le pays est basé sur la loi du retour qui n’est réservée qu’aux juifs (faisant de tout non-juif un citoyen de deuxième zone) et qui, surtout, réserve d’énormes avantages aux nouveaux émigrants (ils reçoivent un appartement, etc., possibilité, pendant cinq ans, d’acheter tous les produits étrangers sans taxes : voitures, etc. – ce qui, pour Israël, revient pratiquement à moitié prix). Or cette situation commence à créer un sentiment de mécontentement parmi la population qui se trouve depuis longtemps dans le pays et particulièrement la jeunesse qui a des problèmes pour recevoir un appartement, acheter une voiture, etc., alors que les émigrants reçoivent tout facilement. Pourtant, il ne faut pas exagérer la portée de ce problème qui n’aboutit que très rarement à une remise en question politique du sionisme.

En dernier lieu, il faut considérer le problème ethnique. Le sionisme étant une idéologie nationaliste, il s’est adressé à tout le judaïsme mondial dans le même temps, sans voir les différences énormes de situation sociale et économique qui existaient, par exemple entre le judaïsme marocain et le judaïsme allemand. Ainsi, par opposition aux discours démagogiques sur la grande famille juive, « nous sommes tous frères », qui auraient voulu faire oublier les antagonismes de classe, on a vu se développer les différences terribles entre les juifs originaires d’Afrique du Nord (Sephardim) et ceux originaires d’Occident (Ashkenazim). Il existe même une véritable ségrégation sociale, économique et culturelle. Il nous suffit, à ce sujet, de citer quelques chiffres.

Dans l’immense bureaucratie de l’Etat, on trouve la hiérarchie suivante :

En plus, ces salaires se repartissent dans la famille orientale sur un nombre plus grand de personnes :

Ce problème a donné naissance aux « Panthères noires », mouvement des juifs orientaux radicalisés, dont certains éléments se trouvent sur des positions révolutionnaires anti-sionistes et au sein desquelles les militants de Matzpen (révolutionnaire anti-sioniste) ont une certaine influence. Pourtant, il importe de rester prudents à l’égard de cette organisation qui a trop peu de bases politiques et qui agit souvent plus par souci tactique, par choix politique.


  • Mapaï : parti dominant dans le gouvernement (Golda Meir).
  • Mapam : parti de « gauche » sioniste participe actuellement au gouvernement.
  • Histadrout : syndicat patron (syndicat unique).

Comme nous l’avions expliqué dans notre précédent numéro, l’Etat d’Israël s’est construit par l’expropriation des Palestiniens de leurs terres, par la conquête territoriale et en faisant tout pour conquérir la terre et en expulser les occupants. Là aussi citons quelques chiffres : seules 10 % des terres détenues par les organisations sionistes en 1967 avaient été acquises avant 1948 (date de la création de l’Etat d’Israël).

Sabri Geries, dans son livre Les Arabes en Israël, estime qu’après l’indépendance d’Israël, on a volé 100.000 ha de terre rien que par des procédures juridiques diverses (lois d’exception, etc.). Après la guerre de 1948, le nombre de refugies, recensés par l’UNRWA (organisme de l’O.N.U.) était déjà de 600.000 : en 1951 de 900.000. Actuellement le nombre de réfugiés peut être estimé à 1.600.000 dont 800.000 seulement bénéficient des très maigres secours de l’URWA. C’est dire l’état de misère dans lequel ils se trouvent.

De tout cela, on peut comprendre la nature de la lutte du peuple palestinien qui n’est pas tant une lutte contre la sur-exploitation économique et contre la bourgeoisie du pays colonisateur qui l’exerce, mais bien une lutte pour réintégrer les terres dont il a été dépossédé. Ceci pour expliquer dans une certaine mesure les tendances nationalistes qui dominent actuellement dans la Resistance palestinienne. Car il nous appartient d’être nuancés dans notre analyse sur la Résistance et de refuser des assimilations globales des divers courants qui la constituent.

Le réveil du peuple palestinien fut révélé au monde principalement par les activités d’El Fatah et de sa branche militaire El Assifa depuis 1965-66 (nous ne parlons pas du courant ultra-réactionnaire de Choukeiri qui dominait jusqu’alors et dont le seul slogan était « tous les Juifs à la mer ! » ). Ce réveil coïncida avec la radicalisation du régime syrien, d’une part, et avec une crise économique en Israël, accompagnée d’un relâchement de l’esprit pionnier d’autre part. Les prémices d’une action militaire israélienne d’envergure existaient à partir de ce moment (cf : un peu plus tard la guerre des « Six Jours »). Il est à noter que, jusque-là, les réfugiés palestiniens avaient été souvent utilisés par les gouvernements arabes afin de faire oublier les problèmes intérieurs aux masses arabes, sans jamais se pencher véritablement sur le problème palestinien. Or, le mouvement actif de la Résistance est né de la prise de conscience de l’incapacité des régimes arabes à mener à bien la lutte pour la satisfaction des aspirations du peuple palestinien. Pourtant, ces mouvements de Résistance sont nés dans la mouvance des Etats arabes et vivent entièrement des subventions que ces derniers leur accordent et qui les rendent d’ailleurs souvent prisonniers politiquement. Le volontariat n’existe pas dans ces mouvements (sauf au F.D.P.L.P. * dont nous reparlerons).

De plus, la majorité de la Résistance (Fath, O.L.P., etc.) n’a jamais réussi à mener à bien une analyse politique claire de la situation au Moyen-Orient. Ils sont donc prisonniers de positions nationalistes qui les empêchent de voir clairement leur antagonisme avec les régimes arabes et les enferment dans des pratiques uniquement militaires sans recherche d’implantation politique dans les masses (il est à noter l’absence systématique de la Résistance lors des grèves ouvrières qui ont pu se dérouler, principalement en Egypte et au Liban, où la classe ouvrière a mené, ces derniers temps, des combats particulièrement virulents).

Ces positions les ont empêchés de s’organiser face au danger que représentait pour les organisations l’acceptation du plan Rogers, c’est-à-dire mettre sur pied une véritable organisation de classe, implantée dans les masses palestiniennes, à opposer à la clique réactionnaire de Hussein, alliée des dirigeants sionistes. Ce plan a pour objectif fondamental de reprendre en mains le Moyen-Orient et de consolider l’influence politique des Etats-Unis dans cette région. Il s’agissait de geler le problème indéfiniment en réalisant un accord partiel sur l’ouverture du canal de Suez et en prolongeant le cessez-le-feu.

L’acceptation du plan laissait la voie libre pour la liquidation des courants révolutionnaires de la région (cf. massacre des communistes soudanais, massacres de septembre en Jordanie, virage à droite en Egypte, etc.). Après une telle répression contre la Résistance (septembre 1970) on s’attendait à une radicalisation de la Résistance vis-à-vis des régimes arabes. Pourtant (malgré la dénonciation du F.D.P.L.P), elle s’est empressée de répondre à l’invitation pour la conférence de « réconciliation » de Djeddah, et, depuis, elle n’a pas hésité à signer des accords capitulateurs avec les régimes arabes (accords du Caire, etc.), que ces derniers s’empressaient d’ailleurs de ne pas respecter quand ils le jugeaient utile : ces mêmes accords ont, en outre, contribué à isoler la Résistance des masses. Mais, de fait, tant que l’O.L.P. * restera attachée aux subsides des dirigeants réactionnaires, elle ne pourra être que l’exécutant des volontés de ces dirigeants.

Pourtant il nous faut miser sur le F.D.P.L.P. *, aile gauche de la Résistance, qui est la seule organisation qui ait eu un travail d’organisation et de formation au sein des masses palestiniennes avant 70 (cf. à ce sujet la Résistance palestinienne de Thaïlande). Il a su mener une analyse révolutionnaire de la situation, tirer les conclusions de la défaite de septembre, et il est à noter que c’est le seul mouvement qui se soit adressé au peuple juif et particulièrement à son avant-garde révolutionnaire et anti-sioniste.

Dans son rapport sur le massacre de septembre 70, le F.D.P.L.P. dénonce les privilèges matériels et moraux de la bureaucratie dirigeante de la Résistance et son absence de théorie révolutionnaire. Cette absence s’est traduite par le refus de distinguer les « classes contre-révolutionnaires des classes patriotiques et révolutionnaires » et donc par « l’absence de tout programme révolutionnaire dans les relations avec les masses jordaniennes ». Il critique la droite de la Résistance qui « a toujours refusé de prendre part aux luttes des masses ouvrières en Transjordanie » et condamne sa « politique régionaliste ». Partant de la pauvreté du peuple palestinien dans les campagnes, il condamne la Résistance qui s’est contentée de certains services sociaux sans jamais proposer de programme de transformation démocratique. Ainsi, les habitants de la campagne jordanienne ne trouvaient aucun intérêt à donner leur appui à la Résistance. Ceci explique l’isolement de cette dernière lors des massacres de septembre.

Le F.D.P.L.P. * insiste sur le refus de l’idée dominante au sein de la Résistance, à savoir : « contradiction principale avec le sionisme » et considère que la lutte contre le sionisme est inséparable de la lutte contre les régimes arabes. Néanmoins, il est à noter que le F.D.P.L.P. * n’a pas toujours été, dans ses actes, en accord avec ses théories.

Où en sommes-nous actuellement ? La Résistance a subi un coup très dur, en septembre 70, et la répression n’a fait que s’aggraver. Son aile gauche, particulièrement, a été pratiquement décimée. Cependant, il semble que les dirigeants de la Résistance n’ont pu tirer les conclusions nécessaires et celle-ci connaît actuellement une période de désorganisation tant sur le plan politique que militaire. Elle ne donne donc aucune perspective aux masses palestiniennes, prisonnière qu’elle est de sa politique de conciliation avec les régimes arabes. Les éléments révolutionnaires de la Résistance sont actuellement disséminés un peu partout, sans pratique véritable et autonome sur le terrain.

Or, c’est cette période que la réaction a choisi pour essayer de créer une troisième force palestinienne soi-disant représentative. C’est ainsi qu’Israël a organisé des élections bidons en Cisjordanie pour élire des notables qui représenteraient le peuple palestinien dans d’éventuelles organisations. Mais cette force n’a pas du tout été crédible aux yeux du peuple palestinien.

De plus, l’Egypte essaye de pousser l’aile droite de la Résistance à la création d’un Etat autonome qui servirait à enfermer le peuple palestinien entre le marteau israélien et l’enclume jordanienne.

Malheureusement, le refus actuel de l’O.L.P. * de part la nature de son communiqué, nous paraît relever bien plus de considérations tactiques que d’un choix politique et il est à craindre que dans une autre situation ses dirigeants acceptent la création de cet Etat dans lequel il y a tout à parier qu’ils auront une place de choix : et on a vu qu’ils étaient friands d’avantages bureaucratiques !

Face à cette offensive, il convient de développer la clarification idéologique du problème du Moyen-Orient afin de favoriser la restructuration de l’aile gauche révolutionnaire de la Résistance palestinienne. Pour cela, il ne faut pas hésiter à critiquer l’aide droite de la Résistance et particulièrement toutes les organisations qui pratiquent uniquement un terrorisme militaire sans effectuer une travail politique parmi les masses palestiniennes.


C’est à la lumière de cette analyse assez sommaire, il est vrai, que nous pouvons analyser les derniers actes militaires de la Résistance palestinienne tels que l’action du commando japonais à Lod, action revendiquée par le F.P.L.P., et la dernière action de Munich revendiquée par « Septembre Noir ».

Depuis septembre 1970, mois du massacre perpétré contre la Résistance palestinienne par Hussein, sous le regard placide des dirigeants des différents Etats arabes (à l’exception limitée de la Syrie), la Résistance palestinienne, désorganisée et terriblement affaiblie, se trouve dans une impasse.

Cette impasse est due à différents facteurs. Tout d’abord la Résistance palestinienne est sans arrêt exposée aux coups d’Etat sioniste et du régime de Hussein. De plus, Israël, en bombardant continuellement le territoire libanais, essaye de pousser le gouvernement libanais à expulser la Résistance palestinienne du Liban ou tout au moins à entraver son action ; ce en quoi, durant le dernier mois, il a partiellement réussi. Mais la Résistance palestinienne se trouve également dans l’impasse du fait de ce qu’a toujours été son propre mode d’organisation ; à savoir elle a toujours développé uniquement le côté militaire de la lutte et a délaissé son rôle de catalyseur de l’auto-organisation des masses palestiniennes et arabes, sur une base politique de lutte de classe, dans les camps de réfugiés et en Cisjordanie (ceci à l’exception du F.P.D.L.P.). Du fait de ce manque d’implantation véritable dans les masses, après septembre 1970, son appareil militaire étant fortement affaibli, elle n’a pas su sur quelle base solide se redévelopper. C’est dans ce contexte que nous pouvons comprendre, mais non approuver, les « actes de désespoir » de Munich et de Lod.

D’une part, en Israël, de tels actes ne font que rejeter encore davantage la population juive dans les bras du gouvernement réactionnaire. De plus, ils ne font qu’aggraver la situation des Palestiniens vivant sur le sol de l’Etat sioniste. Ainsi, à titre d’exemple, le vaste mouvement de protestation amorcé en Israël à la suite du problème d’Ikrit et Biram (expulsion par l’Etat sioniste des habitants de deux villages) qui avait joué un rôle de radicalisateur pour de nombreux libéraux et « hommes de gauche » et qui avait développé une véritable lutte parmi les Palestiniens en Israël, a été coupé net par l’action de Munich. De plus le gouvernement israélien a pris ces actions comme prétexte pour développer encore plus intensivement une politique de terreur systématique contre les camps de réfugiés palestiniens.

D’autre part, ces actions, parmi les masses palestiniennes et arabes, n’aident pas à une véritable prise de conscience et à une auto-organisation populaire, mais ne sont que des flambées de poudre périodiques ravivant les sentiments nationalistes.

Il nous semble, de ce fait, qu’il est de notre devoir de révolutionnaires de condamner de tels actes qui ne font que retarder la lutte de la Résistance palestinienne pour sa juste lutte de libération.

Ainsi, l’analyse de la nature particulière de la colonisation sioniste nous a permis de voir qu’il existe irrémédiablement en Israël un peuple israélien et qu’il serait aberrant de réduire tout le pays à la bourgeoisie et aux institutions sionistes. Nous devons donc condamner les courants de la Résistance qui refusent de faire la distinction entre le peuple israélien et les structures réactionnaires et sionistes de son Etat, renvoyant ainsi le peuple dans les bras de la réaction.

Au contraire, il faut développer le côté Moyen-Orient de la lutte révolutionnaire et œuvrer vers une lutte commune des masses palestiniennes et arabes et des travailleurs israéliens contre les bourgeoisies respectives et les impérialismes qui les soutiennent et qui maintiennent la région dans état de guerre et de chauvinisme national. Dans ce sens, seule la Résistance palestinienne peut jouer un rôle de catalyseur de l’action révolutionnaire parmi les masses arabes.

Il faut, à ce sujet, mentionner qu’à l’appel du Matzpen*, un essai a été fait de créer une organisation révolutionnaire moyen-orientale regroupant des militants révolutionnaires palestiniens, arabes et israéliens.

Tous les délégués étaient déjà réunis, mais l’entreprise a échoué en raison de divergences entre un courant libertaire et un autre trotskyste. Il est à souhaiter que de telles entreprises se renouvellent et, pour illustrer ce souhait, comme nous avons cité le F.P.D.L.P., nous voudrions terminer en citant le Matzpen* :

« nous croyons que la solution socialiste révolutionnaire du conflit israélo-arabe reste toujours valable : désionisation d’Israël et son intégration dans une union socialiste moyen-orientale. »

Ceci veut dire que les masses exploitées israéliennes doivent jouer leur rôle spécifique dans le processus révolutionnaire du Moyen-Orient. Ils doivent, dans un premier temps, quitter l’idéologie sioniste en se rendant compte de son caractère réactionnaire, pour ensuite mener la lutte ensemble avec les masses arabes et palestiniennes contre les bourgeoisies locales et les impérialismes qui les soutiennent. Ceci veut dire qu’aucun des deux peuples ne doit imposer une révolution de l’extérieur, mais qu’au contraire un véritable Moyen-Orient socialiste ne se construira que par la montée de la conscience révolutionnaire dans tous les pays et la participation de toutes les composantes du mouvement révolutionnaire de la région, unies dans un même combat.

Pour cela, il nous faut, dès aujourd’hui, dénoncer les alliances qui, déjà, se créent entre les gouvernements adversaires lorsqu’il s’agit de lutter contre le mot révolutionnaire (cf. le rôle joué par Israël en septembre 1970) et encourager les organisations véritablement révolutionnaires de la région.

A bas le sionisme !
A bas la réaction arabe.
Pour un Moyen-Orient socialiste.


  • Matzpen : organisation socialiste révolutionnaire israélienne, anti-sioniste.
  • F.D.P.L.P. : aile gauche de la Résistance palestinienne, front démocratique et populaire de la libération de la Palestine.
  • O.L.P. : Organisation de Libération de la Palestine, regroupant la majorité des organisations.
  • Mapam : parti de la « gauche sioniste , actuellement au gouvernement.
  • Herout : parti d’extrême droite israélien annexionniste.

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