Interview de Messali Hadj parue dans L’Observateur, n° 10, 15 juin 1950, p. 22
1) Q. Le peuple algérien est-il concerné par la guerre froide ?
R. – Le peuple algérien n’a absolument aucun intérêt dans le conflit latent qui est en réalité un antagonisme idéologique né des convoitises territoriales et d’expansion économique. Malheureusement, le peuple algérien subit sur son propre sol toutes les conséquences funestes des anciens conflits impérialistes. Il souhaite donc ardemment la fin de tous les conflits, en particulier la suppression du colonialisme qui est la base de toutes les conflagrations internationales. De tempérament pacifique et généreux, le peuple algérien condamne tous les conflits, et en premier lieu, il flétrit et combat celui qui a transformé l’Algérie en terre de souffrance, de misère, de racisme et de spoliation.
2) Q. – Que serait son attitude en cas de conflit ouvert ?
R. – Avant de répondre à cette question, je crois qu’il est indispensable de rappeler que le peuple algérien a été entraîné dans plusieurs guerres tant en Europe que sur d’autres continents. De tous temps, ces guerres lui ont été présentées comme des croisades pour la liberté, la civilisation et le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Après plusieurs expériences, il s’est aperçu qu’il a été trahi et qu’il n’a été qu’un instrument au service des visées impérialistes.
Aujourd’hui, il se rend parfaitement compte qu’on veut encore disposer de lui comme d’un pion dans le futur conflit mondial dont les préparatifs s’intensifient, sans tenir compte de ses protestations ni de ses aspirations. Et pendant ce temps-là, toute l’Algérie est soumise à la plus féroce des répressions.
Pour toutes ces considérations, le peuple algérien, conscient de sa force, de son droit et du danger qui le menace, joindra ses efforts à tous les hommes et à tous les peuples qui, sincèrement et par des actes luttent pour le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dans cette lutte pour la Démocratie et pour la libération nationale, le peuple algérien ne tiendra compte d’aucune contingence si ce n’est celle qui viendrait favoriser son affranchissement du joug colonial.
3) Q. – Pouvez-vous définir les possibilités d’évolution du peuple algérien dans un monde pacifié ?
R. – Un monde pacifié est inconcevable sans l’élimination de certaines causes de guerre et notamment le colonialisme. La paix mondiale suppose la liberté et l’égalité de tous les peuples. Il va sans dire que dans ces conditions les possibilités d’évolution du peuple algérien seront plus grandes.
4) Q. – Liez-vous les considérations de politique intérieure algérienne à une politique française de neutralité ?
R. – Une politique française de neutralité paraît peu probable. Elle serait peut-être viable si elle reposait tout d’abord sur le respect de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dans le cas contraire, il est clair que le peuple algérien agira en fonction de la réalisation de son indépendance.