Article d’Albert Lévy paru dans Droit et Liberté, n° 138 (242), 15 septembre 1954, p. 1
PLUS de 1.400 morts, pas tous encore dénombrés ; des milliers de blessés : des dizaines de milliers de sans-abri, errant dans les rues informes et dans la campagne : tel est le dramatique bilan du séisme d’Orléansville.
Tous, nous avons suivi avec horreur le récit de cette atroce nuit du 9 septembre où, tout à coup, la terre fut prise d’un furieux tremblement. Dans un grondement de tonnerre, murs et toits s’abattirent sur les dormeurs paisibles. Des immeubles, des monuments s’écroulèrent comme châteaux de cartes. Le sol ouvert engloutit les choses et les êtres. Des collines, lourdement, s’affaissèrent.
Et puis, dans la poussière et dans les ruines, tandis que les cloches agitées sonnaient spontanément le tocsin, ce furent les cris, les lamentations, les appels venant de sous les pierres ; ce fut la fuite éperdue des survivants.
12 secondes s’étaient coulées. En ces quelques instants, plus sûrement que par le bombardement le plus terrible, une ville a cessé d’exister, le deuil a frappé d’innombrables familles.
D’Orléansville à Ténès, de Hanoteaux à Vauban, des tonnes de matériaux non déblayés cachent encore des dizaines, peut-être des centaines de cadavres.
Le cœur se serre à l’image d’un père ou d’une mère fouillant les décombres pour découvrir, affreusement mutilé, le petit visage de l’être le plus aimé. Ou celle d’un enfant, arraché à l’étreinte des gravats et se retrouvant seul, orphelin, dans un monde inconnu.
Seul réconfort après ce cataclysme : le magnifique élan de solidarité qui, aussitôt, s’est levé dans la France entière. Les initiatives foisonnent : partout on collecte des fonds, des vêtements, des produits alimentaires, des médicaments ; chaque jour, partent des centaines de colis, destinés à soulager un peu l’effroyable misère des rescapés.
Et dans cette aide active qui s’organise et s’amplifie de jour en jour, nous voyons plus que le simple reflexe d’hommes émus par la douleur d’autres hommes : nous y voyons la volonté d’apporter à des frères malheureux un témoignage de sincère affection.
En donnant généreusement pour le peuple algérien éprouvé, le peuple français pense non seulement aux ravages du séisme, il pense à la misère, à la souffrance qui régnaient là-bas avant, déjà. Il pense aux êtres loqueteux, faméliques, entassés dans les bidonvilles, en proie aux maladies, victimes d’une cruelle exploitation. Il pense aux enfants de ces parias, qui, faute de nourriture et du plus élémentaire confort, meurent, chaque jour, victimes d’un odieux racisme.
Il pense à la condition pénible de ces travailleurs, venus en France par dizaine de milliers, pour tenter de gagner leur vie et celle des leurs, restés au loin, dans l’enfer de leur propre pays.
Aussi, est-ce avec une profonde indignation que nous avons appris les discriminations frappant certaines des victimes, au sein même du malheur commun. Dans certains douars, les secours officiels n’ont été envoyés que plusieurs jours après le cataclysme, comme si certaines vies comptaient moins que d’autres.
Des hommes, des femmes, des enfants sont morts faute de soins assez rapides. Et l’aide apportée aux survivants par les pouvoirs publics – un morceau de pain et une boîte de lait – est particulièrement dérisoire quand il s’agit de familles qui, avant même la catastrophe étaient sous-alimentées dans le besoin.
Il appartient donc aux gens de cœur d’aider le peuple algérien dans le malheur. La France généreuse, traditionnellement amie de ceux qui souffrent, de ceux qui luttent, saura répondre à l’appel poignant qui monte des ruines d’Orléansville.
Le M.R.A.P., quant à lui, ne négligera aucun effort pour collecter et envoyer fonds et secours en nature, pour contribuer à cette grande œuvre de fraternité humaine.
Albert LEVY.