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André Ferrat : La lutte contre le fascisme et l’Internationale communiste

Article d’André Ferrat alias Marcel Bréval paru dans Que Faire ?, n° 11, novembre 1935, p. 34-48

LA PREPARATION ET LA VALEUR DU VIIe CONGRES

Du 25 juillet au 20 août s’est tenu, à Moscou, le VIIe congrès de l’Internationale communiste. Le VIe congrès avait eu lieu sept ans plus tôt, en été 1928.

Au cours de ces sept années, des événements d’une importance énorme s’étaient déroulés dans le monde. Une multitude de problèmes avaient été posés par la vie devant les prolétaires révolutionnaires tant dans les pays capitalistes qu’en U.R.S.S. Il eût été nécessaire que ces problèmes fussent largement et démocratiquement discutés par les délégués des ouvriers communistes de tous les pays réunis en congrès. Cependant, pendant sept ans le Comité exécutif de l’I.C. ne jugea pas utile de convoquer ce congrès, bien qu’il eut à plusieurs reprises changé de position et de tactique sur des questions essentielles et qu’il ait été lui-même plusieurs fois modifié considérablement dans sa composition.

Les statuts de l’I.C. qui prévoient la tenue de congrès tous les deux ans étaient restés lettre morte.

Au moins aurait-on pu croire qu’à la veille d’un événement devenu aussi rare, les communistes membres des différents partis auraient été appelés à discuter. Autrefois, avant chaque congrès, de larges discussions étaient ouvertes de bas en haut du parti, des feuilles spéciales de discussion étaient mises à la disposition des communistes pour que les différents points de vue et arguments puissent s’affronter en toute liberté, sans crainte d’aucune sanction.

Souvent, des plateformes différentes s’affrontaient. La masse des communistes élaboraient leur doctrine, leur tactique dans un vaste effort collectif. Au congrès, des discussions profondes avaient lieu. Il en sortait des résolutions adoptées à la majorité faisant loi dans le parti qui consentait librement à cette discipline.

A la veille du VIIe congrès, rien de tout cela n’eut lieu. C’est à peine si quelque jours avant on eut connaissance des points de l’ordre du jour, rédigés d’ailleurs de façon aussi vague qu’extrêmement brève. Aucun projet de résolution ne fut soumis aux communistes. Aucune discussion.

Conformément aux statuts de l’Internationale, les délégués au congrès devaient être élus dans les différents partis. Là encore, il n’en fut rien. Dans chaque parti, la délégation au congrès fut désignée sans que les membres du parti aient été appelés à donner leur avis, et sans même qu’ils aient eu connaissance de la composition de ces « délégations ».

Par la façon même dont il fut convoqué, le congrès perdait sa qualité d’organe souverain de l’Internationale. Il n’était plus qu’un rassemblement formé en presque totalité de fonctionnaires de l’appareil de l’I.C. et de ses partis.

Il n’était pas l’émanation d’une opinion collective en voie d’élaboration, mais au contraire un collège désigné par en haut, convoqué pour entendre des rapports et l’énoncé d’une tactique élaborée à l’avance qu’il serait ensuite chargé d’exécuter.

C’est pourquoi il n’y eut en fait aucune discussion au congrès. En dehors des quatre rapports présentés respectivement par les camarades Pieck, Dimitrov, Ercoli et Manouïlsky et de quelques discours des leaders, les interventions qui se succédèrent à la tribune ne furent que les comptes rendus de la situation dans les différents pays. invariablement précédés de l’approbation pure et simple des rapports présentés.

Ce qui frappe surtout dans les rapports et résolutions adoptés, c’est la contradiction entre les paroles et les actes ; entre la politique qu’on fait et les principes auxquels on jure fidélité ; entre le passé qu’on approuve (Le VIIe congrès approuve la ligne politique et l’activité pratique du C.E. de l’I.C. – résolution sur le rapport d’activité) et le présent qui en est la négation complète. On approuve la politique du P.C.A. contre toute collaboration avec les « socialfascistes » et on exalte la politique du P.C.F. de collaboration avec les ministre radicaux, avec le parti agraire, etc … Vingt fois, par exemple, on trouvera des rappels plus ou moins fragmentaires de ces thèses comme quoi « dans le front unique le principal, c’est l’action résolue du prolétariat révolutionnaire », comme quoi le P.C. est tenu « de ne jamais renoncer à son travail propre et indépendant », de « ne jamais abandonner son droit de critique sérieuse et motivée du réformisme et du socialdémocratisme », etc … Mais en même temps on donne comme exemple à suivre celui du P.C.F. qui freine l’action résolue du prolétariat révolutionnaire – dans la lutte contre les décrets-lois – et qui, loin de critiquer le réformisme, vient d’adopter une plateforme commune avec le P.S. inspirée de l’idéologie réformiste traditionnelle. On préconise un gouvernement du front populaire en France, en Italie, ailleurs, gouvernement de collaboration avec des partis bourgeois – radicaux et même républicains « modérés » -, on se proclame champions de la « réconciliation française », mais on continue à condamner « la politique de collaboration de classe des chefs réactionnaires de la socialdémocratie »

L’explication que Dimitrov donne de ces contradictions n’explique rien du tout. A ceux qui reprochent à l’I.C. d’avoir effectué un certain tournant à droite, il riposte :

« Que voulez-vous, chez nous, en Bulgarie, on dit qu’une poule affamée rêve toujours de millet. Laissons les poules politiques penser ce qui leur plaît ».

Avec des arguments pareils, on peut justifier tous les reniements, tous les abandons, toutes les trahisons. D’ailleurs, les politiciens bourgeois de gauche se servent à satiété de réponses de ce genre quand les révolutionnaires prolétariens opposent leurs actes à leurs promesses, leur politique à leur plateforme.

Des échappatoires de ce genre ne peuvent satisfaire les communistes profondément troublés par le nouveau langage et la nouvelle politique de leurs dirigeants. Il est du devoir de chacun de nous d’examiner avec toute l’attention nécessaire les travaux du VIIe congrès à la lumière de leur application très avancée en France, afin d’en comprendre la véritable signification.

LA NOUVELLE TACTIQUE

Quelles sont donc les directives essentielles qui émanent de cette assemblée internationale ?

Quelle est cette « nouvelle tactique » pour la lutte contre le fascisme ? « La signification historique du VIIe congrès s’exprime en un seul mot : Unité ! » – répond Thorez à l’assemblée des communistes parisiens le 7 octobre, et il poursuit en citant Dimitrov :

« La réalisation du front unique de la classe ouvrière est, à l’étape historique actuelle, la tâche principale immédiate du mouvement ouvrier international. »

Le contenu de cette tactique du front unique que l’on entend appliquer d’une « nouvelle manière » est résumée de la façon suivante :

Nous utiliserons les contradictions qui existent dans le camp de la bourgeoisie (forces bourgeoises démocratiques contre forces fascistes), nous engloberons toutes les forces antifascistes dans un vaste front unique antifasciste ou front populaire -, nous soutiendrons tout gouvernement bourgeois résolu à mener une lutte véritable contre le fascisme; nous pouvons collaborer avec ces forces dans un « gouvernement du front populaire » (voir notamment rapport de Dimitrov) ; nous sommes pour une armée populaire (du type de l’armée nouvelle de Jaurès), En un mot, dans tous les pays, les partis communistes doivent s’inspirer de la politique du parti communiste français « qui, comme l’on sait, donne l’exemple à tous les partis de l’Internationale de la façon, dont il faut combattre le fascisme ».

Or, cette tactique pratiquée depuis juin 1934 par le parti communiste français sur les instructions de l’I.C. et présentée par le congrès comme modèle à tous les partis de l’I.C. n’est plus la tactique du front unique dans le sens léniniste de ce terme. C’est la tactique du Front populaire.

L’une n’est que l’élargissement de l’autre? Non pas. Il n’y a pas entre ces deux tactiques qu’une différence de degré ou d’amplitude ; il y a une différence de nature, une différence de principe.

Les thèses de décembre 1921 qui ont toujours été regardées par les communistes comme constituant le document fondamental dans cette question sont intitulées « Thèses sur l’unité du front prolétarien ». L’idée centrale de ces thèses, c’est que contre l’offensive de la bourgeoisie, la classe ouvrière doit se présenter unie pour la lutte en dépit du fait qu’elle se divise en plusieurs partis. La notion essentielle, c’est la notion de classe. Même s’ils donnent leur confiance à des éléments petits bourgeois, même s’ils se laissent entraîner par le courant réformiste qui trouve sa source dans la politique économique sociale de la bourgeoisie, même s’ils sont opposés momentanément les uns aux autres par cette politique, l’ensemble des ouvriers sont unis par des intérêts de classe généraux et permanents contre la classe bourgeoise. Suivant les circonstances historiques et les particularités nationales, la classe ouvrière peut être divisée en plusieurs partis ou ne comporter qu’un seul parti pouvant lui-même comprendre plusieurs tendances ou fractions. Mais pour un marxiste, jamais l’intérêt du parti ne peut aller à l’encontre de l’intérêt de la classe ; la notion de la classe prime la notion de parti.

L’avant-garde révolutionnaire doit collaborer sous des formes différentes suivant les situations avec les autres parties de la classe à condition de garder sa liberté d’expression et de critique.

A la base de cette tactique du front unique prolétarien se trouvent les idées élémentaires et fondamentales du marxisme.

La conception du front unique, exprimée dans le pacte de juillet 1934, et élargie à celle du Front populaire repose sur d’autres bases. A la notion d’unité de classe, elle oppose la notion de collaboration des classes, d’alliance avec la classe petite-bourgeoise et une aile de la bourgeoisie : la bourgeoisie libérale.

Cette politique de collaboration des classes, le VIIe Congrès la camoufle et tente frauduleusement de l’identifier avec la politique révolutionnaire d’unité d’action du prolétariat en parlant sans cesse du « front unique ou front populaire ».

Le VIIe Congrès prétend que l’on peut diviser la classe bourgeoise en deux parties, celle avec laquelle on peut s’allier contre le fascisme et celle avec laquelle on ne le peut pas. C’est l’idée fondamentale classique du réformisme. Analysant la politique réformiste du ministre menchévik Tseretelli, Lénine écrivait en mai 1917 que la première des idées fondamentales de ce dernier :

« c’est que l’on peut et doit distinguer deux parties dans la bourgeoisie. L’une qui a consenti « un accord » avec la démocratie, et sa situation est « stable ». L’autre est formée des « milieux irresponsables de la bourgeoisie qui provoquent à la guerre civile. »

(Lénine, « Œuvres Complètes », tome XXe, p. 368.)

L’idée fondamentale de Tseretelli, exposée par Lénine de façon frappante et terme pour terme ne correspond-elle pas à l’idée fondamentale des directions actuelles de l’I.C. et du P.C.F. divisant la bourgeoisie en radicaux qui sont « d’accord avec nous pour défendre la République » et en « factieux, irresponsables qui troublent l’ordre et provoquent à la guerre civile » (Thorez, Gitton, Vaillant-Couturier et Cie, dixit)

Et comment Lénine réfute-t-il cette idée fondamentale du réformisme ? En notant tout d’abord que « Tseretelli (aujourd’hui, il faudrait dire l’I.C.) n’indique aucune différence sociale, de classe entre les deux parties susmentionnées de la bourgeoisie », « qu’il perd de vue l’explication de la politique par la lutte de classe », et que ces deux « parties » de la bourgeoisie sont également, quant à leurs assises sociales, formées de propriétaires fonciers et de capitalistes ; qu’elles ont des intérêts de classe identiques; que c’est se moquer du monde de vouloir les diviser en forces antagonistes sous prétexte que les uns « comprennent leurs véritables intérêts », et que les autres sont « incompréhensif ». Et qu’une telle attitude aboutit en fin de compte a dire aux ouvriers et aux paysans : « Bornez-vous à ce qui est « acceptable » pour les propriétaires fonciers et les capitalistes. »

C’est ce qu’expliquait de façon très populaire Auguste Bebel au congrès de la socialdémocratie allemande à Magdebourg en 1910

« Lorsqu’un lien d’amitié politique s’établit entre moi et le parti qui m’est foncièrement opposé, je me vois alors dans la nécessité d’orienter ma tactique ou ma forme de lutte de telle façon que le lien ne soit pas rompu. Il ne m’est donc plus permis de critiquer, il ne m’est plus permis de lutter sur la base de principes, car ainsi je vexerais mes alliés. Je dois garder le silence, couvrir certaines choses sous le manteau de l’amour, justifier des choses qui ne peuvent se justifier : je dois estomper ce qui n’aurait pas dû être estompé. Voilà les conséquences d’un bloc qui se font sentir également dans d’autres domaines. »

La classe ouvrière de France n’a-t-elle pas déjà pâti de ces conséquences inévitables de toute alliance avec un parti qui lui est foncièrement opposé parce qu’il représente avant tout des intérêt de classe communs à toute la bourgeoisie ?

Au moment même où le VIIe congrès préconisait cette tactique d’alliance avec la bourgeoisie libérale à tous les partis de l’I.C., son « application modèle » en France donnait déjà ses premiers fruits : le P.C.F. ne met désormais dans son programme d’action que ce qui est acceptable au parti radical. Dans son activité quotidienne, il élimine soigneusement tout mot d’ordre qui pourrait choquer le parti radical, il ne se résout à préconiser que des méthodes de lutte (élections, meetings, délégations, etc … ) acceptables par le parti radical, le P.C.F. interdit de critiquer les ministres radicaux qui spolient et écrasent les masses avec les décrets-lois, il ne peut plus défendre réellement les intérêts foulés aux pieds de la classe ouvrière, « car ainsi il vexerait ses alliés. Et quand, à Brest et à Toulon, les ouvriers, privés de toute direction, de toutes perspectives, et que le P.C.F. se refuse de conduire à une lutte efficace, se révoltent, la direction du P.C.F. vole au secours de « l’armée républicaine », des « gardes mobiles républicains » et du glorieux « drapeau tricolore », attaqué par des gens qui ne peuvent être que des « factieux » et des provocateurs.

Telles sont, en effet, les conséquences logiques et inévitables de la politique de collaboration de classe préconisée par le VIIe congrès, conséquences qui deviendront d’autant plus monstrueuses et insupportables à la classe ouvrière que les conflits de classe entre prolétariat et bourgeoisie. Or, dans la période de crise actuelle cette aggravation est inévitable.

C’est parce que tout marxiste sait cela que depuis que le marxisme existe celui-ci condamne la collaboration de classe en régime capitaliste. Cette condamnation est d’ailleurs consacrée par la célèbre résolution du congrès international de Paris en 1900 : « LA LUTTE DE CLASSE INTERDIT TOUTE ESPECE D’ALLIANCE AVEC UNE FRACTION QUELCONQUE DE LA CLASSE CAPITALISTE », qui, par ailleurs, n’admet d’exception que dans des circonstances exceptionnelles et par endroit seulement, à condition qu’il n’y ait pas de confusion de programme et de tactique et que ces exceptions doivent être réduites au minimum. On objecte à ce raisonnement que dans le front populaire, il s’agit de l’alliance non pas avec la bourgeoisie libérale, mais avec la petite bourgeoisie. A cela, il faut répondre d’abord que cette objection n’est pas fondée, que le front populaire est bien l’alliance avec le parti de la bourgeoisie libérale, le parti radical, et que même les dirigeants communistes font tout pour l’étendre au groupe Flandin. Mais il faut, à cela, répondre surtout – et c’est là le fond de la question – comment le marxisme pose et résout la question des rapports du prolétariat avec les autres classes. Le prolétariat ne refuse pas l’alliance avec les éléments petits bourgeois, il les admet même dans son sein, mais à condition qu’ils adoptent son point de vue, qu’ils abandonnent le leur. Ce n’est pas une prétention sectaire, une volonté diabolique de domination à tout prix, mais le résultat des rapports sociaux qui déterminent la conduite des classes sociales. L’alliance avec la bourgeoisie est une duperie, car ses intérêts sont opposés à ceux du prolétariat.

Quant à la petite bourgeoisie, Marx et Engels ont montré déjà en 1848,
dans le « Manifeste Communiste », que la petite bourgeoisie est une classe conservatrice, plus même, réactionnaire. Mais elle agit révolutionnairement lorsque, par crainte de tomber dans le prolétariat, elle abandonne son propre point de vue pour se placer à celui du prolétariat. Cette vérité est confirmée par toute l’histoire depuis 1848 (Voir dans le présent numéro de « Que Faire » les notes de Lénine sur le prolétariat et la petite bourgeoisie).

Cela signifie que l’alliance avec les groupements petits bourgeois n’est profitable au prolétariat que dans la mesure où les classes moyennes abandonnent leurs intérêts actuels et épousent la cause du prolétariat, agissent sous sa direction, reconnaissent son hégémonie

« Dans la mesure où le petit paysan n’abandonne pas son point de vue, il n’est pas à nous », répète Lénine en 1902 après Engels. En s’adaptant aux préjugés du petit bourgeois, en le flattant, en faisant sien le programme radical, en se lançant dans une surenchère démagogique avec les idéologues de la petite bourgeoisie, les dirigeants du parti communiste, loin de défendre les intérêts futurs des petits producteurs – qui sont en même temps ses seuls intérêts réels – mettent la classe ouvrière, la seule classe vraiment révolutionnaire, au service d’une politique de conservation sociale, de défense du régime capitaliste, régime qu’elle a pour mission historique d’abattre.

Le parti du prolétariat ne peut donc pas, contrairement à ce qu’il fait actuellement dans le front populaire, se lier sur une plateforme « intermédiaire » (mélange d’illusions et de préjugés petits-bourgeois). Il peut seulement appuyer ces partis et lutter à leurs côtés chaque fois qu’ils agissent révolutionnairement chaque fois qu’ils sont amenés, par leur position contradictoire, à porter un coup réel à la grande bourgeoisie réactionnaire.

Ces partis oscillant sans cesse entre la bourgeoisie réactionnaire et le prolétariat révolutionnaire, ce dernier doit utiliser ces oscillations, de même qu’on peut utiliser un balancier et amplifier son mouvement chaque fois qu’il vient à la portée de la main, en l’appuyant et en augmentant ainsi sa force vive. Mais pour ce faire, il ne convient pas de s’attacher au balancier, de se laisser entraîner par lui dans ses oscillations. Il faut au contraire rester sur un terrain solide et s’y arcbouter fermement.

C’est pourquoi, même à ce moment où le parti du prolétariat appuie l’action des partis de démocratie bourgeoise, il doit garder son indépendance absolue, il ne peut même à ce moment négliger de développer la conscience propre de la classe ouvrière, c’est-à-dire négliger de développer son programme et de travailler à y rallier les masses, il doit se réserver l’autonomie de son action et de son organisation, sa liberté de critique et de manœuvre.

Les principes de cette attitude développés à maintes reprises par Marx et Lénine (1) restent les mêmes lorsque ces partis de la démocratie bourgeoise sont placés au pouvoir. Vis-à-vis d’un gouvernement radical, par exemple, le parti du prolétariat doit être prêt à cette tactique d’appui successif. Mais là encore, il convient de ne jamais oublier que ce soutien circonstanciel et limité à de tels gouvernements bourgeois ne peut être accompli que par des actions de classe menées par le prolétariat de façon indépendante sans prendre la moindre responsabilité pour des gouvernements de ce genre. La classe ouvrière doit procéder dans son action de soutien de façon autonome et avec ses méthodes spécifiques de combat, qu’elle ne doit pas abandonner pour les méthodes de la démocratie bourgeoise dont elle doit au contraire se méfier.

C’est ainsi qu’en mars 1917, Lénine préconisait le « soutien » du gouvernement Goutchkof-Milioukof (2).

Devant l’appel du Soviet déclarant qu’il faut soutenir le gouvernement sous certaines conditions et qui a demandé à Kérenski d’y participer, Lénine indique que cette participation est une trahison et que le seul moyen d’empêcher la restauration de la monarchie, c’est de réaliser l’armement du peuple. Le seul « soutien » que peut accorder le prolétariat, c’est l’action indépendante des masses populaires armées, organisées et dirigées par les ouvriers conscients, contre la réaction.

C’est à nouveau de cette façon que Lénine, le 12 septembre 1917, explique la façon prolétarienne de « soutenir » le gouvernement Kérenski contre la réaction kornilovienne.

Il y a deux façons de « soutenir » un gouvernement bourgeois démocratique contre la réaction : la façon opportuniste et petite-bourgeoise, celle du VIIe congrès (alliance, bloc avec les partis démocratico-bourgeois, avec ou sans participation ministérielle) ce qui est contraire aux intérêts du prolétariat, et la façon prolétarienne de réaliser ce « soutien » (action indépendante des masses dont les formes sont déterminées par les particularités de la situation).

LE GOUVERNEMENT DU « FRONT POPULAIRE »

Engagé aussi résolument dans la politique de collaboration avec la « bourgeoisie démocratique » le VIIe congrès devait normalement aboutir à la forme gouvernementale de cette alliance des partis du « front populaire ».

Si l’alliance des partis communiste, socialiste et du type radical est admissible et souhaitable dans la lutte contre le fascisme, il faut obligatoirement en déduire que cette alliance sera encore plus efficace et encore plus souhaitable si elle détient le pouvoir politique et utilise ce pouvoir politique contre le fascisme. C’est bien ce qu’en a déduit le VIIe congrès.

Il s’agit pour lui de constituer « pour lutter contre le fascisme » un gouvernement de collaboration de l’avant-garde révolutionnaire du prolétariat avec les autres partis antifascistes (rapport de Dimitrov, Correspondance Internationale, n° 70, p. 1.042). C’est-à-dire concrètement, en France, un gouvernement de collaboration du parti communiste et des autres partis du front populaire antifasciste (parti socialiste, parti radical, parti néo, parti républicain socialiste).

Tout un chapitre du rapport de Dimitrov est consacré à parler de ce gouvernement « qui n’est pas un gouvernement de dictature du prolétariat ». Il expose les conditions dans lesquelles il prévoit un tel gouvernement, les tâches qu’il lui assigne, les fautes qu’il ne doit pas commettre, blâme à l’avance toutes ces déviations opportunistes et gauchistes qui peuvent être commises lors de la constitution et de l’existence d’un tel gouvernement, etc., etc … , bref, rien ne manque dans cette vue prophétique, rien, qu’une petite bagatelle :

« A quelle classe appartiendra le pouvoir » ? Non seulement on chercherait en vain une réponse à cette question dans tous les textes du VIle congrès, mais encore cette question dont Lénine disait précisément qu’elle était la question capitale chaque fois qu’il examinait un gouvernement (3), cette question n’est pas même posée. Plutôt que de la poser, on préfère pourfendre à l’avance les « opportunistes » et les « ultragauches » qui s’avèreront, une fois de plus, les uns et les autres comme n’ayant rien compris.

La théorie marxiste et léniniste nous a appris que le pouvoir politique ne réside pas dans le gouvernement, mais dans l’appareil d’Etat.

« Toute l’histoire des pays parlementaires et du parlementarisme bourgeois, dit Lénine, … montre que la succession des ministres n’a que fort peu d’importance, tout le travail réel d’administration étant confié à une immense armée de fonctionnaires … pénétrée d’esprit antidémocratique … momifiée, figée dans des formes immuables … basée sur le principe hiérarchique ainsi que sur certains privilèges réservés au « service de l’Etat ». Ses cadres sont complètement asservis par l’intermédiaire des banques et des sociétés anonymes, au capital financier dont ils sont dans une certaine mesure les agents … Cet appareil est absolument incapable d’appliquer des réformes, je ne dis pas abolissant mais même limitant de façon plus ou moins effective les droits du capital … »

C’est pourquoi un gouvernement, un ministère des partis du front populaire, même s’il était composé de gens de bonne foi, ne peut absolument pas faire appliquer par cet appareil les mesures que le VIIe congrès déclare être les mesures du programme minimum d’un tel gouvernement : « contrôle de la production, contrôle des banques, dissolution de la police, son remplacement par la milice ouvrière armée, etc ».

L’appareil d’Etat bourgeois n’étant pas brisé et un nouvel appareil d’Etat n’étant pas mis à sa place, des antifascistes véritables, membres du gouvernement, se trouveraient devant l’alternative suivante : ou bien être sans cesse en opposition avec le véritable gouvernement, c’est-à-dire les hautes sphères du capital financier et des hauts fonctionnaires de l’appareil qui refuseront d’appliquer ses directives et devant lesquels il n’aura pas de force, c’est-à-dire ne pas être en fait membre du gouvernement ; ou bien se tenir dans le cadre des mesures tolérées par la machine d’Etat et les véritables détenteurs de ses leviers de commande, c’est-à-dire ne pas être antifasciste. Il leur est de toute façon impossible d’utiliser leur position gouvernementale.

Mais, disent les néo-millerandistes de l’I.C., nous supposons que « l’appareil d’Etat de la bourgeoisie est désorganisé et paralysé ». Nous voudrions bien savoir par quel miracle l’appareil de la bourgeoisie serait « désorganisé et paralysé ». Il ne sera jamais désorganisé et paralysé de façon automatigue ; il faut que ce soit les masses révolutionnaires qui, par la violence le « désorganise et le paralyse ». Car comme disait Jules Guesde : la bourgeoisie ne se suicide pas, il faut que le prolétariat la « suicide » (4). Autrement dit, il faut que préalablement à la constitution du nouveau gouvernement, les masses révolutionnaires aient brisé le vieil appareil d’Etat et anéanti les bandes fascistes armées. Cette opération a un nom : elle s’appelle la révolution ? Mais le VIIe congrès nous répète sur tous les tons que précisément la révolution n’aura pas lieu avant la constitution d’un tel gouvernement.

Enfin pour réaliser la moindre des réformes que le VIIe congrès fixe comme tâche à ce gouvernement, il faut non seulement que le vieil appareil d’Etat soit brisé, mais il faut encore qu’un nouvel appareil d’Etat s’appuyant réellement sur les masses, lui soit substitué et soit à la disposition du nouveau gouvernement. Mais le VIIe congrès nous répète sur tous les tons que dans la situation qu’il envisage, certes « les larges masses de travailleurs se dressent violemment contre le fascisme et la réaction, mais, souligne-t-il bien, ne sont pas encore prêtes à se soulever pour la lutte pour le pouvoir soviétique ». C’est-à-dire dans une situation ou il n’y aura pas encore un appareil d’Etat constitué par les masses révolutionnaires organisées capable de se substituer au vieil appareil d’Etat bourgeois.

Le VIIe congrès essaie de faire croire et de prouver, en accumulant les invraisemblances, et les contradictions, qu’un véritable gouvernement antifasciste capable d’organiser le contrôle de la production, la dissolution de la police et son remplacement par les milices ouvrières, est possible sans révolution ? Mais n’importe quel révolutionnaire sérieux voit qu’il lui est impossible de fournir la moindre justification sérieuse, la moindre vraisemblance à ces tentatives utopiques d’un gouvernement sans appareil d’Etat, au-dessus des classes, planant dans les nuages du rêve.

Toute cette fantasmagorie de gouvernement populaire « qui ne serait pas encore un gouvernement de dictature du prolétariat » ne peut que mystifier les masses. Mais dans la froide réalité des rapports de classes il n’est pas difficile de voir ce que sera réellement ce gouvernement composé par les partis communiste, socialiste, radical, etc … , que les phrases révolutionnaires pédantes et contradictoires du VIIe congrès ne visent qu’à camoufler. Ce gouvernement venant au pouvoir sans révolution sera et ne peut être autre chose qu’un gouvernement de collaboration de classe, avec un appareil d’Etat bourgeois et avec braqués sur son dos les révolvers et les mitrailleuses des ligues fascistes. Gouvernement incapable de faire quoi que ce soit contre le capital en faveur du prolétariat parce que ne disposant d’aucun pouvoir pour réaliser cette politique. Mais dans la mesure où il est concevable, il serait en revanche un gouvernement capable d’illusionner le prolétariat pour une certaine période avec ses ministres « communistes » jouant le triste rôle de paravent et de paratonnerre pour le protéger de la colère des masses et reproduisant les exploits de Millerand de 1889 flanquant le bourreau Galliffet, faisant fusiller les ouvriers de Châlons par les troupes républicaines … et les pires heures du ministère d’union sacrée de 1914.

La guerre n’est que la continuation par d’autres moyens de la politique menée en temps de paix. La politique de collaboration de classe « contre le fascisme » en temps de paix ne peut que se transformer en politique d’union sacrée en cas d’une guerre contre l’Allemagne hitlérienne. La déclaration de Staline qui « comprend et approuve pleinement la politique de défense nationale faite par la France pour maintenir sa force armée au niveau de sa sécurité » est bien l’expression de toute la politique du VIIe congrès, qui, naturellement, l’approuva hautement.

Sixte-Quenin, un réformiste qui souvent dit ce que les autres, plus prudents, préfèrent « faire sans le dire », met tous les points sur les i dans son article « Voyons clair » (Populaire du 19 septembre) :

« S’il était admis que les députés communistes, et par conséquent les socialistes, ne pourraient voter pour leur gouvernement, le jour où des gardes mobiles auraient bousculé des grévistes ou des manifestants de gauche, on pourrait tenir pour acquis que ce gouvernement ne vivrait pas de longs jours … J’imagine, en effet, qu’il n’est pas dans l’esprit de personne d’attendre des radicaux, avec lesquels on collaborerait, que sous le gouvernement dont ils feraient partie, le patronat serait laissé seul en présence de grévistes éventuels.

… Même s’il y a des communistes et des socialistes au gouvernement, c’est l’Etat bourgeois qui continuera à vivre. Cette majorité gouvernementale devra voter des milliards pour le militarisme, le colonialisme et la police, parce que si elle s’y refusait son gouvernement tomberait »

On ne peut rien ajouter à ces constatations cyniques qui découlent logiquement de l’attitude actuelle du parti se préparant à « vendre la force politique du prolétariat au gouvernement bourgeois, » comme a défini la politique de coalition gouvernementale, en 1910, Kautsky qui était à ce moment marxiste. Les théories du VIIe congrès sont inspirées non pas par l’esprit de Kautsky-marxiste mais par celui du « renégat Kautsky » enseignant qu’entre la société capitaliste et la société socialiste se trouve la période des « gouvernements de coalition bourgeois-ouvriers ».

PEUT-ON VAINCRE LE FASCISME EN SUIVANT LA LIGNE DU VIIe CONGRES

De plus en plus se développe, dans certaines sphères du parti, la conception de désespoir qui est au fond celle du VIIe congrès : « oui, l’essentiel est de battre le fascisme même au prix de renoncer pour une période à la révolution prolétarienne ».

Tactique désespérée, car le renoncement « pour un temps » à la révolution prolétarienne laquelle ne devient plus qu’un mythe lointain, sans liaison avec les tâches présentes c’est précisément dans la période présente la certitude qu’il sera impossible de vaincre le fascisme.

Cela sera impossible parce que le prolétariat est la seule force qui par sa lutte en tant que classe est totalement opposée au fascisme. C’est seulement dans la mesure où il mènera sa lutte en tant que classe, c’est-à-dire de façon indépendante, s’il se soumet, comme actuellement il a commencé à le faire sous la direction de l’I.C., à la démocratie bourgeoise dont il accepte le programme, il perd sa force d’attraction vis-à-vis des masses petites-bourgeoises, surtout de la paysannerie, justement dans le moment où celle-ci, sous l’effet de la crise, commencent à se libérer de l’influence et de la direction de la bourgeoisie libérale.

En se liant lui-même au parti radical et en se plaçant inévitablement par cette alliance sous l’hégémonie du parti radical, en n’étant plus qu’un appendice de la démocratie bourgeoise, le prolétariat partage toutes les responsabilités de l’impuissance et des palinodies et des trahisons de la bourgeoisie libérale dont les intérêts fondamentaux de classe ne se différencient pas de ceux de la bourgeoisie réactionnaire et du fascisme. Chaque nouvelle et inévitable faillite et trahison de son allié rejaillit sur lui-même, le déconsidère aux yeux des masses petites-bourgeoises hésitantes prêtes à aller du côté du plus fort. Ces masses l’englobent dans une même désaffectation, dans un même mépris, dans une même haine avec la démocratie bourgeoise en état de crise. Dégoûtées, elles ne peuvent qu’aller vers le fascisme.

En fin de compte, cette tactique n’aboutit qu’à accroître formidablement le danger du fascisme en lui fournissant précisément sa base de masse indispensable : la petite bourgeoisie déçue, affolée, enragée.

Ce raisonnement n’est pas un simple développement logique, théorique. L’expérience en a confirmé l’exactitude de la façon la plus écrasante. Le VIIe Congrès ne fait que reprendre à son compte la politique de collaboration de classe qui a en définitive conduit la social-démocratie allemande à se mettre à plat ventre devant Hitler.

Tel est la perspective la plus probable au cas où le prolétariat suivrait la
tactique du VIIe congrès. Si toutefois la bourgeoisie libérale réussissait cependant à maintenir son influence sur les masses, le résultat de la tactique du VIIe congrès ne serait guère meilleur. En effet, la disparition de la classe ouvrière en tant que facteur indépendant ne ferait que faciliter l’abandon progressif des conquêtes démocratiques par la bourgeoisie elle-même. Car ces conquêtes n’ont été accordées par la bourgeoisie que sous la pression de la lutte de classe indépendante du prolétariat pendant des décades, elles n’ont été que le sous-produit de la lutte indépendante et directe de la classe ouvrière, elles cesseraient d’exister dans la mesure même où la cause qui les a engendrées cesserait de menacer et d’agir sur la bourgeoisie et la réaction classique s’installerait au pouvoir.

La lutte contre le fascisme et la réaction ne peut être menée avec succès que dans la mesure où la classe ouvrière développera de façon large et impétueuse son action spécifique sur son chemin : celui de la révolution prolétarienne. En abandonnant ce chemin, le VIIe congrès perd en même temps toutes possibilité de vaincre la réaction et le fascisme.

Mais la tactique du VIIe Congrès n’est pas seulement la répétition pure et simple de la tactique du moindre mal de la social-démocratie allemande. Elle est dans une certaine mesure la synthèse de cette tactique de désespoir avec la tactique de surenchère démagogique avec les nationalistes et les agrariens qui eut en Allemagne les effets désastreux que l’on sait après que le P.C.A l’eut appliquée lors du tristement fameux « plébiscite rouge » de 1931 où il fit cause commune avec les nazis, sous prétexte d’enlever aux fascistes la direction des masses nationalistes, et avec son programme de « libération nationale et sociale » ou il s’essayait à rivaliser de démagogie nationaliste avec Hitler.

Le fait que toute critique fut étouffée dans l’Internationale Communiste après le désastre de 1933, le fait que l’I.C. s’est toujours farouchement opposée à ce que soit tirées devant tout le prolétariat mondial les leçons de la défaite sans combat du P.C.A., le fait que le VIIe congrès au lieu de rechercher à élucider les causes profondes de cette faillite ait honteusement rejeté ses lourdes responsabilités sur le dos de la classe ouvrière allemande qui n’a pas compris … qui n’a pas fait … qui aurait du faire … , tout cela rend inévitable le renouvellement et l’aggravation des pires erreurs que l’I.C. a dictées au P.C.A.

Sous le prétexte que dans chaque pays le mouvement ouvrier révolutionnaire doit attacher sa lutte actuelle à ses traditions et à son passé révolutionnaire et qu’il doit revêtir une forme nationale – mais Marx soulignait que cette forme n’était nullement nationale au sens bourgeois du mot (Manifeste Communiste) – le VIIe Congrès a développé dans chaque parti une phraséologie nationaliste qui emplit notamment la presse officielle du P.C.F.

L’évocation des traditions révolutionnaires du prolétariat s’est transformée en l’évocation de la tradition nationale, afin de justifier, par des exemples du passé, la politique de collaboration de classe suivie actuellement. La phrase de Lénine sur l’amour du pays dans le sens de l’amour des traditions révolutionnaires et de la glorification de la lutte contre les classes oppresseuses est désormais utilisée dans le sens de l’amour qui doit unir « tous les Français « à l’exception d’une poignée de 200 familles et de la glorification de l’alliance avec la bourgeoisie libérale. Sur l’ordre de l’I.C. au VIIe congrès cette ligne se développe avec une sorte de frénésie qui atteint au grotesque.

Désormais, le P. C. s’affiche hautement comme le champion de la « PAIX INTERIEURE » et de la « RECONCILIATION TRICOLORE ». Il met en avant les mots d’ordre de « GRANDEUR DE LA FRANCE », « L’UNITE DE LA NATION ». Il veut une « FRANCE A ECONOMIE SAINE » (avant la révolution socialiste), UN PAYS RICHE ET PROSPERE (toujours dans les cadres du régime capitaliste). Pour que « LA FRANCE SOIT FORTE DEVANT L’ALLEMAGNE », IL SE FAIT LE CHAMPION DE LA REPOPULATION !

Le nationalisme le plus outré se sert d’une page de Jaurès pour célébrer les hauts faits des croises et la politique d’unification nationale de Louis XIV (discours de Thorez à l’assemblée d’information du 7 octobre, salle Wagram).

Ainsi, sont bafouées les idées fondamentales et élémentaires du socialisme scientifique qui a démontré et enseigné irréfutablement : que « paix intérieure » et « unité de la nation » en régime capitaliste signifie capitulation du prolétariat devant la bourgeoisie et trahison de ses intérêts immédiats et historiques ; que « réconciliation française sous les plis du drapeau tricolore » ne peut signifier qu’union sacrée en temps de guerre et dès avant le temps de guerre que « la grandeur de la France « en régime capitaliste n’est pas concevable sans le maintien de sa domination impérialiste et sans l’écrasement des peuples des colonies ; que vouloir une France riche et à économie saine en régime capitaliste et qui plus est en régime capitaliste en déclin, pourri, dans sa dernière phase, est un non sens, digne de la démagogie du Comité des Forges ; que les efforts pour développer la natalité en régime capitaliste ne font qu’accroître la misère des parents prolétariens, misère qui ne peut pas être liquidée en régime capitaliste, etc., etc …

Si tout cela pouvait être fait avant la révolution prolétarienne par voie de réforme et grâce au Front populaire – et c’est précisément sur ce point qu’insistent la presse et les propagandistes néo-communistes – on se demande alors : quel besoin le prolétariat aurait de lutter pour la révolution prolétarienne ? Le développement de cette idéologie nationale-réformiste aboutit à ruiner dans les masses ouvrières l’idée de la révolution prolétarienne.

« LES PERSPECTIVES REVOLUTIONNAIRES » DU VIIe CONGRES

Pour Dimitrov, les perspectives révolutionnaires, ce n’est plus qu’un objet de moquerie :

« Nous devons finir avec une situation où les communistes … substituent à l’analyse marxiste-léniniste, des phrases générales et des mots d’ordre comme « issue révolutionnaire de la crise », proclame-t-il dans le discours de clôture après la « discussion » de son rapport.

« Nous avons rejeté intentionnellement des rapports et des décisions du congrès des phrases sonores sur des perspectives révolutionnaires », affirme-t-il dans le discours de clôture du congrès.

Ainsi, Dimitrov lui-même qualifie de phrases sonores tout le travail de l’I.C. depuis 1928, quand on se gargarisait de phrases sur l’essor révolutionnaire, l’issue révolutionnaire, etc. Mais au lieu d’opposer à ces phrases vides et générales une analyse sérieuse des perspectives de la révolution socialiste, Dimitrov y substitue d’autres phrases, d’autres affirmations, où l’antifascisme, la démocratie bourgeoise, la paix, remplacent les idoles d’hier. La politique de l’I.C. rejoint ainsi la politique réformiste traditionnelle. Les Evrard, Sixte-Quenin, Rivière et autres ont depuis longtemps découvert que « des perspectives révolutionnaires » ne sont que des phrases sonores générales et que la seule « réalité concrète » est la collaboration gouvernementale avec les bourgeois de gauche !

« Renoncer pour un temps » à la révolution prolétarienne, comme le fait aujourd’hui l’I.C., aboutit à décomposer le prolétariat révolutionnaire, à détruire le travail fait par des générations de révolutionnaires prolétariens. En même temps, cette idéologie aboutit à un élargissement et à un renforcement sans précédent des illusions et des préjugés nationalistes dans les masses.

La politique du VIIe congrès n’aboutit pas à la défaite du fascisme, mais bien à la décomposition politique et idéologique de la classe ouvrière, ce qui verse de l’eau au moulin du fascisme.

Si le VIIe Congrès efface les perspective de la révolution prolétarienne, il s’efforce par contre de maintenir quand même devant les yeux du prolétariat international un « but socialiste » proche et facile à atteindre. Plus exactement ce qui disparaît, c’est le plan de la lutte de classes sur lequel les perspectives révolutionnaires se profilaient. Mais le VIIe Congrès s’attache à faire apparaître les perspectives d’un monde socialiste, tout à coup et d’un tout autre côté, sur un autre plan et sous une forme nouvelle, complètement différente de l’idée que les révolutionnaires marxistes se faisaient de l’avènement du socialisme.

C’est André Marty qui expose de la façon la plus nette cette « nouvelle
voie vers le socialisme »
… par la politique économique du pouvoir soviétique.

« La construction socialiste en U.R.S.S … constitue cet explosif le plus puissant dont avait rêvé les révolutionnaires romantiques et qui est capable de détruire le régime d’exploitation et de famine. Encore quelques années passeront et le simple récit de la vie aisée et culturelle des travailleurs, de ce bien-être, de cette joie de vivre qui règne en U. R. S. S., la propagande par l’exemple ou les impressions des délégations ouvrières envoyées en U.R.S.S., mettront en mouvement des forces qu’aucun obstacle du vieux monde capitaliste ne saura retenir. »

Ainsi dans les plus proches années le problème du socialisme sera résolu complètement et sans réserve par le pouvoir soviétique et il en résultera ipso facto que le capitalisme mondial détruit par ce nouvel explosif qui fait l’économie de la révolution disparaîtra. Comme on le voit, le problème de la révolution prolétarienne sera résolu pourvu que le prolétariat mondial sache défendre la paix et apporter à l’U. R. S. S. son dévouement et son admiration absolus.

Il n’est plus question de la lutte intransigeante des classes et du renversement de la bourgeoisie dans les pays capitalistes par la révolution prolétarienne. Un nouveau programme de l’I.C. est virtuellement édifiée à la place du programme constitutif de l’I.C. qui est contenu dans les principaux documents des premier et deuxième congrès mondiaux (5), et que l’on peut résumer en ces quelques mots :

« Le système impérialiste croule, la bourgeoisie n’est plus capable de diriger, la classe ouvrière doit prendre le pouvoir politique par l’action directe des masses, par une lutte révolutionnaire sans merci contre la bourgeoisie, étant bien entendu que la conquête du pouvoir ne signifie pas changement de personne dans un ministère, mais anéantissement de l’appareil d’Etat prolétarien. »

QUE RESTE-T-IL DE L’INTERNATIONALE DE LENINE

Et maintenant, si l’on se demande : qu’y a-t-il de commun entre le VIIe Congrès de l’I.C. et les principes constitutifs de la IIIe Internationale, on s’aperçoit qu’il n’y a de commun qu’une apparence extérieure, qu’une phraséologie traditionnelle camouflant un contenu politique complètement différent.

A la lutte de classe, on a substitué la collaboration de classe. A la lutte pour la révolution prolétarienne – une lutte illusoire de la démocratie bourgeoise contre le fascisme. A l’internationalisme prolétarien – une sorte de nationalisme réformiste. Au marxisme – le réformisme. Il faut le constater : l’I.C. en tant qu’organisation révolutionnaire du prolétariat, I’I. C. de Lénine, n’existe plus. Dans ces conditions, pour ce néo-communisme, aucun obstacle de principe ne s’oppose plus à la fusion avec les partis socialistes, à la réalisation de l’unité politique. Naturellement, il serait faux de méconnaître les différences qui séparent les partis communistes et socialistes, mais dans la socialdémocratie elle-même des courants divers coexistent et les différences par exemple entre Zyromski ou Caballero, sans parler déjà de Pivert, Sixte-Quentin ou Morisson, sont plus grandes que celles entre Thorez et Zyromski ou Ercoli et Otto Bauer. Rappelons-nous le cri de Rivière à Mulhouse, qu’il « est beaucoup plus près de l’opinion communiste que de celle de Zyromski et de ses amis » (« Populaire », du 12 juin).

Les conditions posées aujourd’hui par l’I.C. pour l’unité politique sont acceptables pour les réformistes, surtout dans la mesure où elles couvrent une politique réformiste analogue à la leur.

Dans son rapport, Dimitrov pose comme première condition de l’unité la rupture du bloc avec la bourgeoisie. Les délégués du P.C.F. ont voté cette condition, et pourtant les communistes continuent à collaborer fraternellement, avec le parti radical, représente au gouvernement, en attendant que Flandin et Marquet veuille rejoindre le Front populaire. Il suffit que le parti socialiste veuille causer avec les communistes et l’I.C. le déclarera exempt du « péché de collaboration avec la bourgeoisie » et digne de fusion.

La troisième condition – reconnaître la nécessité du renversement révolutionnaire de la bourgeoisie. Cette reconnaissance – en paroles – figure dans la majorité des programmes socialistes ; dans la mesure où il ne s’agit que de la reconnaissance pour l’avenir, aucune difficulté sérieuse ne doit se lever.

La quatrième condition – refuser de soutenir la bourgeoisie dans la guerre impérialiste – n’est pas terrible non plus. Depuis que la définition de l’agresseur de Litvinov et le respect de la S. N. D. sont devenus les principes de la politique communiste et que seules les guerres en violation du pacte de la S.D.N. sont déclarées impérialistes, donc condamnables, rien n’empêche l’acceptation de cette formule par la socialdémocratie.

La deuxième et la dernière (cinquième) conditions (réalisation au préalable de l’unité d’action et le centralisme démocratique comme régime du parti) peuvent être facilement acceptés par les réformistes.

Mais le point le plus significatif de cette nouvelle charte, c’est la seconde partie de la troisième condition : reconnaissance de la dictature du prolétariat, sous la forme des soviets (souligné par moi. – M. B.). Pourquoi cette revendication ? Et si la dictature du prolétariat se réalisait quelque part sous une nouvelle forme, encore inconnue ? Faut-il rejeter cette éventualité ? Jusqu’à 1917, les marxistes considéraient que la dictature du prolétariat se réaliserait sous la forme de la Commune. La révolution russe a donné naissance à une nouvelle forme : les soviets. Pourquoi fermer la porte à ces possibilités ? Remarquons que cette revendication ne figure pas dans les 21 conditions. En revanche, elle remplace maintenant des conditions aussi importantes que la lutte contre l’oppression coloniale et nationale, le travail antimilitariste, etc.

Dans les cadres de la « charte de Dimitrov », ce point ne peut avoir une autre signification que la reconnaissance que le pays des soviets est un régime de dictature du prolétariat (6). Et alors tout s’éclaircit. En échange de cette reconnaissance, l’I.C. « reconnaît » les principes traditionnels du réformisme, elle les couvre de son autorité et ainsi rien n’empêche la fusion.

Le menchévik Abramovitch définit ainsi le sens de ce « compromis » entre l’I. C. et la socialdémocratie internationale :

« L’I.C. « retire ses troupes » de l’Europe, en obligeant les minorités communistes dans tous les pays de fusionner avec les partis socialistes sur la base de la plateforme socialdémocrate et de la renonciation aux mots d’ordre communistes particuliers; elle les livre, pour ainsi dire, « bras et pieds liés » à la socialdémocratie. Le socialisme européen cesse toute critique du régime russe, reconnaît sans réserve la dictature qui règne en U. R. S. S. et cesse toute action politique et idéologique – directe ou par ses sections russes dans le sens de la démocratisation (capitaliste. – M. B.) de cette dictature. »

(« Le Courrier Socialiste », n° 19, du 10 octobre).

La situation en France, où depuis l’unité d’action un accord tacite règne pour ne pas critiquer l’U. R. S. S. dans la presse socialiste, confirme cette appréciation. Certains socialistes de droite préconisaient depuis longtemps un « accord » de ce genre signifiant la liquidation de l’Internationale Communiste.

Si l’on compare la « charte d’unité » de Dimitrov avec les 21 conditions, on constate qu’au lieu de garanties précises, s’exprimant dans l’activité quotidiennes, que l’I.C. exigeait alors de tous ceux qui voulaient la rejoindre, on formule aujourd’hui quelques phrases vagues, sans aucune garantie, pour réaliser la fusion. Cela montre tout le chemin parcouru. L’I.C. a abandonné les principes qui, il y a seize ans, constituaient la ligne de démarcation entre elle et le réformisme. La liquidation formelle du parti communiste ne fera que sceller ainsi son processus de liquidation politique en tant qu’avant-garde révolutionnaire du prolétariat, comme ce fut le cas avec la C. G. T. U. Le VIIe Congrès apparaît ainsi comme l’aboutissement du long processus de décomposition de l’Internationale Communiste par le développement d’une idéologie étrangère au marxisme-léninisme, qui a vaincu dans ses rangs, en tant que courant, dès 1927-1928 sous la direction de Staline, chef de l’I.C. « guide et ami des prolétaires et opprimés du monde entier », auquel le VIIe Congrès a juré fidélité absolue.

Ainsi, pour lutter contre le fascisme, le VIIe Congrès préconise la liquidation des partis communistes et l’intégration des ouvriers dans le camp de la démocratie petite-bourgeoise, en un mot la transformation du prolétariat en queue de la bourgeoisie libérale. Cette politique, en opposition avec toute la politique du marxisme depuis bientôt cent ans, doit être dénoncée par les révolutionnaires prolétariens comme une politique de capitulation devant l’ennemi de classe et de désagrégation des forces ouvrières.

Au moment où les dirigeants de l’I.C. et du P.C. essayent de ramener le
mouvement ouvrier révolutionnaire sur les positions réformistes, les ouvriers communistes, fidèles aux principes du marxisme et de l’Internationale de Lénine, doivent se grouper ensemble avec les ouvriers socialistes révolutionnaires, sous le drapeau de la lutte de classe révolutionnaire. Ils ne doivent pas s’isoler, se couper des ouvriers qui suivent encore les dirigeants des deux partis « socialiste » et « communiste », unis sur le terrain du réformisme, mais tendre tous leurs efforts pour les convaincre que le prolétariat ne saura ni battre le fascisme, ni remplir sa grande mission historique, en dehors de la lutte de classe, en dehors de la lutte révolutionnaire pour le pouvoir.

D’accord avec le congrès socialiste international d’Amsterdam de 1904 dont les décisions sont bafouées aujourd’hui aussi bien par les chefs de la IIe que ceux de la IIIe Internationale, nous :

« repoussons de la façon la plus énergique les tentatives révisionnistes, tendant à changer notre tactique éprouvée et glorieuse basée sur la lutte des classes, et à remplacer la conquête du pouvoir politique de haute lutte contre la bourgeoisie par une politique de concessions à l’ordre établi. La conséquence d’une telle tactique serait de faire un parti … révolutionnaire … un parti se contentant de réformer la société bourgeoise. »

C’est sur la base de la « tactique éprouvée et glorieuse basée sur la lutte des classes », confirmée par toute l’expérience de la guerre et de l’après-guerre, que nous examinerons dans notre revue les tâches qui se posent devant le prolétariat de ce pays en liaison avec le développement de la crise politique et du fascisme.

Marcel BREVAL


(1) Voir notamment le « Manifeste Communiste », chapitre IV : Position des communistes vis-à-vis des partis d’opposition et la « Maladie Infantile du Communisme ».

(2) Voir notamment « Le nouveau gouvernement et le prolétariat ». (Œuvres complètes de Lénine, tome XX, p. 30).

(3) Voir par exemple, Lénine, Œuvres complètes, tome XXI, p. 178-181.

(4) Et cela est encore plus vrai que dans la période présente où les bandes fascistes armées ont pour but de renforcer l’appareil d’Etat bourgeois dans sa besogne de répression contre la classe ouvrière. Mais le VIIe congrès n’en fait pas mention dans ce chapitre. Elles ont mystérieusement et automatiquement disparu en même temps que l’appareil d’Etat s’est « auto-paralysé ».

(5) Voir entre autres la « Plateforme de l’Internationale Communiste (les quatre premiers congrès mondiaux de l’I.C., pages 18-21). Librairie du Travail, 17, rue de Sambre-et-Meuse Paris (10e).

(6) Dans son rapport sur les résultats du VII Congres devant les militants de Moscou et de Léningrad, Manouïlski dit expressément que « la reconnaissance sincère de la « dictature du prolétariat sous forme des soviets » détermine la position envers l’U. R. S. S.

2 réponses sur « André Ferrat : La lutte contre le fascisme et l’Internationale communiste »

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