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Kurt Landau : Lettre d’Allemagne. Les attentats terroristes et leur signification

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 4, 4 octobre 1929, p. 4

Berlin, septembre 1929.

Au cours des deux dernières années, la classe ouvrière allemande a commencé, lentement et non sans hésitation, à se mettre en état de défense contre l’offensive capitaliste. Toute une série de luttes acharnées pour les salaires qui se sont déroulées presque sans arrêt depuis 1927 marquent la naissance d’une activité nouvelle du prolétariat. Les succès électoraux du Parti communiste et du Parti social-démocrate aux élections au Reichstag de 1928 reflètent à n’en pas douter un profond travail de regroupement parmi de larges couches de la population. Des millions d’ouvriers et de petits bourgeois qui, il y a quelques années, suivaient les nationalistes et le centre catholique, ont manifesté clairement contre la politique du bloc bourgeois : rationalisation, impôts, tarif douanier, en se tournant vers les partis qui combattaient ce bloc bourgeois, et en premier lieu vers le Parti social-démocrate.

Pleines d’illusions, les masses attendaient du réformisme une grande amélioration de leur situation, une défense de leurs intérêts par les moyens pacifiques qu’offre l’Etat bourgeois.

La bourgeoisie allemande a tout de suite compris le danger que décelaient ces symptomes inquiétants. Pour dissocier ces formations nouvelles, les tromper, les calmer, elle confia le gouvernement à un « bloc de gauche », à un régime de coalition sous la direction d’un social-démocrate.

La social-démocratie a pleinement et consciencieusement [donné des bons points] à la bourgeoisie. Hilferding lui fit d’extraordinaires cadeaux dans le domaine fiscal ; les maîtres de l’industrie lourde de la Ruhr obligèrent le ministre du Travail, Wissel, à violer les lois mêmes qu’il a charge d’appliquer ; enfin, la politique de Hermann Müller dans l’affaire du croiseur cuirassé est venue montrer que la social-démocratie sait fort bien seconder les efforts de l’impérialisme allemand. Les fusillades d’ouvriers du 1er mai sanglant de Berlin, ordonnées et dirigées par le social-démocrate Zoergiebel sont le « digne » couronnement de l’œuvre de la social-démocratie au pouvoir.

Parmi les masses confiantes, la déception fut amère : les rêves de mai 1928 s’étaient heurtés à la sévère réalité de 1929. Le réformisme dirigeant les a mieux instruites sur la démocratie bourgeoise que tout autre gouvernement eût pu le faire. Aussi les conditions objectives d’une poussée vers la gauche ont-elles rapidement mûri dans le premier semestre de 1929. Les remarquables succès du Parti communiste allemand dans les élections des conseils d’usines en sont une preuve certaine. Mais, comme il fallait s’y attendre, la direction stalinienne du Parti n’a su ni consolider ni étendre ces succès. Par son incompréhension et sa brutalité, rendant responsable chaque ouvrier social-démocrate de la politique des chefs, elle a éloigné du communisme nombre d’ouvriers qui retournent au Parti social-démocrate ou tombent dans l’indifférence.

Devant ces phénomènes, il ne faut pas s’étonner de voir de plus en plus une troisième tendance se faire jour qui, au moyen d’une démagogie sociale éhontée, cherche à attirer les ouvriers déçus et découragés dans les filets des maîtres de l’industrie lourde. C’est la besogne du « socialisme national » dont Hitler est le chef.

Le fascisme allemand ne joue pas un rôle autonome. Ses différentes fractions ne sont que des armes diverses aux mains de la bourgeoisie.

Les organisations racistes constituent l’aile la plus active de la réaction dans l’Allemagne du Nord, surtout dans les villages. En ces derniers temps, des parties notables de la population agricole du Nord, secouées par la crise agraire permanente, et excitées par les racistes, ne purent plus être maîtrisées que difficilement, ainsi qu’en témoigna la vague d’attentats qui vient de traverser l’Allemagne.

Il faut dire que la bourgeoisie, dans son ensemble, ne voit pas ces attentats d’un très bon œil. Elle craint que ce qui peut être une soupape de sûreté pour les villages du Nord ne devienne un signal d’alarme pour le prolétariat tout entier. Et nous assistons au spectacle réjouissant de voir les annonciateurs professionnels de la renaissance allemande : Hugenberg, chef des nationalistes, Seldte, grand maître des Casques d’acier, et même Hitler, le héros du « socialisme national », laisser tomber honteusement les terroristes racistes. La grande action qui doit mettre en mouvement et unifier la masse de la réaction, c’est le referendum que préparent nationalistes, Casques d’acier et socialistes nationaux contre le plan Young.


Faut-il conclure de tout cela que nous sommes à la veille de la dictature ouvertement fasciste en Allemagne ? Certainement non. Les conditions présentes ne l’exigent pas, et rien ne pouvait mieux éclairer le caractère préparatoire de l’étape où nous sommes que l’état de division des diverses formations réactionnaires : nationalistes et socialistes nationaux attaquent par derrière les racistes à cause des attentats tandis que populistes et « jeunes allemands » attaquent sournoisement nationalistes et socialistes nationaux à cause du referendum. Les uns et les autres s’accusent mutuellement de haute trahison.


En ce moment, l’offensive principale de la bourgeoisie est dirigée contre la partie la plus faible de la classe ouvrière, contre les centaines da milliers de chômeurs dont on aggrave encore, et de beaucoup, le sort misérable. Il faut prévoir à brève échéance de nouvelles attaques contre ce qui subsiste des institutions socialo-politiques créées au lendemain de la guerre, pendant la période révolutionnaire, et contre les salaires. Et c’est précisément parce que la bourgeoisie est contrainte de renforcer l’exploitation des ouvriers – pour pouvoir, malgré les tributs que lui impose le plan Young, reconquérir sa position de puissance prééminente – qu’elle prépare la dictature fasciste pour le cas où les « moyens démocratiques » actuels ne suffiraient pas.

D’autant plus dangereux est, en ce moment précis, le cours néfaste et incohérent du Parti communiste qui se montre de moins en moins capable de guider les masses dans leurs luttes, ainsi que le prouve la préparation de la grève de protestation contre les mesures prises à l’égard des chômeurs. Le développement ultérieur de la gauche (Leninbund) a une importance décisive dans la question de savoir si le Parti communiste allemand va partager le sort du Parti tchèque ou s’il sera préservé d’une ruine complète.

Il faut dire franchement que, aujourd’hui, le Leninbund est encore fort loin de remplir ses grandes tâches, d’être la fraction stimulante, animatrice du communisme en Allemagne. Des positions sectaires ultra-gauchistes, des conceptions fortement empreintes de pessimisme liées à un glissement dangereux vers les positions de l’opportunisme brandlérien, paralysent la force de la gauche allemande. Si le Leninbund extermine de ses rangs ce balancement stérile de l’extrême gauche à la droite qui le domine en ce moment, si, avant tout, il comprend que sa tâche n’est pas de créer un second parti mais de montrer au noyau sain et révolutionnaire du Parti communiste allemand la voie de la lutte et de la victoire, alors seulement il pourra remplir sa mission et être l’avant-garde du communisme allemand. Et c’est seulement sous les coups d’une telle avant-garde que le Parti communiste et tout le prolétariat allemand pourront être préservés d’une nouvelle défaite qui, par son étendue, ferait oublier celle de 1923. – K. L.

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