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Maurice Catalogne : Qu’est-ce que le fascisme ?

Article de Maurice Catalogne dit Lashortes, suivi de « Comment réaliser le Front Unique ? » par René Frémont, textes parus dans Le Libertaire, trente-huitième année, n° 401, 30 juin 1933, p. 1

Toute lutte contre le fascisme doit en premier lieu s’inspirer d’une connaissance approfondie de la nature de ce mouvement. Le fascisme, nous l’avons dit, ne saurait être confondu avec un vague courant d’opinion tendant à la restauration de certaines valeurs politiques ou philosophiques : l’Etat, la Patrie, l’Autorité, la Famille, etc. Ses forces ne sauraient pas davantage être confondues avec certaines troupes de recrutement spécial et étroit telles que camelots du roi, jeunesses patriotes, croix de feu, etc.

Le Fascisme déborde les petits groupements et les sectes politiques ; il ne repose pas sur la base étroite d’une opinion, d’une croyance ou d’un mythe ; mais il est essentiellement un réflexe de défense de toute la Bourgeoisie qui lutte pour son existence, pour surmonter la crise, pour briser la résistance ouvrière. Ses forces sont toutes celles que le Capitalisme pourra conquérir : bourgeois grands et petits, commerçants, artisans, contribuables, paysans et demain ouvriers à l’usine ou en chômage. Ses buts sont l’instauration d’un ordre capitaliste nouveau, rompant avec les pratiques désuètes de la démocratie formelle, bourgeoise, fonde sur la domination absolue, sans conteste (renouvelée de l’organisation des républiques antiques à base esclavagiste) de la Bourgeoisie sur le Prolétariat. Comme tel, on peut donc dire que le Fascisme est une phase décisive, aiguë de la lutte de classes.

L’effort essentiel du Fascisme se porte donc actuellement dans la conquête des masses. Reprenant à son compte la formule tactique de toute révolution prolétarienne, le fascisme se préoccupe de rechercher des appuis dans tous les milieux où sa propagande peut pénétrer. Il vise à tourner à son profit le mécontentement des agriculteurs, des commerçants, des ouvriers grâce à une démagogie habile qui tend à attribuer le désordre économique actuel aux partis de gauche et à la démocratie parlementaire.

Cette manœuvre n’est pas nouvelle. On peut dire que le parti national-socialiste allemand l’a expérimentée avec un plein succès. L’effort principal de Hitler ne fut-il pas cette conquête des masses ? Qu’on se rappelle les années 31 et 32 au cours desquelles les Nazis, méthodiquement, patiemment, firent le siège de la petite bourgeoisie et du prolétariat allemands ? Nous en sommes, en France, a ce stade d’incubation. Mais déjà se découvre la fureur de l’offensive fasciste. Qu’on lise, par exemple, la revue à grand tirage destinée à annoncer aux petits-bourgeois aigris et apeurés la prochaine venue d’un Animateur des Temps Nouveaux ; qu’on lise l’Ami du Peuple et même qu’on lise la grande presse dite d’information. On trouvera partout le même mot d’ordre : le responsable, c’est le Parlement et c’est aussi le Marxisme. Le Parlement est infect, lit-on dans l’Animateur, et on apprend qu’en Italie, où le parlementarisme est vaincu, tout marche bien … Voyez les courses d’automobiles, le triomphe de l’industrie italienne, de l’éducation italienne, de la méthode italienne : des coureurs nombreux, experts, techniciens hardis; des organisations remarquables. Cet ensemble suppose de bonnes écoles, une bonne instruction, une discipline, un courage, une méthode, une MORALE.

Il y a là de quoi faire rêver le petit boutiquier français à qui l’on apprendra bientôt qu’il est brachycéphale et par conséquent appelé aux plus hautes destinées, pour peu qu’il veuille bien pendre son député au prochain bec de gaz.

Ce sont là les moyens ordinaires de la propagande fasciste. S’attaquant, d’autre part, à toutes les conquêtes ouvrières, elle vise à réduire le prolétariat agricole et industriel à la merci du patronat. Elle s’attaque à la semaine de 40 heures, à la loi folle des Assurances sociales. Elle suscite de petites émeutes en faveur des propriétaires agricoles qui se refusent à l’appliquer. Par l’organe de lignes diverses qui prétendent lutter contre l’écrasement fiscal, elle recrute des adhérents, des sympathisants. Elle prépare l’opinion publique à un prochain bouleversement qu’elle ne définit pas encore positivement, qu’elle n’ose pas encore nommer le fascisme, mais qui en a déjà les traits essentiels.

Si l’on est d’accord avec nous sur ce point, on voudra bien reconnaître que les moyens de lutter contre le fascisme ne peuvent être ceux de la propagande ordinaire. A cette conquête des masses par le fascisme, telle que nous l’avons dénoncée, il nous faut répondre par un effort inverse. Le but est celui-ci : montrer à la classe ouvrière, montrer aux paysans, aux petits commerçants qu’ils n’ont rien à gagner au fascisme qui n’est que l’expression des intérêts de la Bourgeoisie, détourner les uns et les autres des mirages de la démagogie et les gagner à la cause du prolétariat révolutionnaire.

C’est pour n’avoir pas compris cette nécessaire contre-propagande qu’en Allemagne, les partis de gauche se sont laissés gagner de vitesse par l’hitlérisme. C’est aussi pour n’avoir pas réalisé son unité de lutte que le Prolétariat allemand a été vaincu.

Il y a là une leçon à méditer.

LASHORTES.


Comment réaliser le Front Unique ?

L’expérience de l’Allemagne est trop proche de nous pour que déjà nous en ayons oublié les leçons. Hitler a pu s’installer au Pouvoir parce qu’il a trouvé devant lui une classe ouvrière désunie, qui n’a pas cessé de s’entredéchirer.

En France nous nous trouvons dans une situation plus grave encore. Non seulement la classe ouvrière est divisée, mais elle est tombée dans un état complet de passivité. Les quelques résistances qu’opposent les travailleurs contre la réduction des salaires, apparaissent beaucoup plus comme les soubresauts d’agonie d’une classe vaincue, que l’action d’un prolétariat conscient qui lutte farouchement pour maintenir son standard de vie.

Il ne faut pas nous faire d’illusions. Le fascisme peut s’installer plus facilement en France qu’en Allemagne, la résistance prolétarienne sera moindre.

Devons-nous conclure qu’il n’y a plus rien à faire, et nous croiser les bras en attendant le coup de grâce ? Il n’est pas dans, mon tempérament de préconiser une telle méthode.

Pour vaincre le fascisme, il ne suffit pas de quelques gestes violents contre ses dirigeants, ou d’une résistance énergique de quelques militants. « Non pas que nous nous refusions de recourir à la violence si elle est nécessaire ; au contraire nous devons être décidés d’appliquer la loi du talion et de répondre coup pour coup ». Mais cela ne suffit pas. Pour enrayer la marche du fascisme, il est nécessaire de créer dans le pays un grand courant anti-fasciste, un vaste mouvement populaire, véritable vague de fond qui balaiera les barons d’Anthouard et autres Nicolle.

Comment créer ce courant anti-fasciste ? Telle est la question qui se pose.

Pouvons-nous par nos propres moyens y parvenir ? Pour tout camarade possédant un peu d’expérience du mouvement ouvrier, cela est impossible. Seuls les étroits sectaires, théoriciens en chambre, qui préconisent la violence et s’échauffent mutuellement dans une arrière-salle, peuvent soutenir une pareille thèse. A ceux-là, la vie n’apprendra jamais rien.

Pour créer un grand courant anti-fasciste, il est indispensable que tous les partis établissent une sorte de trêve, qu’ils forment ensemble un vaste front unique, qui en coalisant les efforts permettra d’atteindre le but visé.

Front unique voilà un terme un peu discrédité. Les communistes l’ont assaisonné à toutes sortes de sauces. Il a perdu son sens primitif. il est aujourd’hui synonyme de division. Il est impossible de parler de front. unique sans qu’automatiquement les manœuvres des congrès d’Amsterdam et de Pleyel apparaissent. L’Union anarchiste unanimement a refusé de participer à ces mascarades. Plus que jamais nous nous refusons de nous y associer. Nous ne sommes pas de la volaille à plumer.

Le front unique ne peut être qu’un accord loyal et circonstanciel, pour un but déterminé.

En diverses circonstances avant et depuis la guerre des accords semblables se sont réalisés.

Accords qui parfois n’ont pas dépassé le cadre local, comme c’est le cas pour nos camarades de Lille lorsqu’ils ont constitué un comité Tom Mooney avec toutes les organisations ouvrières de cette ville. Accord identique que nos camarades d’Orléans ont réalisé pour la formation du comité Legay, et pour le comité de défense de notre camarade Armand. objecteur de conscience.

Différentes tentatives de front unique sont tentées actuellement, mais qui n’apportent que des résultats insuffisants. Cela tient à ce qu’un accord entre les partis n’est pas accompli. Le front unique doit se faire d’organisation à organisation et non entre personnalités de différentes tendances.

Cette union doit se réaliser au sein d’un comité d’action, ou chaque organisation envoie un ou deux délégués, aucune prédominance d’un parti ne doit s’établir quelle que soit sa force numérique.

Le but de ce comité serait d’organiser une agitation par voie de presse, de meetings, de manifestations publiques contre le fascisme. Cette vague de fond indispensable pour briser le fascisme pourra alors se former.

Aucune organisation quelque soit sa puissance est actuellement capable de créer par elle-même, ce courant, la preuve nous en a été fournie par le dernier meeting de la C.G.T. à Japy.

Six ou sept mille prolétaires avaient répondu à l’appel de la centrale syndicale, c’était un succès, mais succès qui fut loin d’être, celui qui aurait été obtenu, si ce meeting avait été organisé par toutes les organisations ouvrières, unies pour un but commun.

Cette unité d’action loyale est donc indispensable elle doit se réaliser rapidement. Devant la carence des partis politiques, il appartient à l’Union anarchiste de prendre l’initiative de la formation de ce comité d’action dans lequel toutes les organisations constitueront un puissant front unique. La question est posée, le Congrès d’Orléans devra la résoudre.

FREMONT.

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