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Maurice Catalogne : Contre le fascisme

Article de Maurice Catalogne dit Lashortes paru dans Le Libertaire, trente-huitième année, n° 399, 9 juin 1933, p. 1

LE congrès antifasciste qui vient de se terminer n’a pas provoqué, dans la classe ouvrière, de véritable attention. On sait pourquoi. Sous le couvert d’un comité d’organisation étendu à des personnalités diverses, comprenant des représentants de tous les partis – y compris des anarchistes ! – le Parti Communiste en avait pris la direction effective. Il en devait contrôler tous les débats et empêcher, à tout prix, que ceux-ci ne tournent à sa confusion. En fait, le congrès de Paris ne fut qu’une suite monotone de discours, une présentation de thèses bolchéviques, un appel a la réalisation d’un front antifasciste propre à plumer l’inoubliable volaille. Toute tentative de discussion fut sévèrement réprimée : les trotzkistes furent expulsés, le délégué Aulas, ayant critique la position du parti communiste allemand, ne dut son salut qu’à l’intervention du bureau qui se contenta de lui retirer la parole. Seul le député Bergery, bénéficiant, comme le dit à peu près l’ineffable Doriot, de la cote d’amour, réussit à préconiser un « front commun » antifasciste plus étendu. Mais on lui montra péremptoirement qu’il n’était pas à la page, qu’il ne devait pas abuser de l’indulgence et de la sympathie de ses bons amis bolchéviques. Et ce fut tout.

On peut en prendre son parti, hausser les épaules en disant : « Cela ne nous étonne pas … Qu’attendiez-vous d’un pareil congrès ? » … et penser à autre chose. Nous ne sommes pas de ceux qui en prennent leur parti. Certes, nous n’avons jamais cru à l’efficacité de cette nouvelle manœuvre d’un parti discrédité par des fautes sans nombre. Mais l’échec du congrès de Paris ne nous fait pas perdre de vue le danger pressant du fascisme. Il nous est une invite nouvelle à y faire face le plus tôt possible et par tous les moyens.

La classe ouvrière française soupçonne-t-elle le danger ? Elle qui voit les trois quarts de l’Europe submergés par la marée fasciste, se rend-elle compte que son tour peut venir et plus vite qu’elle ne croit ? Ou bien pense-t-elle qu’elle est immunisée contre le fléau, à l’abri derrière les « grands principes » nés de la Révolution française ? On ne saurait rien imaginer de plus dangereux que cet optimisme trompeur.

Il faut le dire dans ce journal où on ne pratique pas la surenchère et où l’on s’efforce de garder son sang-froid … le fascisme naît en France. Entendons-nous bien sur ce point. Car il ne s’agit pas de confondre le fascisme avec quelques manifestations tapageuses de chemises bleues et de camelots du roi. Si le fascisme, en effet, se réduisait à l’agitation de quelques milliers de jeunes gens, surchauffés par une propagande nationaliste, sans écho dans la masse de la population, il ne présenterait aucun caractère de gravité. Mais le fascisme est autre chose. Il est essentiellement un réflexe de défense de la Bourgeoisie tout entière dans sa lutte contre le prolétariat et qui utilise contre celui-ci la haine aveugle d’éléments appartenant à toutes les classes sociales : paysans, petits commerçants à demi ruinés par la crise économique, contribuables, mécontents de toute espèce et qui espèrent se sauver par un changement de régime.

Si l’on veut bien admettre cette définition, on comprendra pourquoi nous disons que, actuellement, le fascisme naît en France. Des tentatives comme celles de d’Anthouard, de Nicolle et de Maüs sont exactement des tentatives fascistes, les premières que nous constations en France. Elles consistent essentiellement, sous l’apparence d’un antiparlementarisme et d’une protestation contre « l’écrasement fiscal », à créer un courant d’opinion hostile à la démocratie bourgeoise et favorable à l’instauration d’un gouvernement « à poigne » capable de dicter sa volonté aux groupes et aux individus. Déjà des résultats substantiels ont été obtenus : des masses de paysans se sont mobilisées ; des petits commerçants ont tenu des assemblées dans les grandes villes, fermé leurs boutiques et cassé les vitres des coopératives ouvrières qui n’adhéraient pas au mouvement ; des contribuables ont prétendu mettre un terme au désordre du budget en imposant la réduction des traitements des fonctionnaires …

L’offensive fasciste est déclenchée. Jusqu’où ira-t-elle ? Soyons sûrs qu’elle ne se contentera pas de demi-succès et qu’elle voudra développer ses avantages au maximum. La crise actuelle va l’y aider en aggravant la situation des paysans, des commerçants, des petits industriels. D’autre part, le chômage, en s’abattant sur la classe ouvrière, lui fournira des troupes qu’elle essaiera d’enrôler. N’oublions pas que les troupes d’assaut hitlériennes étaient formées d’une majorité d’ouvriers et particulièrement de chômeurs. Soyons sûrs que nous assisterons avant peu, en France, aux mêmes tentatives de rassemblement et de corruption.

Phénomène curieux, ces constatations qui tombent sous le sens, le parti communiste s’acharne, semble-t-il, à les mettre en doute. On l’a vu récemment soutenir plus ou moins discrètement certaines manœuvres nettement fascistes. Alors qu’il refuse le front unique avec le parti socialiste et avec les syndicats « réformistes » on l’a vu associer ses efforts à ceux de la pire canaille réactionnaire. Dans certaines réunions de contribuables, jeunes communistes et jeunes royalistes fraternisèrent, reprenant à leur compte la vieille politique du « bout de chemin ». On vit aussi le P. C. appuyer le mouvement des petits commerçants gangrenés de fascisme, recommander la fermeture des boutiques. Mieux encore, au jour dit, les coopératives communistes qui, pour des fins commerciales, ne consentent pas à fermer le 1er mai, baissèrent leurs volets par ordre de M. Maüs.

Nous ne crions pas à la trahison. Mais nous affirmons que de pareilles voies mènent droit au triomphe du fascisme dans le retour des mêmes erreurs qui, par le « plébiscite rouge », la lutte contre Severing et le social-fascisme, ont jeté l’Allemagne dans les bras d’Hitler. Allons-nous répéter ici la même douloureuse expérience ?

Si non, il est temps de définir une politique prolétarienne, également distante de la démocratie bourgeoise et du fascisme, s’inspirant des seuls intérêts de la classe ouvrière. Cette voie passe par l’organisation immédiate d’un vaste front unique antifasciste de toutes les organisations de la classe ouvrière. Elle passe ensuite par l’unité syndicale.

LASHORTES.

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