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Intervention de Léon Feix

Intervention de Léon Feix au XIIIe congrès du PCF parue dans Les Cahiers du communisme, 30e année, n° 6-7, juin-juillet 1954, p. 818-833

Camarades,

DANS la partie de son rapport relative au point 13 du projet de thèse, le camarade Jacques Duclos fait ressortir la volonté des gouvernants français d’envoyer de nouvelles troupes en Indochine, conformément à l’exigence des impérialistes américains.

Cette volonté se traduit concrètement par la décision d’appel anticipé de la classe 54/2, cependant qu’il est question de retenir sous les drapeaux le premier contingent de la classe 53, libérable en octobre prochain, et de rappeler une partie des classes 52/2 et 51.

Suivant les déclarations des Laniel, Bidault et Pleven dont l’une des missions est la poursuite de la guerre d’Indochine, et ce n’est pas la désignation comme ministre du jusqu’au-boutiste Frédéric-Dupont qui peut changer une telle appréciation – ces diverses opérations sont destinées à renforcer le corps expéditionnaire par l’envoi de soldats de carrière se trouvant actuellement en Allemagne et en Afrique du Nord, ceux-ci étant remplaces par les appelés et les rappelés.

De telles mesures suscitent une émotion d’autant plus grande parmi la jeunesse et l’ensemble de la population que, depuis deux semaines, une cinquantaine de soldats ont été tués ou blessés en Tunisie et au Maroc, victimes de la politique dite du « maintien de l’ordre » pratiquée dans ces pays.

Or, pour ne prendre que la Tunisie, les mesures d’exception – véritables mesures de guerre – prises ces jours derniers par le Résident général, en plein accord avec Bidault et Laniel, ne peuvent que laisser présager une répression du mouvement national tunisien encore accrue et, par cela même, de nouveaux incidents et de nouvelles victimes, du côté tunisien et du côté français.

Il n’est pas possible qu’il en soit autrement avec la politique de violence, férocement colonialiste, pratiquée par le gouvernement français.

La situation est donc la suivante :

Depuis plus de sept ans, des Vietnamiens, des Français, des Nord-Africains, des Africains tombent par milliers en Indochine. Ainsi que l’indique le point 2 du projet de thèse, « la France s’est enlisée et épuisée dans une guerre injuste, ruineuse et déshonorante ». Et au lieu d’arrêter une telle guerre, ainsi que le désire aujourd’hui la quasi-unanimité des Français, le gouvernement se lance dans de nouvelles aventures, en Afrique du Nord cette fois. Il s’y lance sciemment, en toute connaissance de cause. Et l’on voit la presse à son service, à grand renfort de racisme et de provocations, s’efforcer de faire admettre ce que chaque Français redoute et qui ne peut pas ne pas se produire si notre peuple ne l’empêche pas : de nouvelles et peut-être terribles effusions de sang.

Notre Congrès se doit d’attirer l’attention des Français et des Françaises sur ce danger réel et imminent.

Il se doit de dénoncer les mensonges utilisés pour tenter de camoufler une réalité indigne de notre peuple : la réalité coloniale.

Il se doit enfin de montrer, dans ce domaine comme dans tous les autres, la solution.

Ce sont là des tâches qui nous reviennent à nous, communistes d’un pays impérialiste, si nous voulons nous placer à la hauteur de nos responsabilités, à la fois à l’égard de notre classe ouvrière et à l’égard des 60 millions d’opprimés qui regardent vers nous, qui attendent beaucoup de nous, parce qu’ils ne nous confondent pas avec leurs oppresseurs, parce qu’ils savent que nous sommes leurs amis et leurs alliés.

Certes, notre solidarité agissante, notre soutien ne leur ont jamais fait défaut. Mais notre ambition doit être plus haute aujourd’hui. Dans la période de grands changements que nous vivons, notre objectif doit être d’aider les peuples placés sous le joug de nos propres colonialistes a imposer rapidement une autre politique que celle pratiquée jusqu’ici contre eux. L’essentiel de notre aide, c’est donc de convaincre notre classe ouvrière et notre peuple de la justesse et de la nécessité d’un tel changement.

Dans la dernière période, l’évolution de la situation en Indochine a permis d’accomplir de sérieux progrès quant à la compréhension des problèmes coloniaux. Mais nous ne devons pas nous cacher que nous avons encore beaucoup à faire. Y compris pour faire comprendre cette vérité que l’ère du colonialisme touche à sa fin, et que tous les peuples encore opprimés veulent vivre libres et que, dans les circonstances présentes, un peuple décidé à lutter pour sa liberté est un peuple invincible. Y compris pour faire admettre que les peuples de Tunisie, d’Algérie, du Maroc, d’Afrique noire, de Madagascar, des « vieilles colonies » (Martinique, Guadeloupe, Réunion) sont des peuples opprimés, même si on qualifie ces pays de « départements français », de « protectorats », de « territoires d’outre-mer ».

Dans son rapport au XIIe Congrès du Parti, Maurice Thorez soulignait que « quelques membres du Parti ont parfois hésité à proclamer le droit du peuple vietnamien et de tous les peuples coloniaux à la libre disposition ».

La même faiblesse est relevée dans le point 25 du projet de thèse qui, après avoir indique qu’ « on trouve encore aujourd’hui des membres du Parti qui hésitent devant l’affirmation des sentiments d’amitié et de confiance à l’égard de l’Union Soviétique », ajoute : « D’autres reculent devant la proclamation du droit des peuples coloniaux et dépendants à la libre disposition. » Le document conclut sur ce point : « Rompre ainsi avec l’internationalisme prolétarien, c’est tourner le dos au socialisme. »

Si une telle faiblesse se manifeste dans les rangs du Parti, n’est-ce pas souligner par cela même tout ce que nous avons à faire pour éduquer notre classe ouvrière et la masse des démocrates et des Français honnêtes, pour extirper de l’esprit de millions de braves gens les préjugés de caractère colonialiste que notre bourgeoisie s’efforce de leur inculquer, et cela dès leur plus jeune âge, dès l’école primaire ?

DES « ARGUMENTS » QU’IL FAUT DETRUIRE

Voici, à titre d’exemple, quelques échantillons de ce qu’on lit dans un manuel scolaire de géographie très répandu. Les auteurs en sont MM. Maurice Kuhn et Rene Ozouf et le manuel s’adresse à la classe de fin d’études primaires.

Tout d’abord, la façon dont ont été fondées les colonies. La vérité, c’est qu’elles ont été conquises par la force, souvent au prix d’expéditions militaires longues et coûteuses. Or voici ce que dit le manuel :

« … Beaucoup de nos marins, normands, bretons, gascons ou provençaux ayant pris part a l’exploration des terres lointaines, se sont établis à demeure sur ces terres, parfois inhabitées, ou parmi les populations indigènes. Ils sont restés par la suite en relations avec la France, leur « mère-patrie », dont ils ont continué à dépendre, et ont ainsi fondé des colonies. »

Voici maintenant, quelques lignes plus loin, ce que les auteurs appellent l’ « utilité » des colonies :

« Ces colons « essaimés » de par le monde sont pour la mère-patrie une source de puissance. Ils accroissent, en effet :

1° La puissance économique de la métropole ;

2° Sa puissance politique. Nos colonies sont, comme on l’a dit, des « Frances lointaines » … qui élargissent l’influence et l’action de notre pays dans le monde ;

3° Sa puissance morale. La France a apporté aux populations indigènes de ses colonies : la paix, la prospérité, le bien-être, la santé, l’instruction. Cette mission civilisatrice, qui lui a gagné l’amitié et le dévouement de ces populations, est le côté le plus noble de sa politique coloniale. »

Et voici la conclusion du chapitre sur « la France d’outre- mer » :

« … Au sein de l’Union française, tous – blancs, noirs, jaunes – sont des citoyens (articles 80 et 81 de la Constitution) vivant sous le même drapeau. »

Ces mensonges de l’enseignement officiel ne sont pas réservés seulement aux élèves des écoles. On les retrouve à longueur de colonnes dans la presse chargée de déverser le poison colonialiste et raciste, afin de faire admettre, par exemple, ces jour-ci, les mesures de terreur prises en Tunisie ou au Maroc.

Je me bornerai à relever deux des « arguments » invoqués pour tenter de justifier le maintien du régime colonial.

Le premier, c’est ce que l’Aurore, Le Figaro, tout comme Franc-Tireur, appellent la « défense des intérêts français ».

De quels intérêts s’agit-il ? De l’intérêt réel que représente pour la France l’existence de relations commerciales, culturelles, etc … , avec les pays d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, avec Madagascar, la Réunion, les Antilles ? Il n’est nul besoin – bien au contraire – pour maintenir et développer de telles relations, de perpétuer un régime dont personne ne veut plus dans ces pays. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.

En réalité, il s’agit pour la bourgeoisie, à la recherche du profit maximum, de pouvoir continuer à maintenir sous le joug des peuples entiers afin que prospèrent les grosses sociétés coloniales à la tête desquelles on retrouve les principaux noms du grand capitalisme français.

Par exemple, ces 37 sociétés qui sévissent en Algérie et en Tunisie et dont les bénéfices avoués ont été de 810 millions en 1947, 2.174 millions en 1948, 2.791 en 1949, 3.206 en 1950, 4.813 en 1951 et 8.186 millions en 1953. Ou bien, encore pour ne prendre que les chiffres de 1952, les 26 sociétés qui avouent 2.776 millions de bénéfices au Maroc, les 23 sociétés qui avouent 2.650 millions de bénéfices en Afrique noire et les 9 sociétés qui reconnaissent 936 millions de bénéfices à Madagascar. C’est-à-dire, pour 95 sociétés coloniales, 14.548 millions pour la seule année 1952. (Ce sont là, je le répète, les chiffres publiés, c’est-à-dire une partie seulement des bénéfices réels, beaucoup plus importants.)

Bien entendu, de tels profits expliquent la misère atroce qui existe dans les pays coloniaux. Misère dont on ne peut se faire qu’une idée très incomplète quand on sait, par exemple, qu’il y a en Algérie, en permanence, des centaines de milliers de chômeurs, quand on sait qu’un ouvrier agricole marocain gagne souvent moins de 200 francs par journée de travail et que la Tunisie a connu au cours des dix dernières années cinq terribles famines ayant fait plusieurs milliers de morts. Et la situation est encore, dans l’ensemble, plus effroyable en Afrique noire et a Madagascar.

Le deuxième « argument » colonialiste que je veux souligner, c’est l’argument à prétention morale, ce qu’ils appellent « la mission civilisatrice » de la colonisation.

Personne ne songe à nier que la colonisation a conduit à la construction de ports, de lignes de chemin de fer, de routes, d’immeubles magnifiques et même de villes entières.

Mais pour qui tout cela a-t-il été fait ? Pour les profiteurs du colonialisme et l’administration à leur service. Par exemple, les routes et les voies ferrées sont des routes et des voies ferrées coloniales, construites pour transporter vers les ports et, de là, vers la métropole – et aussi, de plus en plus, vers l’Amérique pour tout ce qui est notamment matières premières stratégiques – les produits du sol et du sous-sol sur lesquels les colonialistes ont mis la main. Partout où ceux-ci n’ont pas de marchandises « rentables » à transporter, il n’y a ni routes ni voies ferrées, mais seulement des pistes et des sentiers. Autre exemple : tandis qu’un luxe insolent s’étale dans les quartiers résidentiels d’Alger, de Casablanca ou de Dakar, les esclaves, eux, sont entassés dans des « médinas » ou des « casbahs », ou bien parqués, par milliers et milliers, dans ces immondes « bidonvilles » dont l’existence même porte condamnation du régime colonial.

La bourgeoisie française se targue également d’avoir apporté dans ses colonies l’instruction et la santé.

Effectivement, la colonisation a construit des écoles et des hôpitaux. Mais encore une fois, pour qui surtout l’a-t-elle fait ?

Je prendrai seulement l’exemple de l’Algérie, où les « bienfaits » de la civilisation coloniale s’exercent depuis 124 ans.

Tous les enfants des habitants d’origine européenne sont scolarisés. Mais il n’y a pas en Algérie que ces enfants-là : il y a aussi 1.500.000 jeunes musulmans d’âge scolaire, sur lesquels moins de 120.000, soit 8 % seulement, trouvent place dans une école. Et en dehors de cet enseignement officiel en langue française, l’administration rend à peu près impossible toute initiative privée tendant à enseigner dans la langue arabe, qui est la langue parlée par 80 % de la population. Cela ne saurait d’ailleurs nous étonner, Staline ayant montré, il y a déjà longtemps, que l’étouffement de la langue nationale, de la culture nationale est l’une des marques essentielles de l’oppression.

En ce qui concerne la situation sanitaire de l’Algérie, il suffit de savoir qu’on compte plus de tuberculeux dans ce pays de 10 millions d’habitants qu’en France ou la population est quatre fois plus élevée et qu’il y a en Kabylie 30 médecins seulement pour près d’un million d’habitants, soit 1 médecin pour 30.000 habitants. (Ce sont là des chiffres officiels, irréfutables.)

Dans ces conditions, les colonialistes peuvent-ils être fiers de leur prétendue mission civilisatrice ?

D’ailleurs, en un temps pas très éloigné, en un temps où la poussée populaire, en France et dans les colonies, n’obligeait pas encore les colonialistes à camoufler leur entreprise autant qu’ils le font aujourd’hui, voici ce que déclarait, dans un livre intitulé Grandeur et Servitude coloniales, un homme qui est devenu président de l’Assemblée de l’Union française, le radical Albert Sarraut :

« Expliquons-nous hardiment sans imiter d’autres pays qui, reculant devant l’aveu des réalités, ont essayé, depuis le début, de couvrir l’annexion coloniale du prétexte de civilisation.

Ne rusons pas. Ne trichons pas. A quoi bon farder la vérité ? La colonisation, au début, n’a pas été un acte de civilisation, une volonté de civilisation. Elle est un acte de force, de force intéressée … Qui dit civilisation dit altruisme, dessein généreux d’être utile au prochain ; la colonisation, à ses origines, n’est qu’une entreprise d’intérêt personnel, unilatéral, égoïste, accomplie par le plus fort sur le plus faible. Telle est la réalité de l’histoire. »

Ce sont là des faits que nous devons populariser au maximum pour faire connaitre à notre classe ouvrière et à l’ensemble des Français la réalité du régime colonial et faire comprendre la justesse de la lutte libératrice des peuples opprimés.

C’est un premier aspect des efforts d’explication que nous avons à fournir.

UN PEUPLE DECIDE A LUTTER POUR SA LIBERTE EST INVINCIBLE

Il en est un autre sur lequel nous devons également insister. C’est celui que je soulignais il y a un instant : il est désormais impossible de venir à bout d’un peuple, quel qu’il soit, décidé à lutter pour se libérer de ses chaînes.

Le mouvement de libération des peuples opprimés est aujourd’hui un phénomène général, l’une des caractéristiques dominantes de la situation actuelle.

Parlant récemment à Genève des évènements qui bouleversent la situation de l’Asie, le camarade Molotov faisait, à ce sujet, les réflexions suivantes :

« Chez des gens aux conceptions périmées, incapables de comprendre les changements historiques qui se sont produits dans les pays d’Asie, ces évènements se reflètent parfois d’une façon complètement erronée. Ces gens cherchent partout les « menées communistes », les « gens du Kremlin », etc … Ils attribuent aux communistes tout mouvement des peuples opprimés vers la liberté et l’indépendance nationale.

Malgré eux, ils augmentent le prestige des communistes, même dans le cas ou ceux-ci n’y sont pour rien. Ils ne tiennent pas compte du fait que ce qui a poussé les gens de différentes opinions et de différentes convictions politiques à engager une lutte pleine d’abnégation pour la liberté nationale et l’indépendance, c’est le désir urgent des peuples de se libérer d’une dépendance étrangère, du joug colonial. »

Ce « désir urgent » animé de nos jours l’ensemble des peuples coloniaux et dépendants : les impérialistes en font chaque jour l’expérience. Et s’il est vrai que l’Asie est devenue pour eux un volcan, il est de plus en plus vrai qu’ils ne peuvent désormais se sentir tranquilles nulle part ailleurs.

Jacques Duclos a dressé dans son rapport un bilan sommaire des crimes des colonialistes français au cours des dernières années. A cette liste viennent s’ajouter, chaque jour, de nouvelles exactions, de nouveaux crimes, à la Réunion et aux Antilles, à Madagascar et en Afrique noire, en Algérie et surtout, dans le moment présent, en Tunisie et au Maroc.

Mais ni les « ratissages », ni les arrestations et les condamnations, ni les tortures ne peuvent venir à bout de l’ardente volonté de lutte pour la liberté qui soulève des peuples entiers.

Comment en douter quand cette lutte fait surgir des hommes tels que le patriote tunisien Ben Naceur ben Hamida, déclarant il y a quelques semaines :

« La vie ne me préoccupe pas autant que me préoccupe le sort de mon pays. Je ne crains pas la mort et je suis totalement convaincu que le pays se libérera de ses chaînes. Il n’est dans la possibilité de quiconque, quel que soit son despotisme, d’arrêter la marche de ma nation vers la liberté et l’indépendance. »

Quelques instants après avoir écrit ces lignes, Ben Naceur ben Hamida était fusillé, après avoir refusé de se laisser bander les yeux. Notre Congrès se doit de saluer le patriote tunisien Ben Naceur ben Hamida ! Lui et toutes les victimes de la terreur colonialiste !

Quel patriote, quel résistant français pourrait s’empêcher d’établir un parallèle entre une telle attitude et celle des héros de notre résistance à nous, de notre résistance contre les occupants hitlériens et les traîtres à leur service ?

En réalité, ceux qui pensent encore pouvoir résoudre les problèmes qui se posent dans un pays colonial, soit par les méthodes de violence utilisées jusqu’ici, soit par des manœuvres subalternes ayant pour bases la division des masses opprimées ou la corruption se trompent lourdement. Ce sont, suivant l’expression du camarade Molotov, « des gens aux conceptions périmées, incapables de comprendre les changements historiques qui se produisent ».

Or, pour qui veut raisonner, il n’est pas possible de ne pas se rendre compte de l’importance de ces changements.

Il y a trente-sept ans, la Révolution socialiste d’Octobre faisait une première brèche – et quelle brèche ! – dans le système impérialiste. Les anciennes colonies tsaristes se trouvaient libérées. La « prison des peuples » qu’était la Russie des tsars allait devenir une fédération librement consenties de peuples libres et égaux en droits, l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques.

Avec l’aide fraternelle du peuple russe, les pays hier encore arriérés développaient rapidement leur économie : des écoles s’ouvraient ; les esclaves devenaient des hommes ; les illettrés devenaient des ouvriers d’élite, des savants, des écrivains, des artistes réputés. Les langues nationales, brimées durant des siècles, se fixaient et s’épanouissaient. Un certain nombre de camarades ont sans doute lu un très beau livre, Sur les bords de la Soukpaï. Or ce livre a été écrit dans une langue, la langue oudéguée, qui n’était même pas écrite avant 1917. C’est le pouvoir soviétique qui a permis de fixer cette langue après avoir libéré le peuple oudégué.

Comment les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Africains, les Malgaches, obligés de vivre dans des conditions épouvantables et souvent de s’expatrier pour ne pas mourir de faim dans leurs pays, ne trouveraient-ils pas exaltant l’exemple de l’Union Soviétique ?

Comment ne trouveraient-ils pas exaltant l’exemple donné par la Révolution populaire chinoise, grâce à laquelle plus de 500 millions d’hommes – près du quart de l’humanité – accomplissent des pas de géant depuis qu’ils ont brisé leurs chaînes, depuis qu’ils travaillent non plus pour des maîtres impérialistes, mais pour eux-mêmes.

Tout aussi exaltant est l’exemple du peuple coréen mettant en échec la puissance militaire des milliardaires américains. Il ne peut qu’en être de même de l’exemple donné par le peuple vietnamien. Et des exemples que donnent d’autres peuples, au Moyen-Orient, au Kenya, ailleurs encore.

Comment les peuples encore opprimés ne trouveraient-ils pas dans ces exemples de larges sujets de réflexion ?

Parallèlement, comment les travailleurs et les démocrates français ne seraient-ils pas, eux aussi, amenés à réfléchir sur une telle situation ? De même d’ailleurs que sur la déclaration faite ces jours derniers à l’Humanité par le grand poète chinois Kuo Mo Jo, vice-président du gouvernement de la Chine populaire et vice-président du Conseil Mondial de la Paix :

« C’est dans les grandes traditions de la Révolution française et de la Commune de Paris que notre peuple et tous les peuples d’Asie ont puisé et trouvent l’inspiration là plus pure dans leur propre lutte contre le colonialisme. »

Les travailleurs et démocrates français doivent encore réfléchir à ce que disent les Algériens, les Marocains, les Tunisiens, les Africains :

« Nous avons, nous aussi, participé activement à la grande bataille des peuples contre l’hitlérisme. Nous nous sommes battus depuis la Tunisie jusqu’en Allemagne et en Autriche, en passant par la Sicile, l’Italie et la France. On nous a alors promis de vivre libres après la victoire. Ces promesses qu’on nous a faites, nous demandons qu’elles soient tenues. Nous ne demandons pas autre chose que ce que contient la Charte de l’Atlantique : le droit de disposer de nous-mêmes. »

C’est tout cela qui rend aujourd’hui invincible la lutte des peuples coloniaux et dépendants.

Ils se trompent, ceux qui pensent résoudre leurs difficultés en Afrique noire en utilisant contre la volonté des populations quelques hommes qu’ils ont réussi à prendre en main.

Ils se trompent, ceux qui pensent s’en tirer a Madagascar en gardant en prison, depuis sept ans, des centaines et des centaines d’innocents.

Ils se trompent, ceux qui prétendent qu’aucun problème ne se pose en Algérie du moment qu’ils ont décrété que ce pays, c’est « trois départements français ».

Ils se trompent lourdement, ceux qui croient pouvoir poursuivre la politique actuelle au Maroc grâce à un changement de résident, ou bien en Tunisie par la mise sur pied de mesures dont on sait d’avance ce qu’elles peuvent donner pour avoir été appliquées, déjà, sous le proconsulat de Hauteclocque.

En réalité, la politique d’oppression et de répression est irrémédiablement vouée à un échec total : toute l’expérience des dix dernières années le prouve.

LA SEULE SOLUTION

Quelle est la solution ? C’est de prendre le contre-pied de la politique pratiquée jusqu’ici. C’est de faire droit aux légitimes revendications à la liberté et à l’indépendance des peuples jusqu’ici opprimés. C’est de substituer la discussion confiante aux solutions de force. C’est précisément la voie que nous préconisons, nous, communistes.

Notre politique n’est pas occasionnelle. Elle est basée sur une position de principe qui peut se résumer ainsi :

1° Les communistes luttent en toutes circonstances contre l’oppression nationale sous toutes ses formes et pour l’égalité des droits de tous les peuples ;

2° Les communistes affirment pour chaque nation, pour chaque peuple le droit à la libre disposition, jusques et y compris le droit à la séparation d’avec la métropole ;

3° Pour les communistes, la question de la reconnaissance sans réserve du droit des peuples coloniaux à la séparation ne doit pas être confondue avec l’utilité de la séparation dans tous les cas : « le droit au divorce ne signifie pas l’obligation de divorcer », a dit Lénine.

Sous la conduite de son secrétaire général, notre Parti n’a jamais dévié de cette voie, en particulier depuis le XIIe Congrès. Je ne veux prendre que quelques exemples :

Dès l’annonce des mesures aggravant le régime colonial en Tunisie, avant même les « ratissages » et tous les crimes qui ont suivi, le Bureau politique élevait une solennelle protestation. Il déclarait :

« La seule politique conforme aux intérêts de la France et aux traditions de liberté de notre peuple consiste à établir avec le peuple tunisien – comme avec tous les peuples actuellement opprimés – des relations amicales fondées sur une égalité absolue des droits et sur des rapports économiques répondant aux intérêts des uns et des autres. »

Et le Bureau politique appelait « tous les travailleurs, tous les démocrates, tous les patriotes à témoigner une solidarité active au peuple tunisien dans sa lutte pour la liberté et l’indépendance nationale ».

En décembre 1952, dès que fut connue la fusillade qui fit 1.500 morts à Casablanca, le Parti exprimait l’indignation de notre peuple :

« Le Parti Communiste Français s’incline devant les victimes. Il réaffirme sa solidarité avec le peuple marocain. Il appelle la classe ouvrière et tous les démocrates de France à protester et à agir pour que soient immédiatement levées les mesures de terreur en vigueur au Maroc, que soient libérés tous les patriotes emprisonnés et que soient satisfaites les aspirations nationales du peuple marocain.

« Il réaffirme que c’est la seule politique conforme aux intérêts de la France, parce que seule susceptible d’établir sur un pied d’égalité, entre la France et le Maroc, des rapports économiques et culturels répondant aux besoins et aux intérêts du peuple français comme du peuple marocain. »

Le 21 août 1953, nouvelle protestation, cette fois contre la déposition et la déportation du Sultan. La résolution du Bureau politique indiquait :

« Cette politique de coup de force, impérialiste et colonialiste, qui risque d’allumer en Afrique du Nord un nouveau foyer d’incendie, est contraire aux intérêts de notre pays. Elle contribuera à aliéner à la France la sympathie de tous les peuples épris d’indépendance et de liberté. Le Parti Communiste Français assure une nouvelle fois le peuple marocain de la solidarité sans réserve de la classe ouvrière et du peuple de France. »

De telles prises de position pourraient être multipliées, aussi bien pour ce qui concerne la Tunisie et le Maroc que pour l’Algérie, l’Afrique noire, Madagascar, etc.

Toujours en conformité avec nos positions fondamentales, nous avons soutenu et soutenons – dans les pays coloniaux – tous les partis, mouvements, personnalités, qui luttent contre le colonialisme et l’impérialisme, quels que soient par ailleurs leur programme et même leur caractère social. La seule condition que nous mettons à ce soutien, c’est que l’action de ces mouvements, de ces partis, de ces personnalités aille dans le sens de la lutte générale que mène actuellement l’ensemble des forces démocratiques et progressistes contre le camp impérialiste.

Il est d’ailleurs remarquable de constater, en Algérie par exemple, que l’ensemble des partis du mouvement national se prononce contre l’inclusion de leur pays dans le pacte Atlantique, contre la livraison des bases navales et aériennes aux Américains, contre la C.E.D. dont l’une des conséquences serait, sous le couvert de l’Eurafrique, d’aggraver encore la situation des peuples d’Afrique du Nord et d’Afrique noire, placés cette fois sous la coupe de plusieurs impérialismes, dont l’impérialisme allemand remis sur pied.

Nous avons soutenu et soutenons en Algérie, en Tunisie, au Maroc – en même temps que nos partis frères, dont l’influence ne cesse de grandir – des mouvements et des hommes souvent très éloignés de nous.

En Afrique noire, à Madagascar, nous avons soutenu et nous soutenons des mouvements anticolonialistes qui, sans être communistes, n’en mènent pas moins un combat courageux et efficace. Et la présence à notre Congrès de représentants qualifiés de ces mouvements montre, une fois de plus, que les peuples d’outre-mer, dans leur masse, ne confondent nullement les colonialistes français qui les oppriment et la classe ouvrière française qui lutte contre les mêmes ennemis qu’eux et qui, par cela même, se trouve être leur alliée naturelle.

Tels sont les faits essentiels de notre politique constante à l’égard des peuples encore soumis au joug des colonialistes français, politique dont la justesse se vérifie chaque jour dans les faits.

NOUS NE SOMMES PLUS SEULS

Le point 21 du projet de thèse indique :

« Non seulement la classe ouvrière vérifie la justesse de la politique de son Parti, reconnue de plus en plus, d’autre part, par les paysans et les classes moyennes, mais, inquiètes pour leurs intérêts, une fraction de la bourgeoisie elle-même, une partie des couches dirigeantes se sont mises à hésiter. Il était inévitable, dans ces conditions, que d’autres hommes politiques, d’autres courants politiques en viennent à des positions proches des nôtres et se prononcent avec nous pour un changement de politique. »

Ce passage du projet de thèse s’applique particulièrement au problème colonial.

Nous sommes aujourd’hui loin d’être seuls, comme ce fut le cas durant très longtemps, à condamner les odieuses pratiques du colonialisme et même à considérer – certains partant de raisons parfois très différentes des nôtres – qu’une autre politique s’impose.

Certes, dans la plupart des cas, de telles prises de position ne sauraient être interprétées, de près ou de loin, comme une condamnation du colonialisme. Certaines d’entre elles visent même, dans l’esprit de leurs auteurs, à faciliter le maintien des profits coloniaux de la bourgeoisie. Il n’en reste pas moins que tout ce qui, dans le moment présent, va à l’encontre de la politique colonialiste du gouvernement ne peut être que positif.

En ce sens, nous nous félicitons que des hommes comme François Mauriac, le général Catroux, l’U.D.S.R. François Mitterrand, groupés au sein du Comité France-Maghreb, demandent que cessent les violences et les crimes colonialistes en Afrique du Nord.

Nous nous réjouissons par ailleurs que, pour la première fois, des communistes, des militants de la C.G.T. et d’autres organisations démocratiques travaillent aux côtés d’hommes comme le catholique Massignon, l’indépendant d’outre-mer Aujoulat, les socialistes Depreux et Charles-André Julien, le M.R.P. Léo Hamon, le R.P.F. Michelet, le pasteur Vienney, Claude Bourdet, etc., au sein du Comité pour l’amnistie aux condamnés politiques d’outre-mer, amnistie qu’il importe d’imposer rapidement.

Nous devons travailler à élargir au maximum et à organiser, sous les formes les plus diverses, le courant d’action anticolonialiste qui se développe dans le pays et qui, au cours de la dernière période, a fait des progrès certains, particulièrement dans les milieux intellectuels.

LE PROBLEME DES ALGERIENS EN FRANCE

Il nous faut également, ainsi que l’a souligné Jacques Duclos, renforcer la solidarité active qui unit les travailleurs français et les travailleurs algériens en France.

Il y a en France plus de 400.000 Algériens, dont environ 150.000 dans la région parisienne, 35.000 dans le Nord, 25.000 dans les Bouches-du-Rhône, 20.000 en Moselle, 15.000 dans le Rhône, 15.000 dans la Loire, 15.000 en Meurthe-et-Moselle, 5.000 dans le Gard. L’immigration algérienne s’est accrue de 150.000 personnes depuis quatre ans.

Dans beaucoup de grandes entreprises, le nombre de travailleurs algériens est particulièrement élevé. A titre d’indication, il y en a chez Renault 4.500 ; il y en a 2.800 dans les usines Citroën de Levallois, Clichy et Asnières ; 1.000 parmi les dockers de Marseille ; 500 aux raffineries Saint-Louis de la même ville ; 800 au puits Couriot de Saint-Etienne ; 1.000 à l’Asturie d’Auby, dans le Nord ; 2.000 dans le bassin minier du Gard.

Ļa combativité de ces travailleurs est magnifique. Ils sont au premier rang dans toutes les batailles revendicatives. Ils participent massivement, depuis quatre ans, à toutes les manifestations des organisations démocratiques, notamment le 1er Mai et le 14 Juillet. Depuis notre dernier congrès le front commun de lutte des travailleurs français et algériens s’est renforcé. On peut dire que la recommandation de Maurice Thorez dans son rapport au XIIe Congrès : agir en sorte que les travailleurs nord-africains « voient effectivement des frères dans les travailleurs de France », a été, en général, largement suivie.

Est-ce à dire que tout l’effort nécessaire a été accompli ?

Les travailleurs algériens en France sont encore plus durement exploités que leurs camarades de travail français. Astreints aux travaux les plus pénibles, les plus rebutants, ils sont souvent en butte, de la part d’un patronat raciste, à des discriminations de salaires et à des vexations de toutes sortes. Leurs allocations familiales sont nettement intérieures à celles des travailleurs français. Ils connaissent des conditions de logement épouvantables ; on assiste même, dans la banlieue parisienne et autour d’autres grandes villes industrielles, au développement de véritables bidonvilles.

Par ailleurs, l’ennemi s’efforce de briser la réalisation du front commun de lutte dont je viens de parler.

D’une part, ainsi que le souligne le point 2 du projet de thèse, il accentue la répression contre les travailleurs algériens. Martinaud-Déplat a mis sur pied un véritable réseau policier. Dans tous les centres où se trouvent des concentrations d’Algériens, sont mis en place des « conseillers sociaux » qui, sous le prétexte de les aider, ont pour tâche essentielle l’établissement de fichiers de police. Au lendemain de la fusillade qui, le 14 juillet 1953, fit à la Nation sept morts algériens et un français, une « brigade nord-africaine » a été reconstituée, qui se livre à de véritables « ratissages », à toute heure du jour et de la nuit, dans les rues, dans les cafés, dans les hôtels fréquentés par les Algériens.

D’autre part, et parallèlement à ces actes de répression, l’ennemi s’efforce, par diverses manœuvres, de détourner les travailleurs algériens de la lutte aux côtés du mouvement démocratique français. C’est ainsi que le gouvernement fait une grande publicité autour de la création de quelques centres d’hébergement aménagés ici ou là. (Récemment, trois ministres se déplaçaient à Grand-Quevilly pour l’inauguration d’un foyer de soixante places.) Des dignitaires de l’Eglise s’apitoient sur le sort des travailleurs algériens. F.O., la C.F.T.C. découvrent que ces travailleurs existent et engagent des campagnes de propagande pour essayer de détourner les Algériens de la C.G.T.

La situation toujours difficile et souvent dramatique des travailleurs algériens appelle un soutien constant et plus résolu encore que jusqu’ici de leurs revendications nationales et sociales, en particulier dans des fédérations comme le Nord, la Moselle, la Meurthe-et-Moselle, la Loire.

Cela nécessite une grande attention de la part de l’ensemble du Parti et plus particulièrement des communistes militant dans le mouvement syndical, ainsi que de nos élus municipaux et de nos conseillers généraux.

Cela nécessite de faire connaître le plus largement possible aux travailleurs algériens la position du Parti de la classe ouvrière française, notamment en diffusant l’Algérien en France, journal mensuel édité par la direction du Parti.

Cela nécessite aussi de donner à l’ensemble de notre classe ouvrière toutes les explications lui permettant de comprendre pourquoi tant de ces travailleurs sont obligés de s’expatrier et de venir dans notre pays, ce qui au fond revient à expliquer pourquoi nous devons soutenir effectivement, concrètement la lutte du peuple algérien comme celle de tous les autres peuples opprimés par nos propres impérialistes.

Nous avons aussi des devoirs à remplir à l’égard des étudiants coloniaux, vietnamiens, algériens, marocains, tunisiens, malgaches, africains, antillais, réunionnais, etc., venus étudier dans les facultés et les grandes écoles de notre capitale et autres villes de France. En luttant contre les diverses manifestations de racisme dont ils sont encore trop souvent victimes, en soutenant leur lutte courageuse pour leurs revendications nationales et sociales, les communistes créeront les conditions d’une amitié confiante et fraternelle entre les étudiants coloniaux et les étudiants français et d’une façon générale la jeunesse de France.

UNE VERITABLE POLITIQUE FRANÇAISE

Tels sont quelques aspects d’un problème dont l’importance ne fait que croître – celui de l’alliance de lutte de notre classe ouvrière et des peuples opprimés par l’impérialisme français.

On peut dire, je crois, que notre Parti a jusqu’ici correctement rempli les tâches qui se posaient à lui. C’est vrai, en particulier, de la lutte que nous avons menée et que nous continuons de mener contre la guerre d’Indochine, dont il faut parvenir à imposer la fin.

Mais la situation présente nous commande de redoubler d’efforts.

Au moment où l’ensemble des peuples coloniaux et dépendants secouent leurs chaînes, la solidarité de notre classe ouvrière et de notre peuple doit se manifester plus fortement encore à leur égard. Et c’est à nous, communistes, qu’il appartient d’orienter et d’impulser ce soutien effectif jusqu’à ce que soit imposée une autre politique.

C’est ainsi que nous remplirons notre devoir d’internationalisme.

Et, en même temps, précisément parce que nos positions sont basées sur les principes du marxisme-léninisme, nous assurerons – dans ce domaine également – « le rôle historique de défense de la France » dont fait état le point 9 du projet de thèse.

S’il fallait une preuve nouvelle de cette vérité, nous la trouverions dans les propositions faites à Genève par la délégation du gouvernement démocratique du Viet-Nam.

Voilà un peuple – le peuple vietnamien – qui, victime d’une agression impérialiste en novembre 1946, mène depuis lors, depuis plus de sept ans, un combat très dur, pour pouvoir vivre libre, pour pouvoir gérer ses affaires comme il l’entend.

Ce combat, auquel le gouvernement et le peuple vietnamien ont tout subordonné, a fait subir des privations inouïes à l’ensemble de la population : il a occasionné d’immenses destructions ; il a coûté des dizaines et des dizaines de milliers de vies humaines.

Or, loin de présenter des exigences que certains escomptaient, sans doute pour avoir un nouveau prétexte à la poursuite de la guerre, la proposition du gouvernement démocratique du Viet-Nam va au-devant des intérêts de notre pays. Outre l’assurance de la sécurité du corps expéditionnaire, elle reconnait l’existence d’intérêts français au Viet-Nam et envisage le maintien et même l’extension des relations économiques et culturelles entre nos deux pays. Mieux encore : elle proclame l’intention d’examiner la question d’une adhésion librement consentie de la République du Viet-Nam à l’Union française. La seule condition posée, c’est la reconnaissance par la France de la souveraineté et de l’indépendance des pays d’Indochine.

Nous pouvons et devons tirer d’un tel acte politique quelques enseignements :

1° C’est une occasion – on est tenté de dire inespérée – de garantir et d’asseoir solidement les intérêts de la France dans cette partie du monde.

2° C’est, suivant l’expression de Jacques Duclos, « un grand acte de confiance dans la classe ouvrière et le peuple de notre pays », dans les « forces profondes » qui se lèvent et parviendront à imposer une politique reconnaissant à chaque peuple encore opprimé le droit de disposer de lui-même comme il l’entend. Quelle plus éclatante démonstration de la justesse de notre doctrine sur la question nationale et coloniale, la démonstration de la nécessité et de l’efficacité du front commun de lutte entre le prolétariat du pays oppresseur et les peuples des pays opprimés !

3° C’est parce que notre Parti s’est tenu fermement sur les principes marxistes-léninistes et s’est opposé dès le premier jour, dans le pays et jusqu’au sein du gouvernement, où participaient encore des communistes, à la sale guerre, que la porte de l’amitié et de la confiance entre les peuples français et vietnamien est toujours restée ouverte. Notre Parti a effectivement impulsé une lutte politique de masse soutenue contre cette guerre. Les dockers ont refusé de charger le matériel de guerre. Il y a eu Raymonde Dien, et Henri Martin, et Léo Figuères, membre de notre Comité central, condamné à sept ans de réclusion pour avoir transmis à notre peuple, voici trois ans déjà, des propositions de paix du président Ho Chi Minh.

Pour son action, notre Parti a été calomnié, des camarades ont été poursuivis et emprisonnés. Mais aujourd’hui la quasi-unanimité de notre peuple demande, avec nous, la fin de la guerre d’Indochine.

Une fois de plus, notre Parti a vu juste le premier. Une fois de plus, notre Parti a eu raison.

4° La perspective qu’ouvre la proposition du gouvernement démocratique du Viet-Nam éclaire la route à suivre pour résoudre les problèmes qui se posent en Tunisie, au Maroc, en Algérie et ailleurs.

La situation ne fera que s’aggraver dans ces pays tant que se poursuivra un régime d’oppression et de violence dont les peuples unanimes ne veulent plus, et ils ont raison.

Toutes les mesures d’exception prises ou envisagées le sont sous le prétexte du « maintien de l’ordre ». Ce n’est évidemment pas nouveau. Mais il n’y a pas deux moyens de ramener l’ordre, aujourd’hui en Tunisie et au Maroc, demain sans doute dans d’autres pays.

Le seul moyen consiste à faire droit aux légitime revendications de ces peuples à la liberté et à l’indépendance.

A partir du moment où seront satisfaites ces revendications, il deviendra possible – et, nous en sommes convaincus, facile – par des discussions sur un pied d’égalité, de résoudre la question des intérêts français et d’établir des relations économiques, culturelles et autres répondant aux intérêts des deux parties. Pour la raison bien simple qu’a partir de ce moment-là l’amitié et la confiance se substitueront à la violence et à la haine.

C’est là la voie que préconise depuis toujours notre Parti.

Si nous avions été écoutés, il n’y aurait eu ni Dien-Bien-Phu ni l’engloutissement de centaines de milliards dans le gouffre de la sale guerre.

Il s’agit aujourd’hui de faire en sorte qu’il n’y ait plus de Dien-Bien-Phu, en Indochine ou ailleurs. Mais, pour cela, il faut que cesse la guerre d’Indochine ; il faut qu’il n’y ait plus de massacres du Constantinois, de massacres de Madagascar, de massacres de Côte d’Ivoire, de massacres du Cap-Bon et de massacres de Casablanca.

Il faut que finisse la politique de violence pratiquée en Afrique du Nord et dans les autres pays coloniaux. Il faut que s’établissent des discussions avec les représentants qualifiés des peuples opprimés.

Il est possible, sur ces bases, de réaliser une large unité d’action avec les travailleurs socialistes restes fidèles au souvenir de Jules Guesde, qui se dressait vigoureusement contre les guerres de conquête du Tonkin, de Tunisie et de Madagascar, et à celui de Jean Jaurès, qui stigmatisait les responsables et les profiteurs de la guerre de conquête du Maroc. Nombreux sont d’ailleurs les exemples de communistes et de socialistes ayant déjà manifesté en commun leur opposition a la guerre d’Indochine. Le vote du Congrès socialiste de Puteaux contre des mesures militaires tendant à la poursuite de la guerre d’Indochine ne peut que faciliter une telle unité d’action.

Et, partant de cette unité d’action, il est possible de rassembler de larges masses afin d’imposer le changement de politique indispensable.

Cela fait partie de notre grande lutte pour la paix et l’indépendance nationale, contre ceux qui trahissent et font détester notre pays, alors que, suivant l’expression de Maurice Thorez dans l’article publie par l’Avant-Garde le 17 février dernier :

« La France pourrait se faire des amis, des alliés de tous les peuples qu’elle maintient dans les chaines de l’oppression nationale, à la seule condition de leur reconnaitre une pleine indépendance. »

L’éditorial de Paix et Démocratie du 28 mai dernier donne un relief saisissant à l’appréciation du secrétaire général de notre Parti.

Ce document montre que les impérialistes « craignent l’amitié des peuples parce qu’elle fait obstacle à leurs plans d’agression : c’est pourquoi ils cherchent à « semer la haine entre eux ».

Mais cela n’empêche pas le camp de la démocratie de se renforcer, sur la base – précisément – de l’amitié et de la confiance.

« De nouvelles relations se sont établies entre les peuples et les Etats du camp démocratique. Ce sont des relations d’amitié fraternelle, de respect mutuel, de confiance et d’entraide permanente. Elles sont basées sur les principes de l’internationalisme prolétarien. Elles sont fondées sur le respect de l’indépendance étatique et de la souveraineté nationale. Elles servent la cause de la paix et de la sécurité des peuples. »

Et l’éditorial de Paix et Démocratie fait ressortir comment s’est édifiée la plus grande amitié qui existe entre des peuples, l’amitié « fraternelle et indéfectible » des peuples de l’U.R.S.S. :

« L’amitié des peuples de l’Union Soviétique a une grande histoire, une histoire vraiment héroïque. Elle s’est forgée dans la lutte des travailleurs contre leurs ennemis communs … A l’époque de l’impérialisme, à la tête de cette lutte héroïque s’est placée la classe ouvrière russe, la plus révolutionnaire du monde, dirigée par son avant-garde combative, le Parti communiste, qui explique avec conséquence depuis plus d’un demi-siècle le programme théorique et la politique de la question nationale élaborés par le génial Lénine et par le grand continuateur de son œuvre, Joseph Staline. »

Nous inspirant de l’exemple de notre glorieux parti frère, le Parti Communiste de l’Union Soviétique, je crois que notre Congrès doit, avec beaucoup de modestie – car il faut toujours être très modeste quand on se promet de suivre l’exemple du Parti Communiste de l’Union Soviétique – mais aussi de résolution, dire aux représentants des partis communistes et autres organisations progressistes des pays coloniaux ici présents, il doit dire aux millions d’hommes et de femmes que nos propres impérialistes tiennent encore sous le joug :

Frères de combat ! Votre lutte, dont nous apprécions toute l’aide qu’elle apporte a la notre, est dure, très dure. Mais vous n’êtes pas seuls. Vous avez à vos côtés, épaulant vos efforts, les immenses forces du camp de la paix et de la démocratie, dont les succès sont un appoint décisif à la cause de l’ensemble de l’humanité progressiste. Et vous avez près de vous, plus directement, un nombre toujours plus important de travailleurs et de démocrates français.

Pleinement conscient des responsabilités qu’il tient de ses principes, le parti de la classe ouvrière française, le Parti Communiste Français, le parti de Maurice Thorez fera en sorte que ce soutien se développe encore, jusqu’à ce que vous soyez libérés de vos chaînes.

Ainsi se resserreront entre nos peuples les liens d’une amitié que nous voulons et que nous ferons, nous aussi « fraternelle et indéfectible ».

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