Article de Kurt Landau paru dans Le Communiste, n° 2, décembre 1931, p. 1-4
Le 8 Décembre, le gouvernement Brüning a publié sa nouvelle ordonnance de détresse. Cette quatrième ordonnance diffère des précédentes : suppression par la violence dictatoriale des 5.000 contrats collectifs des ouvriers allemands, diminution de 10 à 15 % des salaires, foulant aux pieds les droits élémentaires de la classe ouvrière dans l’établissement de ses contrats collectifs par l’intermédiaire de ses organisations syndicales. En même temps toute réunion ou même conférence publique est interdite, ainsi que le port des insignes.
Au premier abord, il pourrait sembler que cette ordonnance est dirigée contre la « droite » aussi bien que contre la « gauche ». Mais même si on oublie que dans la « floraison » même de la démocratie tous les décrets « pour la défense de la république » étaient en apparence dirigées contre la « droite » et contre la gauche mais en fait appliqués uniquement pour réprimer le mouvement révolutionnaire, on ne peut douter que ces nouveaux décrets sont dirigés uniquement contre la classe ouvrière et rendent des services inappréciables au fascisme.
La dualité de pouvoir et ses effets.
Si on part du point de vue que fascisme et démocratie sont des formes absolument différentes du pouvoir du capital financier, que ses formes diffèrent non seulement de degrés, comme le croient les bureaucrates de l’Internationale Communiste, et que justement à cause de leurs contradictions le passage de l’une à l’autre – de la démocratie au fascisme – ne peut se faire sans ébranlements politiques considérables, alors on doit définir la situation politique actuelle comme une situation de dualité de pouvoir politique. Le dernier morceau de démocratie chancelante qui reste debout est le gouvernement Brüning à la direction de l’Etat. C’est lui qui dirige la politique officielle de l’état à l’intérieur et à l’extérieur.
Mais à côté, le fascisme s’est dressé et a mis l’état officiel, surtout en province, sous ses ordres. Même le dernier refuge de la République », la police prussienne de Severing reflète cette contradiction intérieure de la situation générale de l’Allemagne. Les officiers de la police de Severing arrêtent les amis de Severing quand ceux-ci crient « Vive Severing ». Les officiers de la police prussienne se sont ouvertement tournés contre leur chef Severing. Des juges, des fonctionnaires de la police, même des bureaux du gouvernement central passent au « maître de demain », au fascisme.
La Social-démocratie capitule devant le fascisme.
La Social-démocratie suit, comme paralysée, la course du fascisme qui se fraye un chemin vers le pouvoir par des attaques violentes contre la classe ouvrière. Sa politique de défense sans condition du gouvernement Brüning la ruine intérieurement. Si, aujourd’hui, elle se tait, devant l’attaque générale des droits élémentaires de la classe ouvrière, devant le vol des salaires – et elle se taira – le danger d’une destruction complète des syndicats, auxquels manque une direction organisée pour la résistance à la bureaucratie réformiste, menace.
Il y eut un moment où la majorité des ouvriers social-démocrates croyait le soutien de Brüning par la Social-démocratie nécessaire. D’innombrables ouvriers éduqués dans l’esprit du parlementarisme, se disaient :
« Nous devons faire tous les sacrifices pour qu’Hitler ne vienne pas au pouvoir. La crise économique finira bien un jour et en même temps la vague fasciste reculera. A ce moment nous occuperons de nouveau nos positions. »
Cette illusion a déjà commencé à se dissiper. Aujourd’hui, des centaines de milliers d’ouvriers social-démocrates voient que justement cette politique de retraite sans lutte qui a donné l’élan à la force d’attaque du fascisme ruine leurs propres rangs.
La direction du parti social-démocrate aussi voit maintenant clairement qu’elle ne pourra jamais empêcher le développement du fascisme par sa politique de tolérance. Mais quelle leçon tire-t-elle de la banqueroute de sa politique ? Passera-t-elle au dernier moment à la résistance ?
Nullement ! Puisque la banqueroute de la politique de tolérance est claire pour tout le monde, la presse social-démocrate déclare que « les règles du jeu de la démocratie exigent de laisser le pouvoir au fascisme si c’est le désir de masses d’électeurs toujours grandissantes. » Pour cacher un peu cette capitulation évidente, elle a invité les communistes à faire le front unique, c’est à dire à appuyer en commun le gouvernement menacé de Brüning (Discours de Breitscheid à Darmstadt).
Le Parti Communiste chancelle.
Après avoir attendu pendant un an la ruine du fascisme et s’être couverte du manteau du national bolchévisme, la direction du parti s’aperçoit qu’elle poursuivait une illusion fatale. Elle se tourne alors, surtout depuis la débâcle du référendum populaire rouge (9 août), vers les ouvriers social-démocrates et essaye de les gagner en leur offrant le front unique contre « l’ennemi principal », contre les chefs réformistes.
Mais cette tactique aussi reste sans résultat. Elle n’a réussi, ni à gagner une grande partie des ouvriers social-démocrates, ni à mobiliser les troupes communistes, encore moins à barrer la route aux fascistes, quoique ce fut fixé dans chaque résolution officielle.
De cette manière la direction du Parti on est arrivé à considérer, au Plenum du Comité Central du 24 Septembre – probablement basé sur des directives de l’Exécutif de l’I.C. – comme la meilleure solution d’éviter la lutte. Remmele a entrepris le 16 Octobre dans un discours au Reichstag de montrer la voie au prolétariat pour lutter contre le fascisme :
« Si les Nazis arrivent au pouvoir, le front unique prolétarien se fera et balayera tout …. Ils seront finis plus vite que tout autre gouvernement ».
L’Opposition de Gauche du Parti Communiste allemand (bolchéviks-léninistes) et la rédaction de son organe « Der Kommunist » ont dénoncé cette fatale illusion :
« L’optimisme bureaucratique injustifié de la direction du Parti n’est pas autre chose qu’une spéculation opportuniste. La direction centriste banqueroutière, qui s’est toujours montrée incapable d’organiser de véritables actions révolutionnaires de masses, qui ne sait pas liquider par la tactique du front unique révolutionnaire la solide position du réformisme dans les syndicats, – cette direction attend le salut de la fin du fascisme. Comme si la victoire du fascisme ne devait être qu’un simple changement de gouvernement, comme si la victoire du fascisme n’était que le remplacement d’un ministère réactionnaire par un autre encore plus réactionnaire. Il faut être aveugle pour ne pas voir que la victoire du fascisme signifie la victoire de la contre-révolution dans une lutte entre révolution et contre révolution et qu’elle serait une terrible défaite de la classe ouvrière, défaite qui deviendrait une catastrophe si le prolétariat se rend sans lutte.
Ce n’est pas la victoire du fascisme qui développe la crise révolutionnaire, mais la résistance des masses au fascisme menaçant. Celui qui tranquillise le prolétariat avec l’idée de la crise révolutionnaire se développant après la victoire du fascisme, commet une traîtrise à la révolution prolétarienne.
Le fascisme en marche vers le pouvoir garrote toujours plus la classe
ouvrière. Son avènement au pouvoir précédera immédiatement la démolition des réalisations ouvrières. Possesseur du pouvoir d’état, le fascisme détruira d’abord la fleur de la classe ouvrière, écrasera le mouvement ouvrier ; et les désillusions de sa base petite-bourgeoise seront moins lourde dans la balance que l’écrasement de la classe ouvrière qui payera alors par de terribles sacrifices l’erreur qui est à la base des perspectives actuelles du Comité Central du Parti communiste allemand.
Mais le Parti, bien qu’il soit tout à fait dépourvu de vie indépendante,
asphyxié par le poison centriste et dominé par la bureaucratie, n’a pas accepté cette stratégie sans résistance. L’expérience de la lutte quotidienne, les leçons de l’Italie, la découverte alarmante des plans de gouvernement fasciste (tueries prescrites par le plan d’action des fascistes hessois) et dans une certaine mesure la critique de la gauche ont ébranlé un peu la direction du Parti. Thälmann consacre un article d’un kilomètre à tenter de voiler la théorie de la capitulation en comparant la situation actuelle de l’Allemagne avec celle de la Russie en 1902 :
« L’année 1902 fut une année d’essor révolutionnaire qui pourtant n’a pas mené à une crise révolutionnaire, encore moins à une situation révolutionnaire. La même constatation vaut aussi pour le stade actuel de l’évolution de l’Allemagne (Internationale, Berlin, n° 11/12, P. 505) »
Entre l’essor révolutionnaire de 1902 et la crise révolutionnaire s’écoulèrent trois années. Comme on le voit, Thälmann se donne du temps.
Les illusions créent de nouvelles illusions.
Les tragiques désillusions dues à la politique traîtresse de la Social-
démocratie et à l’incapacité complète du Parti communiste, ont amené de nouvelles illusions chez un grand nombre d’ouvriers révolutionnaires, surtout dans la jeunesse. « Nous devons, se disent-ils, en voyant la traîtrise des chefs social-démocrates et la folie des bureaucrates du Parti communiste, nous devons construire un nouveau parti véritablement révolutionnaire. »
Entraîné par cette vague des parlementaires sceptiques comme Rosenfeld, Ströbel et Seydowitz, la « gauche du Parti social-démocrate, ont fondé un nouveau parti, le « Parti ouvrier socialiste ». D’après son programme, c’est un vrai parti centriste où toutes les couleurs brillent, depuis les attaques contre l’U.R.S.S. du contre-révolutionnaire Théodore Liebknecht à l’enthousiasme sans borne pour les Soviets des gens à la Ledebour, depuis le véritable pacifisme bourgeois de Ströbel jusqu’aux idées littéraires-révolutionnaires des défenseurs de Rosa Luxembourg. Tout s’y trouve en bonne entente ; l’opposition au « jeu révolutionnaire des communistes » en est néanmoins la limite.
Les éléments jeunes, révolutionnaires de ce parti pourri se dirigent vers la gauche, vers le communisme, et l’Opposition de Gauche s’efforce d’aider ces jeunes camarades à devenir de véritables communistes pour qu’ils soient un élément de régénération du Parti Communiste et ne se laissent pas décourager comme tant d’autres.
D’autre part, le nouveau parti recevra bientôt un grand appui du groupe Brandler dont les meilleurs éléments repoussés par la politique de capitulation vis à vis du centrisme de Brandler dont le seul but est de faire la paix avec Staline (Walcher, Fröhlich, Rosi Wolfstein, Frank, etc … ) veulent se réfugier dans son sein.
Le prolétariat dans la lutte décisive.
La situation en Allemagne est, comme nous le voyons, pleine de dangers. Il faut dire ouvertement que certaines parties de la classe ouvrière et beaucoup d’ouvriers communistes considèrent comme inévitable la victoire du fascisme.
Ces tendances à la capitulation, nourries par la politique du Parti social-démocrate et de la direction du parti communiste sont extrêmement dangereuses. Le plus grand devoir de l’Opposition de gauche est la lutte contre ces tendances à la capitulation. Elle montre au Parti le chemin qui peut et doit mener à la résistance. Le chemin des luttes organisées sur la base du front unique révolutionnaire.
KURT LANDAU