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Kurt Landau : Accentuation de la crise autrichienne. La menace de la dictature fasciste

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, 2e année, n° 58, 17 octobre 1930, p. 4

Le gouvernement Schober a été renversé, il y a peu de jours par le parti chrétien-social ; il fut remplacé par le gouvernement minoritaire de Vaugoin, dont le chef des Heimwehren, Starhemberg est le ministre de l’intérieur.

Le changement de gouvernement embarrasse énormément les sages stratèges de l’I.C. qui racontent depuis un an qu’en Autriche le fascisme est déjà au pouvoir. Selon eux, le gouvernement Vaugoin constitue déjà la seconde période du fascisme autrichien.

La chute du gouvernement Schober a grandement contribué à l’aggravation de la crise autrichienne. Le gouvernement Schober était encore un gouvernement parlementaire, car il s’appuyait sur trois partis bourgeois.

Le front unique bourgeois, après une existence de plusieurs années, est maintenant dissolu. De larges couches paysannes, qui suivent le Landbund, et beaucoup de fonctionnaires ont provisoirement refusé de suivre le gouvernement Vaugoin-Starhemberg. Le gouvernement minoritaire a annoncé de nouvelles élections pour le 9 novembre.

Il est douteux que le cabinet Vaugoin-Starhemberg trouve dans les élections une majorité parlementaire. Il devra donc essayer à nouveau de rétablir le front unique bourgeois – ou bien il devra tenter un coup d’Etat et instaurer la dictature.

Le coup d’Etat n’est pas du tout ce qui convient à une grande partie de la bourgeoisie. Elle n’est pas encore remise de la grande frayeur que lui a causé le grand essor révolutionnaire, des mois d’août-septembre 1929. Lorsqu’à cette époque, les Heimwehren voulurent passer à la lutte pour le pouvoir – avec l’assentiment de presque toute la bourgeoisie – on a vu que cette lutte ne se ferait pas sans soulever une guerre civile.

A présent les Heimwehren préparent le coup d’Etat dans d’autres conditions qu’en 1929. Ils disposent de l’appareil d’Etat, de l’armée, de la gendarmerie, de la police.

Aujourd’hui les Heimwehren sont mieux armés militairement qu’en 1929 pour abattre la révolte ouvrière. Par contre leur base est devenue plus petite dans les masses. Une partie des couches bourgeoises, surtout à la campagne, refuse de les suivre. Les conditions sociales et psychologiques sont devenus plus défavorables à la victoire fasciste.

Il semble d’ailleurs qu’une partie du fascisme autrichien soit tout à fait consciente de cette difficulté et s’élève contre le bloc Vaugoin-Starhemberg. En plus, dans le camp fasciste les divergences sont très grandes sur les questions de politique extérieure. L’aile de Starhemberg est d’accord avec les chrétiens-sociaux sur la question des Hambsbourg aux côtés de la Hongrie, tandis que l’aile nationale-socialiste des Heimwehren défend une pan-Allemagne fasciste.


La social-démocratie, que suit encore la grande majorité des ouvriers autrichiens, s’efforcera, dans la situation actuelle, de canaliser les masses dans les voies purement parlementaires de la lutte électorale.

Il y a toutes les chances que le parti socialiste sorte de cette lutte électorale sans avoir subi un affaiblissement notable ; les chrétiens-sociaux et les Heimwehren resteront sans doute une minorité. Si après les élections, le régime de dictature Vaugoin-Starhemberg ne réussit pas à rétablir le front unique bourgeois, les possibilités parlementaires de ce régime seront épuisées et ils devront recourir au coup d’Etat. Starhemberg, ministre de l’intérieur et chef de file des Heimwehren a déjà annoncé publiquement ce coup d’Etat.

« En prêtant la main au gouvernement, les gens de la Heimwehr n’ont pas tant voulu protéger le parti chrétien-social, que garder le gouvernail du mouvement des Heimwehren, avec la volonté inaltérable de ne pas se le laisser arracher même par une majorité rouge. »

C’est un langage suffisamment clair. Il est tout à fait dans l’ordre des possibilités que les semaines à venir apportent une brusque accentuation de la crise politique en Autriche. La social-démocratie cherchera à empêcher toute tentative de la classe ouvrière d’opposer au coup d’Etat l’action de masse révolutionnaire, et essayera, à l’aide du Landbund et du parti allemand, de mettre debout un bloc contre les Heimwehren ; elle sera prête à toutes les concessions pour soutenir un nouveau cabinet Schober.

Cette tactique du parti socialiste est toute faite pour paralyser la force d’action de la classe ouvrière, pour transformer les chances défavorables du fascisme. Livrer la classe ouvrière à Schober parce qu’il représente le « moindre mal », c’est la bâillonner et abattre sa volonté de lutte.


Il est hors de doute que les ouvriers révolutionnaires qui appartiennent organiquement encore pour la plupart au parti socialiste, ne se soumettront pas sans lutter ; une direction révolutionnaire, reconnue comme telle faisant défaut, cette lutte se frayera un chemin spontanément. Mais des luttes spontanées portent en elles le germe de la défaite inévitable.

Pour la troisième fois depuis le 15 juillet 1927 une situation révolutionnaire est en voie de formation.

Mais autant les conditions objectives pour une lutte victorieuse contre le fascisme, sont favorables en Autriche, autant les facteurs subjectifs sont faibles. La direction du P.C. autrichien comprend à peu près les seuls éléments qui n’ont rien, absolument rien su apprendre des leçons reçues depuis le 15 juillet 1924.

Cette direction de bavards ignorants regarde l’avenir avec l’idée fixe qu’en Autriche la dictature fasciste existe déjà depuis un an. Incapable de développer la profonde effervescence qui règne au sein des masses ouvrières social-démocrates, les bureaucrates du parti détruisent cyniquement le petit et faible parti communiste qui a atteint aujourd’hui le point le plus bas de son incapacité d’action.

Nos camarades des groupes de l’Opposition de gauche autrichienne ont devant eux des tâches d’autant plus urgentes. Ils les aborderont dans la campagne électorale en appelant les ouvriers à soutenir le P.C. autrichien.

K. L.

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