Catégories
presse

Michieslazc Kokozcynski : La Palestine et nous

Etude de Michieslazc Kokozcynski dit Michel Rouzé publiée en neuf parties dans Alger Républicain, 24 juin 1948 ; 25 juin 1948 ; 26 juin 1948 ; 27 juin 1948 ; 29 juin 1948 ; 30 juin 1948 ; 1er juillet 1948 ; 2 juillet 1948 ; 3 juillet 1948

Non ! Cette guerre-là n’est pas une guerre entre Juifs et Arabes…

L’ATTENTION du monde entier est aujourd’hui attirée par les évènements de Palestine. Au moment même où l’on suppute les chances qu’a l’humanité de retrouver une paix stable, on s’aperçoit avec effroi que la paix n’existe déjà plus. La guerre, la vraie guerre avec toutes les horreurs que nous avons connues, exerce ses ravages sur de nouvelles parties de la planète.

Si le théâtre des hostilités est étroit – car la Palestine n’est qu’un tout petit pays – le danger pour nous tous n’est pas moins grand. Quand l’incendie se déclare, nul ne peut dire quelles en seront les limites ; et chacun sait à présent que la guerre d’Espagne ne fut que le premier chapitre d’une guerre mondiale.

Enfin, pour la plus grande partie de l’humanité civilisée, le nom seul de la Palestine ébranle trop de résonances affectives pour que tout ce qui s’y passe n’éveille pas un intérêt particulier. Les lieux saints de trois grandes religions s’y trouvent rassembles, et même ceux de nous qui ont cessé d’écouter « la vieille chanson qui berce la misère humaine » éprouvent un malaise insolite à lire, dans les communiques, les noms de Jérusalem et de Bethléem désignant des objectifs pour bombardiers ou l’enjeu de combats de blindés.

Mais dans certains pays – dont l’Algérie – les résonances de la tragédie palestinienne sont encore plus directes et plus sensibles. Une solidarité religieuse est évoquée pour susciter des sympathies en faveur de l’un ou l’autre des partis en lutte – tels qu’on peut les imaginer à distance. Bref, pour parler franchement – et il est indispensable de parler franchement – la guerre actuelle soulève des mouvements d’opinion au sein des populations musulmanes et juives d’Afrique du Nord.

La réaction colonialiste a toujours accueilli avec bonheur ce genre de situation. Tout ce qui peut unir les Algériens contre leur ennemi commun – le colonialisme – est une catastrophe pour ce dernier. Tout ce qui les divise et les oppose les uns aux autres est une bénédiction. Aussi ne faut-il pas s’étonner si la presse colonialiste sous un masque hypocrite d’objectivité développe avec complaisance toutes les nouvelles, vraies ou fausses, de nature à attiser les passions et à aggraver les oppositions.

Les démocrates conscients de leurs responsabilités doivent dénoncer cette cynique volonté de provocation. Ils doivent se rappeler sans cesse que l’ennemi des populations algériennes, c’est le colonialisme, et toutes les forces qui, dans le monde, appuient le colonialisme. Ils doivent écarter ce qui divise les victimes du colonialisme, mettre en avant ce qui les unit.

IL FAUT DETRUIRE LE MENSONGE

Mais nous serions loin d’accomplir tout notre devoir si nous en restions là. Il nous faut aller plus loin. Il nous faut contre-attaquer l’ennemi colonialiste sur ses propres positions, en déjouant la manœuvre dont il voudrait que nous soyons dupes.

Pour cela, il suffit de se rappeler que l’arme principale de la réaction, c’est le mensonge. Pour faire servir les évènements à leur néfaste propagande, les colonialistes commencent par les défigurer, par leur donner un sens différent de celui qu’ils ont véritablement. La puissance des moyens dont ils disposent pour cette besogne est incroyable, et il faut être journaliste pour en connaître toute l’étendue. Faut-il rappeler, par exemple, avec quelle perfection de procédés on s’employa à cacher à l’opinion française et mondiale la vraie nature des tragiques événements de mai-juin 1945 en Algérie ? La conjuration des services d’information du Gouvernement général et de l’armée avec les agences de presse et les journaux au service du colonialisme s’efforça de cacher au monde l’épouvantable répression qui décimait la population musulmane du Constantinois.

Un seul quotidien, à l’époque, déchira le voile du mensonge et, malgré les entraves de la censure, réussit à crier une partie de la vérité, à mettre en garde les démocrates contre le complot colonialiste, à leur permettre de briser finalement ce complot. De ce que fit alors ALGER REPUBLICAIN, nous avons le droit d’être restés fiers ; nous perdrions ce droit si nous cessions d’être fidèles à notre mission : « dire chaque matin la vérité ».

Même quand c’est difficile. Surtout quand c’est difficile. Car c’est alors que la vérité est plus que jamais nécessaire.

Je me propose donc, en cette courte série d’articles, d’apporter quelques éléments de vérité sur cette affaire de Palestine. S’ils n’épuisent pas le problème, ils contribueront du moins à le poser dans ses termes véritables. Car l’habileté diabolique des adversaires de la démocratie, des ennemis du peuple algérien et de tous les peuples, c’est de poser dans des termes inexacts les problèmes que nous avons à résoudre, c’est de nous faire accepter, avant même que le débat ait commencé, une façon de le présenter qui enferme la discussion dans une impasse.

LA VRAIE CAUSE DE LA GUERRE DE PALESTINE

Il en est ainsi du conflit de Palestine. Toute l’astuce des colonialistes consiste à nous faire croire que le drame auquel nous assistons là-bas est un duel sans merci entre, d’une part le peuple juif de Palestine, jouissant d’appuis dans le judaïsme mondial, et d’autre part les peuples arabes du Moyen-Orient, qui de leur côté peuvent faire appel à tout le monde arabe et même à tout l’Islam.

Or ce schéma ne correspond pas à la vérité. Même sur le plan militaire, la réalité est assez différente. Sur le plan politique, ce qui se passe en Palestine résulte de tout autre chose que d’un conflit fondamental entre Arabes et Juifs.

Il existe, certes, un problème posé par la situation de fait qu’est la coexistence en Palestine d’une population arabe et d’une population juive. Ce problème n’aurait rien de tragique, et il aurait reçu depuis longtemps une solution pacifique par un accord direct entre les deux peuples intéressés, si l’impérialisme anglais, puis l’impérialisme américain, ne s’étaient attachés à brouiller les cartes de manière à rendre cette solution momentanément impossible.

Ce sont les Anglais et les Américains qui ont savamment machiné le drame palestinien, ce sont eux qui ont organisé la guerre actuelle. Cette guerre est le moyen qu’ils ont trouvé pour étouffer la montée du mouvement national dans les pays du Moyen-Orient, pour maintenir ces pays dans un état colonial déguisé. Et le colonialisme français, qui n’est plus qu’une succursale du colonialisme anglo-saxon, compte bien utiliser aussi l’affaire de Palestine pour consolider ses positions chancelantes en Afrique du Nord.

Tout cela est facile à comprendre si l’on regarde les faits sans passion. Ces faits, nous voulons les examiner avec les démocrates algériens qui lisent ALGER REPUBLICAIN et qui savent quelle est la cause qu’a toujours défendue ce journal. Ils verront avec nous que les événements du Moyen-Orient, loin de pousser les démocrates à se diviser, doivent les inciter au contraire à resserrer leur union face à leur ennemi impitoyable : le colonialisme.

M. R.


Route des Indes, champs de pétrole et bases stratégiques

LA fin de la dernière guerre mondiale a été marquée par une forte recrudescence du mouvement d’émancipation des peuples colonisés.

Parmi les puissances coloniales européennes, l’Angleterre était la moins affaiblie, mais elle était aussi celle qui avait à défendre l’empire colonial le plus vaste et le plus divers.

C’est dans les pays du Moyen-Orient que le colonialisme britannique a joué le jeu le plus habile : l’affaire était pour lui particulièrement importante. Cela pour trois raisons

1. Le Moyen-Orient est une des grandes sources mondiales de pétrole. Les puits d’Irak et du nord de l’Iran envoient l’huile brute, par pipe-line, vers Tripoli en Syrie et Haïfa en Palestine. Ceux du sud de l’Iran et d’Arabie séoudite doivent être prochainement relies, eux aussi, aux ports palestiniens.

2. Le Moyen-Orient est le verrou classique de la route des Indes, que Napoléon essaya jadis de fermer en s’emparant de l’Egypte. Et l’Angleterre, en dépit des apparences, n’a pas encore lâché l’Inde.

3. Le Moyen-Orient constitue une plate-forme stratégique pour une guerre d’agression contre l’U.R.S.S., en direction des pétroles de Bakou et des industries de l’Oural.

La colonisation indirecte des pays arabes

Installé depuis longtemps en Egypte par la force des armes, l’impérialisme britannique se donna pour but, après la dernière guerre mondiale, d’étendre sa domination dans les pays arabes qui venaient d’être détachés de l’empire turc.

En 1922, les Anglais se firent attribuer par la S.D.N. le mandat sur la Palestine. Ils détachèrent un morceau de ce pays pour fabriquer un nouvel Etat, la Transjordanie, dont ils firent cadeau à l’émir Abdullah. En 1930, ils signèrent avec l’Irak le traité qui leur permet de maintenir des troupes dans ce pays et d’y installer des bases aériennes. En 1936, ils signèrent avec l’Egypte le traité prolongeant l’occupation britannique de la zone du canal de Suez. S’étant débarrassé, en 1945, de la concurrence française en Syrie et au Liban, le colonialisme britannique contrôla ainsi la plus grande partie des pays arabes.

C’est pourquoi le mouvement de libération nationale dans ces pays – particulièrement en Egypte – a toujours considéré l’impérialisme britannique comme son ennemi n° 1.

On ne peut rien comprendre aux événements actuels dans le Moyen-Orient si on ne se rappelle pas, ou si on feint d’oublier, que l’histoire du mouvement national durant ces dernières années est simplement l’histoire d’une lutte sans merci contre les colonialistes anglais et leurs complices locaux.

Car les Anglais n’ont pas fait autre chose que de coloniser, de façon indirecte et hypocrite, les pays arabes tombés sous leur coupe. Pour y arriver, ils ont d’abord maintenu, partout où ils le pouvaient, la présence de leurs forces armées. Quelle indépendance réelle peut avoir un peuple sur le sol duquel campent les régiments et l’aviation de Sa Majesté britannique ? C’est le cas, en ce moment, des pays suivants (au moins) : Egypte, Palestine, Transjordanie, Irak.

Mais tout autant que sur leur force militaire, les Anglais comptent sur les intrigues qu’ils savent mener dans les pays arabes. Ils se procurent des alliés, flattent les ambitions, entretiennent les divisions et les rivalités personnelles. Ils appuient les éléments réactionnaires afin de mater le mouvement démocratique et progressiste. Une entente s’établit ainsi entre les politiciens appuyés sur la féodalité locale, et le capitalisme étranger. Cette entente se fait naturellement sur le dos du peuple. Les intérêts des riches pachas égyptiens ne sont pas exactement ceux des impérialistes anglais ; mais leurs divergences sont secondaires et ils s’entendent finalement sur le dos du fellah, qu’ils ont intérêt les uns et les autres à maintenir dans sa condition misérable.

Pour apprécier l’attitude des gouvernements des pays arabes dans l’affaire de Palestine, il faudra – ce sera l’objet de mon prochain article – examiner de près ce qui se passe dans chacun des pays intéressés, et le rôle qu’y jouent les intrigues impérialistes opposées à la libération nationale.

Le colonialisme américain

Mais les intrigues de l’impérialisme ne sont pas toutes des intrigues britanniques. Si le colonialisme français ne tient plus de place au Moyen-Orient, un nouveau colonialisme, par contre, y a fait son apparition depuis une quinzaine d’années, et progresse à pas de géant : c’est le colonialisme américain. Il a complètement asservi l’Arabie séoudite, et poussé une pointe dans plusieurs autres pays.

Dans cette partie du monde, les intérêts anglais sont encore opposés aux intérêts américains. Les compagnies pétrolières américaines cherchent à évincer peu à peu les compagnies britanniques, et ces dernières se défendent vigoureusement. Tantôt rapprochés pour empêcher ensemble les populations autochtones de secouer le joug impérialiste, tantôt se combattant entre eux, les impérialismes utilisent la question palestinienne comme une arme dans cette double lutte.

Cette question elle-même, c’est eux qui l’ont créée et savamment envenimée. Sans aller pour aujourd’hui jusqu’au fond du problème, faut-il rappeler que c’est le gouvernement britannique qui, par la déclaration Balfour au lendemain de l’autre guerre, a offert une possibilité de réalisation pratique au sionisme, qui jusqu’alors était resté dans le domaine de la spéculation ? Oui, il faut le rappeler, puisqu’il semble que tout le monde ait tendance à l’oublier, même les Juifs et les Arabes que l’impérialisme fait s’entretuer là bas pour le seul profit des capitalistes de la City et de Wall-Street !

M. R.


L’impérialisme anglais contre le mouvement national dans les pays arabes

DE tous les Etats arabes, c’est la Transjordanie qui subit le plus complètement la domination du colonialisme britannique.

La Transjordanie (« le pays au-delà du Jourdain ») est elle même une invention anglaise. C’est simplement un morceau de Palestine que les Anglais ont détaché pour en faire cadeau, après l’autre guerre, à l’émir Abdullah, récemment promu « roi ».

La Transjordanie est une région désertique, dont la capitale, Amman, est une simple bourgade. L’ensemble des tribus qui l’habitent comprend environ 300.000 personnes, moins que l’agglomération algéroise.

L’émir Abdullah appartient à la dynastie hachémite. Son frère Fayçal régna sur l’Irak. Leur père, Hussein, fut chassé du trône du Hedjaz par Ibn Séoud, aujourd’hui roi d’Arabie.

En choisissant Abdullah comme protégé et comme serviteur, l’impérialisme britannique a appliqué le vieux principe : diviser pour régner. Quel merveilleux instrument, pour opposer les Arabes les uns aux autres et étouffer le mouvement de libération nationale, que la vieille querelle entre Ibn Séoud et Abdullah, entre Ouahabites et Hachémites !

L’ambition d’Abdullah est également utilisée dans un autre sens. Son rêve est de devenir souverain de la « Grande Jordanie » ou « Grande Syrie ». Etat qui comprendrait, avec l’actuelle Transjordanie, toute la Palestine, la Syrie et le Liban. L’ambition d’Abdullah se heurte donc à celle du muphti de Jérusalem Hadj Amine el Husseini, qui voudrait, pour lui-même et pour ses propres parents, le gouvernement de la Palestine. Elle se heurte aussi aux légitimes inquiétudes que soulève, en Syrie et au Liban, un projet qui mettrait fin à l’indépendance de ces deux Républiques. Il est vrai qu’à Damas comme à Beyrouth, certains politiciens ne résistent que mollement à l’influence britannique et ne se montreraient pas irréductiblement opposés, le cas échéant, aux ambitions d’Abdullah. Là comme ailleurs, les Anglais ont su travailler.

Quant à la Ligue arabe, Abdullah écrivait à son sujet, dans ses mémoires publiés l’an dernier :

« La Ligue arabe est un beau nom, mais un nom creux, autour duquel se fait une propagande effrénée. Elle n’est qu’un ramassis de notables, sans le moindre contact avec les masses. »

C’est que la Ligue arabe a été obligée, à plusieurs reprises, de manifester quelque inquiétude devant la sujétion trop avouée du gouvernement « transjordanien » à la Grande-Bretagne. On sait jusqu’où va cette sujétion. Abdullah reçoit chaque année des Anglais 2 millions de livres sterling. Son armée, la fameuse « Légion arabe » (20.000 hommes), est équipée par les Anglais, instruite et encadrée par des officiers en grande partie anglais, commandée par le général anglais Glubb.

La « Légion arabe » est une simple armée britannique du type colonial ordinaire : recrutement indigène, cadres européens – au service de la politique britannique dans le Moyen-Orient.

Quand une telle armée entre en campagne, c’est avec la bénédiction du « Colonial Office » et pour la seule défense des intrigues britanniques.

Abdullah prétend assumer la défense des peuples arabes : M. Sayah Abdelkader prétend également représenter les populations algériennes. L’un est roi de Transjordanie par la grâce du général Glubb, comme l’autre est vice-président de l’Assemblée algérienne par la grâce de M. Naegelen. Les peuples n’ont pas grand’chose à voir là-dedans …

IRAK

Autre pays arabe détaché de l’ancien empire ottoman, l’Irak, comme la Transjordanie, est d’obédience hachémite. Le roi Fayçal II règne sur les 3.500.000 habitants. Comme il a onze ans, le pouvoir est assumé par l’émir Abdulillah, neveu d’Abdullah, qui ne fait rien sans consulter son oncle. L’Irak est donc dans l’orbite de la politique britannique, mais moins complètement que la Transjordanie.

Il y existe, en effet, un mouvement progressiste qui veut libérer le pays des impérialismes étrangers.

Il y a quatre mois, le premier ministre, Salah Jabr, voulut faire ratifier un traité qui donnait à l’Angleterre de nouvelles bases militaires (outre celles qu’elle possède déjà) en territoire irakien. Une manifestation populaire éclata dans les rues de Bagdad. Il y eut cent morts, mais Salah Jabr dut renoncer à présenter le traité devant la Chambre. C’est là un des plus beaux exemples de succès remportés contre l’impérialisme britannique par le mouvement national des masses populaires arabes.

EGYPTE

C’est en Egypte que le mouvement national s’appuie sur les traditions les plus anciennes. Car il y a longtemps que l’impérialisme britannique a mis la main sur l’Egypte.

Ce pays de 15 millions d’habitants vit sous un régime féodal où la masse des fellahs est terriblement exploitée par la caste privilégiée. Le contraste est violent entre les conditions d’existence misérables du paysan de la vallée du Nil, et celles de la riche bourgeoisie, comprenant de nombreux éléments étrangers, qui étale son luxe au Caire.

C’est cette bourgeoisie qui occupe le pouvoir et entoure le trône du roi Farouk. Elle pratique une politique de compromis entre les aspirations nationales du peuple égyptien et les exigences de l’impérialisme britannique. En réalité, elle est associée aux Anglais, et leur résiste surtout en paroles, de façon à sauver la face aux yeux du peuple égyptien.

Il existe en Egypte un mouvement national authentique puissant, le Wafd, et des courants progressistes de tendance très démocratique, notamment dans la jeunesse intellectuelle. Les uns et les autres réclament l’évacuation totale du territoire égyptien par les troupes britanniques, et la restitution du Soudan.

Seule, l’intervention britannique, qui s’est manifestée de la façon la plus brutale au cours de plusieurs crises politiques, empêche les mouvements antiimpérialistes de prendre le pouvoir et d’imposer au roi de suivre une politique conforme à la volonté du peuple égyptien.

A plusieurs reprises, une répression brutale s’est abattue sur le Wafd, dont les leaders ont été privés de leur liberté ou victimes d’attentats. Tous les démocrates sont réduits à l’illégalité ou à la semi-illégalité. Leurs journaux sont pour la plupart interdits. Le mouvement national égyptien se trouve soumis à des conditions très comparables à celles que connaît l’Algérie sous le régime Naegelen. Les revendications sociales des travailleurs et des fonctionnaires sont réprimées sans pitié. Il y a quelques mois, le gouvernement a fait intervenir l’armée contre les policiers et les fonctionnaires en grève ; il y a eu des morts et des blesses.

Nous verrons comment, dans une telle situation, la guerre de Palestine a été utilisée, par les Anglais et leurs complices, pour endiguer et pour faire dévier le mouvement national du peuple égyptien.

SYRIE et LIBAN

Ce sont les deux seules Républiques arabes. Elles groupent 5 à 6 millions d’habitants, dont une importante minorité arabe de religion chrétienne, au Liban.

Le mouvement d’émancipation nationale y a eu naturellement pour objectif, après la première guerre mondiale, la suppression du mandat français et son remplacement par un traité d’alliance, sur pied d’égalité, entre les deux Républiques du Levant et la République française. Le colonialisme français a fait échouer cette solution qui aurait été conforme à l’intérêt des peuples. En 1945, la politique absurde du général de Gaulle a définitivement supprimé toute possibilité d’entente, et prêté le flanc aux intrigues britanniques tendant à évincer l’influence française au Levant.

Aujourd’hui, l’influence anglaise et l’influence américaine sont en concurrence dans ces deux pays Mais le mouvement progressiste s’y développe. Il vient de prendre, il y a quelques jours, une attitude courageuse et clairvoyante en ce qui concerne la guerre de Palestine.


A des degrés divers, les pays que nous venons de passer en revue présentent donc un grand nombre de traits communs. Une féodalité locale y joue un rôle comparable à celui des Sayah Abdelkader, des Aït Ali ou des Brahimi Lakhdar en Algérie. Complice de l’impérialisme britannique, ne lui résistant le plus souvent que pour sauver les apparences juridiques de l’indépendance, elle maintient les peuples arabes dans un état social arriéré et s’oppose par la force au mouvement national.

Nous verrons maintenant : 1e Comment l’impérialisme britannique se heurte de plus en plus à l’impérialisme américain ; 2e Comment les uns et les autres essaient de confisquer le mouvement national en manœuvrant à leur profit les dirigeants de la Ligue arabe.

M. R.


John Bull, l’oncle Sam et la Ligue arabe

LE pacte de fondation de la Ligue arabe fut adopté au cours d’un congrès qui se tint au Caire au printemps de 1945 et auquel assistaient les délégués des gouvernements de l’Egypte, de la Syrie, du Liban, de l’Irak et de la Transjordanie. Par la suite, l’Arabie séoudite et le Yémen donnèrent leur adhésion.

Tout en maintenant l’indépendance réciproque des Etats participants, le pacte crée entre eux des liens étroits. Certains considèrent la Ligue comme l’expression la plus pure de la solidarité des peuples arabes dans leur lutte contre les impérialismes étrangers et pour le progrès. D’autres y voient au contraire une création purement artificielle de la diplomatie britannique.

Aucune de ces vues simplistes ne correspond à la réalité. Il existe entre les peuples du Moyen-Orient des affinités profondes et multiples, unité de langue et de tradition, et sauf pour la minorité chrétienne du Liban, unité islamique.

A ces affinités se joint le fait qu’ils sont les uns et les autres en lutte contre les colonialismes étrangers qui veulent les empêcher d’accéder à une indépendance véritable et les maintiennent dans un état d’asservissement et de misère comparables à ceux des peuples d’Europe au Moyen-Age. Ainsi la Ligue arabe, dans son principe même, correspond-elle à un sentiment authentique et nullement artificiel : celui qui unit les peuples arabes du Moyen-Orient dans leur aspiration commune à la libération nationale.

Mais il est vrai aussi que de tout temps, la tactique des oppresseurs a été de détourner à leur profit les élans populaires. Présente au Caire lors de la naissance de la Ligue arabe, la Grande-Bretagne demeure présente dans les organismes dirigeants de la Ligue. Elle y a un délégué permanent, le général Clayton, qui participe aux décisions prises et le plus souvent les inspire lui-même. Comment cela est-il possible ? Simplement parce que les gouvernements des pays arabes sont aux mains des réactionnaires. Qu’est-ce qu’un gouvernement réactionnaire ? C’est un gouvernement dont les actes ne sont pas dictés par la volonté de servir le peuple, mais par celle de préserver les intérêts d’une caste privilégiée et les ambitions personnelles des dirigeants ; un tel gouvernement s’allie volontiers aux étrangers contre le peuple lui-même. C’est ce qui est arrivé à la France, en 1940, quand le pseudo-gouvernement de Vichy a exécuté les volonté d’Hitler. C’est ce qui lui arrive encore aujourd’hui – sous une forme plus perfide parce que moins évidente aux yeux de tous – quand M. Bidault obéit aux ordres des généraux et des capitalistes américains ou anglais. Les pays arabes – dont plusieurs voient camper sur leur sol des troupes d’occupation britanniques – sont gouvernés par des hommes qui, pour la plupart, tout en se réclamant beaucoup du mouvement national, deviennent subitement aveugles quand il s’agit de voir les troupes britanniques qui occupent un pays arabe, et muets quand il faudrait dénoncer les empiètements du colonialisme.

La présence des Anglais en Egypte les intéresse à peine. Le traité anglo-transjordanien – qui est bien pis qu’un traité de protectorat – n’a provoqué de leur part qu’une protestation de pure forme. Et si le traité anglo-irakien n’a pas été signé, ce n’est pas grâce aux chefs de la Ligue arabe, c’est grâce au peuple irakien qui s’est soulevé, il y a quatre mois, et a versé son sang pour empêcher Salah Jabr de consommer la trahison.

Témoignages arabes

Les dirigeants de la Ligue arabe ne doivent pas être confondus avec le mouvement national des pays arabes. Pour le plus grand nombre d’entre eux, la confusion serait aussi grossière que si l’on considérait MM. Sayah Abdelkader, Brahimi Lakhdar et Jacques Chevallier comme les représentants authentiques des masses algériennes. C’est tellement vrai qu’un journal égyptien, le « Saout-Al-Oumma », écrivait, en février dernier, que la Ligue des gouvernements arabes

« devait être regardée comme une duperie impérialiste, tant que n’auront pas été résolus les problèmes nationaux des peuples arabes, réduits à l’état colonial et soumis à l’influence anglaise, et tant qu’une évacuation complète de tout l’Orient arabe n’aura pas créé la base de l’indépendance de ses différents Etats ».

Quant au journal libanais « Saout-Ach-Chaâb », il écrivait, un peu auparavant :

« Ce qui manque à la Ligue arabe, ce n’est pas un représentant étranger comme le général Clayton, mais la ferme volonté de lutter pour l’indépendance des pays arabes et pour l’évacuation de leurs territoires par les troupes étrangères ».

Il faudra garder ces témoignages présents à l’esprit pour essayer d’analyser, comme nous le ferons dans un prochain article, l’attitude des dirigeants de la Ligue dans l’affaire de Palestine.

La Ligue et Abdullah

Il ne faudra pas oublier non plus que les Anglais, dont l’influence est si importante au Caire, n’hésitent pas, en même temps, à susciter des adversaires à la Ligue.

D’un côté (c’est ce qu’on murmure au Caire) ils font espérer à Azzam Pacha, secrétaire de la Ligue arabe, le trône de Tripolitaine ; d’un autre côté ils promettent à Abdullah la Grande Syrie, ce qui ne pourrait se réaliser que par la perte de l’indépendance de deux Etats de la Ligue : la Syrie et le Liban. Cette rivalité entre Abdullah et les dirigeants du Caire s’est exprimée à maintes reprises de façon publique. Elle joue un grand rôle dans le drame de Palestine.

L’impérialisme américain

Enfin il faut se souvenir que le colonialisme britannique affronte dans le Moyen-Orient un colonialisme concurrent : celui des Etats-Unis.

C’est en 1933 que le roi Ibn Séoud d’Arabie céda le droit d’exploiter les pétroles de son pays à la compagnie américaine Standard Oil, qui créa par la suite à cet effet une filiale spéciale, l’Aramco, exploitée en commun avec une autre compagnie américaine, la Texas Oil.

La concession de l’Aramco est valable jusqu’en l’an 2005. Cela veut dire que jusqu’en l’an 2005 (si aucun événement ne vient déranger l’exécution du contrat), l’Arabie est gouvernée par l’Aramco. Dahran, centre des exploitations, est une ville américaine, avec sa police, son aérodrome, ses postes, son école. Il est interdit aux Arabes d’y résider et même de s’y montrer. Toute activité syndicale est interdite : elle pourrait gêner les intérêts de l’Aramco.

Quant au roi Ibn Séoud, il touche personnellement 21 cents par baril de pétrole extrait, ce qui, nous apprend la revue « American Magazine », peut faire jusqu’à 20 millions de dollars par an, soit – au cours actuel du dollar – plus de 6 milliards de francs. Grâce à ces redevances, Ibn Séoud a fait aménager sa ferme modèle d’Al Kharj et électrifier sa résidence d’Er Riad.

Comme le dit naïvement, ou cyniquement le directeur de l’Aramco toujours dans le même article de l’ « American Magazine ») :

« Le pays possède le pétrole et la main-d’œuvre. Nous, nous avons les connaissances techniques, les capitaux et les débouchés ».

Autrement dit, les ouvriers arabes, payés par un salaire qu’ils n’ont même pas le droit de défendre syndicalement, extraient du sol de leur propre pays les richesses qu’il contient. Ce sont les capitalistes américains qui empochent les bénéfices, moins la commission de 21 cents par baril accordée à Ibn Séoud, grâce à qui tout le système fonctionne. N’est-ce pas une image parfaite de l’exploitation colonialiste, semblable à celle dont nous connaissons certains aspects en Algérie ?

Si l’Arabie séoudite apparaît ainsi, dans le jeu compliqué du Moyen-Orient, comme le pion poussé par le colonialisme américain, ce dernier dirige également son effort vers d’autres pays. Il a conquis d’importantes positions en Syrie et au Liban, et il concurrence sérieusement les Anglais en Egypte même.

Le colonialisme américain et le colonialisme britannique sont à la fois d’accord pour maintenir les pays arabes à l’état de pays colonisés, et en désaccord lorsqu’il s’agit de partager le pétrole. Mais ni les capitalistes anglais ni les capitalistes américains ne versent leur sang en Palestine. Ce sont les Arabes et les Juifs, qu’ils ont poussés à s’entretuer, qui font les frais du jeu capitaliste.

M. R.


Comment on fabrique une guerre

Le jeu cruel des colonialistes consiste à opposer les uns aux autres, les hommes et les peuples qu’ils veulent exploiter. Ils savent utiliser, avec une habileté diabolique, les aspirations nationales des peuples opprimés afin de manœuvrer ces peuples dans une direction contraire à leurs propres intérêts.

Dans cette besogne, ils se servent des dirigeants réactionnaires, toujours prêts à étayer leurs ambitions personnelles sur l’aide que leur apportent les impérialistes étrangers.

Nous avons vu, au cours des précédents articles, comment la solidarité des peuples arabes du Moyen-Orient, qui est un mouvement profond et authentique, s’est trouvée captée et déviée par les capitalistes anglais. En raison de la position réactionnaire de la plupart de ses chefs, la Ligue arabe, au lieu d’être, comme cela aurait dû être sa mission, un instrument de défense des peuples arabes contre le colonialisme, est trop souvent devenue l’instrument de la politique égoïste des capitalistes britanniques. Nombreux sont les témoignages du mécontentement et de la désillusion qui ont été ainsi causés au sein des peuples arabes L’effort du mouvement de libération nationale, dans ces pays (effort qui se heurte le plus souvent à la répression des gouvernements) vise à changer une telle situation et à unir les peuples arabes dans une lutte véritable contre l’impérialisme.

Mais, de même que les impérialistes ont essayé de détourner à leur profit les souffrances et les aspirations des masses arabes, de même ils se sont donné pour but d’utiliser les souffrances et les aspirations des Juifs. La situation actuelle, en Palestine, a été patiemment inventée et montée par l’Angleterre.

Le sionisme, création britannique et américaine

Le mouvement sioniste est né des persécutions infligées aux populations juives dans les pays réactionnaires d’Europe centrale et orientale, particulièrement en Russie avant la Révolution de 1917. Il s’est naturellement renforcé à la suite des effroyables massacres perpétrés par les hitlériens. Chez des millions de malheureux, l’idée – vraie ou fausse – que la seule issue pour eux, était de se créer une patrie sur la terre où les appelait une vieille tradition religieuse est allée en se développant. Mais cette idée n’aurait pas pu prendre corps, elle ne se serait jamais transformée en réalité si l’impérialisme britannique, au lendemain de la première guerre mondiale, n’avait décidé de s’en emparer pour la faire servir à ses intérêts dans le Moyen-Orient.

C’est en 1922 que la Grande-Bretagne se faisait confier par la Société des Nations le mandat de gouverner la Palestine. Par la déclaration de lord Balfour, elle annonça son intention de favoriser en Palestine l’établissement d’un Foyer national juif. L’article 4 du mandat palestinien créait l’Agence juive, chargée de créer ce foyer sous le contrôle des autorités britanniques.

Jusqu’en 1939, le colonialisme britannique misa sur la bourgeoisie juive, dont il encourageait les aspirations sionistes. Le Keren Hayessod, organe financier de l’Agence juive, disposait non seulement des millions recueillis par souscription chez les Juifs d’Europe et surtout d’Amérique, mais aussi de l’appui financier de plusieurs banques internationales dont la banque Rothschild de Londres.

Duplicité britannique

De 1919 à 1939, environ 400.000 immigrants juifs pénétrèrent en Palestine. Durant cette période, le désir de s’affranchir de la domination britannique persistait chez les Arabes et chez les Juifs, provoquant à plusieurs reprises des soulèvements qui étaient cruellement réprimés. L’impérialisme anglais persécutait tous les éléments démocratiques, juifs ou arabes, en s’appuyant, tantôt sur les milieux réactionnaires arabes, tantôt sur les milieux réactionnaires sionistes.

En 1939, la Grande-Bretagne jugea que l’immigration sioniste avait juste atteint le niveau nécessaire à ses projets. Il y avait assez de Juifs en Palestine pour y créer un nouveau problème national. Ainsi, le mouvement national arabe, naturellement opposé à l’impérialisme britannique dans tout le Moyen-Orient, pourrait être canalisé vers un autre objectif. Et pour s’attirer la sympathie des Arabes – dont il est pourtant l’ennemi – l’impérialisme britannique allait se poser en adversaire de ce sionisme, qu’il avait lui-même appelé à la vie !

Je demande à nos lecteurs de relire encore une fois les lignes ci-dessus. Elles sont toute la clé de l’affaire palestinienne, pour qui veut comprendre et juger avec la raison et selon la vérité. Elles justifient l’expression employée plus haut : l’habileté diabolique de l’impérialisme. Utiliser les souffrances des Juifs d’Europe – eux-mêmes victimes de la réaction raciste – pour installer une minorité nationale en Palestine ; puis dresser contre cette minorité le mouvement national arabe. Pendant ce temps, des millions de fellahs, du delta du Nil au golfe d’Aden, croupissent dans la misère et l’oppression, et le pétrole, richesse du Moyen-Orient est exploité par les compagnies anglaises et américaines.

La fin du mandat britannique

C’est en 1939 que le « Livre Blanc » annonça le renversement de la politique britannique et la fin de l’appui au sionisme. L’immigration juive devait d’abord être limitée, puis, après 1944, soumise au consentement des Arabes.

Mais la deuxième guerre mondiale vint tout bouleverser. En 1944, nouveau changement britannique : au lieu d’être soumise au consentement arabe, l’immigration juive se poursuivra. Que s’est-il donc passé ? D’abord, la persécution hitlérienne a donné une nouvelle vigueur aux revendications sionistes ; au moment où la guerre contre Hitler va s’achever, le gouvernement britannique est obligé d’en tenir compte. D’autre part et surtout, il se préoccupe de la pénétration américaine dans le Moyen-Orient. Les Américains, tout en contrôlant l’Arabie séoudite et en prenant pied de plus en plus en Egypte, s’efforcent en même temps de jouer la carte juive. Une grande partie des capitaux investis dans les entreprises sionistes sont des capitaux américains ; et surtout, il y a aux Etats-Unis des millions d’électeurs juifs.

A l’automne 1944, à la veille des élections présidentielles, le parti républicain et le parti démocrate demandent l’un et l’autre l’immigration illimitée en Palestine.

Le gouvernement anglais, après avoir cherché à ménager les Juifs, entrevoit un nouveau péril : la mainmise des Etats-Unis sur la Palestine grâce à une vague géante d’immigration juive, commanditée par le capitalisme américain. Il envoie précipitamment en Palestine des renforts armés, ce qui provoque une réaction des terroristes juifs de l’Irgoun, plus ou moins manœuvrés par des provocateurs.

Le compromis anglo-américain

Cette situation ne pouvait durer : Américains et Anglais s’entendent pour envoyer en Palestine une commission commune chargée de trouver une solution au « problème ». En avril 1946, la commission anglo-américaine dépose ses conclusions : immigration immédiate de 100.000 Juifs, prolongation du mandat britannique jusqu’à l’établissement de la tutelle de l’O.N.U. sur la Palestine.

C’était un compromis entre l’impérialisme anglais et l’impérialisme américain : d’accord tous les deux pour empêcher les peuples du Moyen-Orient d’accéder à l’indépendance nationale, mais en concurrence pour exploiter ces peuples.

Les Anglais se sont appliqués à utiliser au maximum le répit qui leur était laissé par la prolongation de leur mandat. Ils se sont opposés de nouveau à l’immigration et ont exercé contre les Juifs palestiniens une répression spectaculaire. Ils ont ainsi, de façon très calculée, facilité l’action des groupes terroristes juifs et accru l’opposition entre Juifs et Arabes. Dans le même temps, ils ont soigneusement préparé l’entrée en scène d’Abdullah, afin d’éliminer le muphti de Jérusalem et de tromper la Ligue arabe elle-même.

Le jeu britannique et américain durant ces derniers mois, et notamment les coups de théâtre successifs à l’O.N.U. peuvent sembler compliqués. Ils apparaissent assez simples au contraire, dès lors qu’on considère que le but recherché était d’organiser le désordre en Palestine, de manière à empêcher toute solution basée uniquement sur les intérêts juifs et arabes.

Nous verrons, dans le prochain article, comment ces intérêts ont été piétinés, d’abord par la provocation à une guerre fratricide, ensuite par la préparation d’une « solution palestinienne » susceptible de maintenir sur les deux peuples l’emprise impérialiste.

M. R.


A qui profite la guerre ?

LES acteurs de la tragédie palestinienne sont les Arabes et les Juifs. Mais ce sont les Américains et les Anglais qui l’ont écrite, se contentant, pour leur compte, de jouer une simple comédie : celle de leurs revirements successifs à l’O.N.U.

En novembre 1947, malgré la résistance britannique, l’O.N.U. décide qu’en mai 1948, après la fin du mandat britannique, la Palestine sera partagée en deux Etats indépendants, l’un juif, l’autre arabe. Cela signifie la fin du mandat anglais et l’évacuation de la Palestine par les troupes britanniques.

L’impérialisme anglais utilise en hâte ce dernier délai pour préparer la riposte. En Palestine, il prend une attitude violemment antijuive et encourage Abdullah d’un côté, la Ligue arabe de l’autre, à publier des déclarations enflammées contre le projet de partage.

Les trusts américains du pétrole, qui ont peur que l’opinion arabe se dresse contre les Etats-Unis, obligent le président Truman à changer d’attitude. La délégation américaine à l’O.N.U. abandonne soudain le projet de partage et se prononce pour le trusteeship, c’est-à-dire pour la tutelle internationale.

En Palestine, à mesure que se rapproche l’échéance du 15 mai, les Anglais organisent froidement l’anarchie et le désordre économique. C’est le système qu’ils ont appliqué dans l’Inde : on nous oblige à partir, voyez le résultat ! En réalité, ils n’ont pas du tout l’intention de s’en aller. Au commencement du mois, de mai, à quelques jours de l’expiration du mandat, des renforts britanniques débarquent à Haïfa !

Sans tenir compte du revirement américain, les Juifs palestiniens appliquent le plan de partage : le 15 mai, l’Etat juif existe en fait. Le reste de la Palestine est dans le désordre le plus complet, désordre voulu et entretenu par les Anglais, car il permet à Abdullah de prendre la tête des opérations du côté arabe, en éliminant son rival le muphti de Jérusalem, trop docile aux Américains et lié avec les Séoudites.

Nouveau et sensationnel revirement américain : quelques minutes après sa proclamation, l’Etat d’Israël est reconnu par Washington. Cela n’empêche pas Ibn Séoud de rejeter, quelques jours plus tard, le premier projet de trêve. Le président Truman veut s’appuyer à la fois sur les électeurs juifs de New-York et sur les féodaux arabes. Jamais les impérialistes n’ont dévoilé de façon plus cynique leur jeu qui consiste à exciter les uns contre les autres les Juifs et les Arabes, tout en faisant de la démagogie auprès des uns et des autres.

La guerre en Palestine

En réalité, l’impérialisme a atteint son objectif principal : la guerre est allumée en Palestine. Pendant que les troupes britanniques, massées autour de Haïfa, font semblant de s’embarquer, la Légion de « Glubb Pacha » marche sur Jérusalem, les Egyptiens entrent en Palestine par le Sud, les Syriens et les Libanais par le Nord.

Les Anglais recueillent alors les fruits politiques de leur longue machination, sous couleur d’unifier les forces antisionistes, Abdullah, roi du plus petit des Etats arabes, prend tout à coup figure de généralissime des forces de l’Islam. Les leaders de la Ligue arabe, qui le méprisent et redoutent son ambition, acceptent pourtant de se réunir chez lui, à Amman. C’est que la Légion transjordanienne (qui est en réalité une unité britannique) est la force militaire la plus sérieuse pour faire la guerre. Le roi Farouk, avec ses quinze millions de sujets, passe ainsi derrière Abdullah, qui en a 300.000. C’est incontestablement une des plus belles réussites de l’intrigue britannique !

Ces derniers jours, il s’est passé quelque chose d’encore plus extraordinaire. Après avoir rendu visite à Farouk, Abdullah est parti pour Er Riad, chez son vieil ennemi Ibn-Séoud.

Pour les naïfs, cela signifie une réconciliation générale pour la cause sacrée de la guerre commune. En réalité Abdullah est le commis-voyageur du compromis qu’élaborent entre eux les Anglais et les Américains, compromis dont il sera personnellement le bénéficiaire. Il est allé au Caire exposer ce compromis à Farouk, et si ce dernier a été obligé de l’écouter, c’est qu’il est bien loin d’avoir les mains libres du côté des Anglais. Après quoi Abdullah est parti pour Er Riad, où il savourera doucement la revanche de se faire écouter par Ibn Séoud lequel ne peut pas faire autrement, puisqu’il dépend des Américains …

A la vérité, les Egyptiens, tout comme les Syriens et les Libanais, sont très inquiets. Si leurs armées ont pris position en Palestine, ce n’est pas seulement contre les sionistes. C’est aussi pour ne pas laisser toute la place à Abdullah.

Naturellement, ce n’est pas ce qu’on dit à l’opinion publique au Caire pas plus qu’à Damas. Officiellement, c’est l’union sacrée, la grande croisade. Les journaux développent la psychose guerrière selon une technique qui a déjà fait ses preuves, dans beaucoup de pays européens, la guerre de Palestine sert de rideau de fumée pour masquer une opération de politique intérieure, dirigée contre les éléments progressistes.

La répression contre les patriotes

Au commencement du mois de mai, le gouvernement de Nokrachy Pacha, complètement discrédité aux yeux de l’opinion par sa capitulation devant les Anglais sur la question du Soudan et par son incapacité à résoudre les graves difficultés intérieures, était sur le point d’être obligé de démissionner. Il fut sauvé par la guerre de Palestine.

Dès le 15 mai, Nokrachy Pacha décréta la loi martiale, se donnant ainsi le pouvoir absolu et plaçant toute l’opposition à sa merci. Toutes les libertés politiques sont supprimées, la liberté individuelle des Egyptiens n’est plus garantie. Des centaines de patriotes, wafdistes et membres du « mouvement démocratique de libération nationale » sont jetés dans des camps de concentration. Des gouverneurs militaires locaux, investis de pouvoirs illimités, font régner la terreur dans tout le pays, aidés de tribunaux militaires d’exception.

Les personnes arbitrairement internées ou simplement placées « sous surveillance » sont soumises à un régime incroyable et sans correspondant dans aucun pays civilisé. Leurs biens sont remis à un séquestre qui peut les vendre ou les liquider. Elles ne peuvent introduire aucune action civile ou commerciale devant aucun tribunal égyptien, ni poursuivre une action déjà introduite. Leur employeur a le droit de les congédier sans indemnité, même s’il y a un contrat de travail.

Pour bien comprendre le caractère purement colonialiste de ce régime, il suffit de constater ce fait significatif : les Juifs égyptiens sont loin d’être les principales victimes de l’état de siège, et le décret d’exception est appliqué dans toutes sortes de circonstances qui n’ont absolument rien à voir avec la guerre.

Nokrachy Pacha a bien arrêté un certain nombre de Juifs – tout en continuant à faire des affaires avec d’autres – et sa police a encouragé quelques troubles à Alexandrie et au Caire. Mais la véritable répression, la répression systématique, s’est abattue sur des musulmans égyptiens, wafdistes de gauche et membres du MDLN (mouvement démocratique de libération nationale), dont la revue « Al-Gamahir » a, dès le début, pris position pour l’application de la décision de l’ONU en Palestine.

La terreur a atteint un tel degré qu’on ne peut même pas avoir de nouvelles exactes du sort actuel de certaines personnalités progressistes, et qu’il serait dangereux pour ces personnalités de publier leurs noms.

Mais on connaît certaines des mesures prises contre la presse anti-colonialiste. La revue « Al-Katib-Al-Misri », que dirige le célèbre écrivain Tahar Hussein, est suspendue. Or il se trouve que cette revue – comme beaucoup de périodiques égyptiens – est publiée par une maison d’éditions dont les propriétaires sont des Juifs. Ces derniers n’ont aucunement été inquiétés ; leur maison d’édition continue à fonctionner et à sortir librement toutes ses autres publications. La seule personne frappée est un écrivain musulman, dont le talent honore son pays et toute la civilisation arabe.

Il est donc bien clair que pour Nokrachy Pacha, l’agitation « nationaliste » autour de la guerre de Palestine est un simple prétexte pour installer sa dictature et réduire à l’impuissance l’opposition nationale égyptienne.

Mais elle lui sert aussi à trahir les intérêts de son pays, en servant ceux de l’impérialisme britannique. A peine l’état de siège était-il proclamé, que Nokrachy Pacha signait avec les Anglais le nouveau statut du Soudan qui maintient dans ce pays l’occupation britannique.

Les trois partis soudanais envoyèrent aussitôt à Nahas Pacha un télégramme protestant contre l’accord avec les Anglais et confirmant la volonté du peuple soudanais de lutter aux côtés du peuple égyptien contre l’impérialisme britannique. Nahas Pacha voulut publier ce télégramme dans le journal « Saout-Al-Oumma ». Le gouvernement égyptien l’en empêcha, grâce à la censure préventive, instituée par le décret d’état de siège ! D’une façon générale, Nokrachy Pacha utilise la censure pour empêcher les journaux wafdistes de publier des informations qui n’ont aucun rapport avec les événements de Palestine, mais qui peuvent être désagréables aux Anglais. Une protestation a été courageusement élevée au Senat, par Fouad Sarag ed Dine Pacha. Mais combien d’Egyptiens le savent ?

A Alexandrie, on a jeté en prison des manifestants qui distribuaient des tracts sur lesquels on lisait :

« Nos troupes, avant de se rendre en Palestine, auraient dû passer par la vallée du Nil pour en chasser les Anglais et libérer leur pays » …

Une situation analogue s’est établie en Syrie et au Liban, où d’innombrables intellectuels arabes, et des militants syndicalistes, sont jetés dans des camps de concentration ou poursuivis devant les tribunaux. En Irak, la réaction essaie de faire passer un traité qui asservit le pays à l’Angleterre, traité semblable à celui que le peuple de Bagdad, il y a quelques mois, força Salah Jabr à abandonner.

Ainsi la guerre de Palestine, qui exploite le sentiment national arabe, est en réalité utilisée par les réactionnaires et les complices du colonialisme pour affermir leurs positions dans tout le Moyen-Orient et écraser les mouvements de libération nationale et démocratique.

M. R.


Le problème juif et le sionisme

CHEZ les Juifs palestiniens, la nécessité de se défendre contre l’oppression anglaise, puis la guerre avec la Légion transjordanienne, ont également des conséquences politiques sérieuses. L’IRGOUN, organisation antiarabe à tendance fasciste, exploite la situation contre les progressistes, partisans du rapprochement entre Juifs et Arabes.

Les syndicats (Histadruth) sont encore dominés par le parti travailliste Mapaï, dont les chefs se tournent nettement vers l’Amérique. Il y a quelques mois, le Dr Moshé Sneh, ancien chef de la Haganah, a démissionné de l’Exécutif de l’Agence, juive, pour protester contre l’orientation anglo-américaine de cette Agence. Il a ensuite réussi à grouper, en un seul grand bloc progressiste, tous les éléments démocratiques, y compris les travaillistes de gauche.

Le gouvernement du Dr Ben Gourion mène actuellement des négociations secrètes dont l’intervention du comte Folke Bernadotte n’est que le paravent, et qui commencent à inquiéter sérieusement les démocrates juifs. Ces négociations sont à rapprocher des voyages d’Abdullah au Caire et à Er-Riad. Il s’agirait de préparer un accord qui associerait Abdullah et l’Etat d’Israël, plaçant en fait les Arabes et les Juifs de Palestine sous le contrôle de l’impérialisme britannique.

Ainsi la guerre de Palestine, en obligeant les Juifs palestiniens à lutter pour leur existence même, défavorise les éléments progressistes dont le programme est l’entente avec les Arabes, et favorise les intrigues des éléments réactionnaires, agents du capitalisme judéo-américain.

L’avenir de la trêve

Il est impossible de faire des pronostics sur l’issue de la trêve actuelle. Mais ce qu’on peut affirmer c’est que l’impérialisme a consenti à cette trêve, non pour arrêter une effusion de sang qu’il a lui-même organisée, mais pour utiliser la situation créée afin de négocier un compromis anglo-américain, sur le dos des Juifs et des Arabes.

Les grandes lignes d’un tel compromis ont déjà été proposées. Elles consistent en une rectification des frontières prévues par le plan de partage, et en l’installation d’Abdullah comme protecteur de la Palestine arabe. Un traité de coopération économique, voire d’alliance politique, serait conclu entre Israël et Abdullah. Pour faire accepter ce compromis aux pays arabes, on leur dira :

« Vos revendications sont en partie satisfaites, puisque l’Etat juif est intégré dans un ensemble palestinien contrôlé par un souverain arabe. »

Aux Juifs palestiniens on dira :

« Ce compromis doit vous contenter, puisqu’il sauve l’existence de l’Etat d’Israël. »

En réalité, c’est Abdullah, c’est-à-dire l’impérialisme britannique, qui continuera de contrôler la Palestine, comme au temps du mandat.

Si le compromis n’aboutit pas – c’est-à-dire si les Américains ne se contentent pas des concessions que l’Angleterre devra leur faire par ailleurs – alors la guerre reprendra, jusqu’à de nouvelles négociations.

N’y a-t-il donc pas d’autres solutions, pour les Arabes et les Juifs de Palestine, que de recommencer à se battre, ou à accepter la loi de l’impérialisme ?

Si, il existe une autre solution. C’est l’entente du peuple juif palestinien et des peuples arabes. Et si cette solution n’est pas intervenue depuis longtemps, c’est parce que les Anglais l’ont empêchée.

Certains vont répétant : comment la paix serait-elle possible en Palestine, autrement que par l’écrasement d’un des deux combattants, puisqu’il n’y a pas de conciliation possible sur la question du sionisme ?

LA PAIX EST POSSIBLE PARCE QU’IL NE S’AGIT PAS DU SIONISME

Le problème palestinien est immédiat et concret. Le problème du sionisme est une querelle théorique. Ce sont deux choses tout à fait différentes. L’une des plus grandes astuces de l’impérialisme, dans la besogne de division qu’il poursuit actuellement, est de faire croire que les deux problèmes n’en forment qu’un, de sorte qu’en proposant une certaine solution pour le premier, on adopterait nécessairement une position définie par rapport à l’autre. En termes clairs, on essaie de faire croire que ceux qui proposent actuellement d’appliquer la décision de l’O.N.U. en partageant provisoirement la Palestine, soutiennent le programme sioniste. CELA N’A RIEN A VOIR, et il faut s’expliquer définitivement à ce sujet, pour dissiper les malentendus ou les mensonges volontaires.

Qu’est-ce que le sionisme ?

Le sionisme est une théorie d’après laquelle le peuple juif, pour mettre fin aux persécutions dont il est victime depuis des siècles au milieu des autres peuples, doit reconstituer un Etat juif sur le sol de Palestine, qui fut, il y a très longtemps, le sien. C’est en somme la traduction pratique de la formule que les Israélites répètent traditionnellement dans un prière annuelle : l’an prochain à Jérusalem.

Quiconque garde en mémoire les indicibles souffrances subies par les Juifs en Europe, comprend l’attrait sentimental qu’un tel programme exerce sur beaucoup d’entre eux. Le nationalisme sioniste n’est que la contrepartie des pogroms tsaristes et des bûchers d’Auschwitz.

Il n’en est pas moins vrai que les démocrates, dans leur majorité, ont toujours refusé d’approuver le programme sioniste et d’aider à son exécution. Les partis communistes des différents pays, notamment, ont toujours combattu l’idée qu’on pouvait remédier aux tristes effets du racisme en Europe par une émigration massive des Juifs vers la Palestine. Le parti communiste palestinien, qui comprend des Arabes et des Juifs, s’est toujours énergiquement séparé du sionisme. Même parmi les Juifs palestiniens, autres que les communistes, il existe des groupements hostiles à l’immigration systématique, et d’autres qui, tout en admettant, dans certaines limites, cette immigration, voyaient l’avenir de la Palestine non pas dans un Etat juif, mais dans un Etat démocratique palestinien groupant Arabes et Juifs. Tous ces courants s’attiraient la haine du parti « révisionniste » à tendance nettement fasciste, dont l’organisation militaire est l’Irgoun.

La théorie sioniste intégrale repose sur une idée plus que contestable : c’est que les Juifs qui vivent dans divers pays du monde forment une nation. Cette nation juive éparse est un mythe et non une réalité. Entre Juifs de différents pays, il n’existe ni communauté raciale, ni communauté de langue, ni communauté d’intérêts, si ce n’est celle, toute artificielle et transitoire, qu’a créée la persécution fasciste. Quant à la communauté de religion, elle ne constitue pas un facteur d’unité nationale, et pour la plupart des Juifs européens, ou bien elle a perdu de son importance, ou bien elle a cessé d’exister.

Est-il nécessaire de revenir longuement sur ces vérités évidentes ? Les Juifs d’Europe orientale parlent soit le yiddisch, qui est un dialecte allemand, soit les langues nationales de leurs pays respectifs. Les Juifs anglais parlent anglais (comme la plupart de ceux d’Amérique). Les Juifs français parlent français. Les Juifs séphardites des côtes méditerranéennes, continuent de parler, après plusieurs siècles d’exil, la langue de leur pays d’origine, le vieil espagnol. Les Juifs des pays arabes (sauf les immigrés de Palestine) parlent généralement l’arabe et, dans le Maghreb, le français et l’arabe.

Quant au mythe de l’unité raciale, c’est une faribole qu’il faut laisser aux nazis. Pour en constater le grotesque, il suffit de considérer côte à côte un Juif d’Ukraine, un Juif de Bordeaux et un Juif du Yémen …

La vérité, c’est qu’un Juif de Londres est un Anglais, un Juif de Paris un Français, un Juif de New-York, un Américain, ET UN JUIF ALGERIEN, UN ALGERIEN, PARTIE INTEGRANTE DE LA COMMUNAUTE ALGERIENNE, solidaire des autres éléments du peuple algérien pour le présent comme pour l’avenir. En altérant cette vérité, les théoriciens du sionisme ont alimenté, sans le vouloir, les arguments des persécuteurs fascistes, dont l’un des thèmes de propagande était de présenter les Juifs comme constituant partout un corps étranger. C’était là, pour les progressistes, une première et sérieuse raison de se défier de la théorie sioniste.

Une deuxième raison, c’est que l’impérialisme, dès 1919, s’est préparé à utiliser le sionisme comme un moyen de trouble dans les pays arabes, de nature à dévier le mouvement anticolonialiste et par conséquent à servir le colonialisme.

Enfin, il faut bien dire que même du simple point de vue juif, le sionisme intégral se heurte à des impossibilités géographiques. La Palestine est un petit pays, en grande partie impropre à la culture. Comment pourrait-il accueillir, dans la période historique prévisible, une population supplémentaire de plusieurs millions d’hommes ? Il circule à ce sujet bien des illusions. Il est vrai que dans certains « kibboutzim » les nouveaux paysans juifs ont réalisé des miracles, faisant pousser des orangers là où ils n’avaient trouvé que de la pierraille ou le sable aride que soulève le khamsin. Mais d’autres kibboutzim se sont simplement établis sur les terres cultivables rachetées à des propriétaires arabes. Et l’on ignore trop souvent qu’en ce moment même un quart seulement des Juifs palestiniens travaillent dans des exploitations agricoles, les trois autres quarts se groupant dans les villes. Les merveilles même des kibboutzim n’ont été possibles que grâce à un investissement gigantesque et continu de capitaux étrangers, dont toute l’économie palestinienne a certes profité, mais qui ne constitue pas une garantie de rentabilité pour l’avenir.

Pour toutes ces raisons, je le répète, nombreux étaient les progressistes de tous les pays qui, tout en témoignant une sympathie active aux victimes des persécutions, restaient réservés à l’égard du sionisme ; et proposant aux Juifs de se défendre contre l’oppression par des moyens plus efficaces et plus justes.

M. R.


La paix est possible

QUOI qu’on pense de tout cela, il s’agit en ce moment de tout autre chose que d’approuver ou de combattre les théories sionistes. Il s’agit de trouver une solution à la fois juste et applicable à la situation de fait qui existe maintenant en Palestine.

Car il se trouve que depuis 1919 l’impérialisme britannique, poursuivant son plan, a favorisé pendant quelques années l’immigration juive et qu’un demi-million de Juifs européens se sont établis en Palestine. Ce groupe humain nouveau a pris les premiers caractères d’une petite nation. Il a sa langue – l’hébreu -, son habitat fixe, ses mœurs et déjà ses traditions naissantes. Ces gens vivent là et ont constitué une communauté nationale. Comme toute autre, cette communauté nationale est digne de respect. Il serait injuste de rendre les Juifs palestiniens responsables des massacres auxquels ils ont survécu, et qui les ont à tort ou à raison poussés à venir chercher un refuge en Palestine. Ils ne sont pas les complices, mais au contraire les victimes de l’impérialisme britannique

Tel est donc le seul problème : comment faire vivre côte à côte en Palestine les Juifs et les Arabes qui peuplent maintenant ce pays ? Ce problème-là n’est pas insoluble. Il serait même résolu depuis longtemps s’il n’y avait eu pour s’en occuper que les légitimes intéressés, c’est-à-dire les Juifs et les Arabes.

Il y a actuellement en Palestine environ 700.000 Juifs, ou, comme ils veulent être appelés maintenant, Israélis. Tenons compte – si l’on veut – des projets des dirigeants de Tel-Aviv, qui prévoient pour ces cinq prochaines années l’absorption de 250.000 immigrants nouveaux. Ce ne sont là que des projets, dont la mise en œuvre ira en s’affaiblissant à mesure que les progrès de la démocratie populaire dans les pays d’Europe centrale et orientale effaceront le souvenir des persécutions et tariront les sources du courant sioniste, en lui ôtant sa raison d’être.

Mentionnons même – si on tient – le rêve chimérique de quelques capitalistes juifs américains, qui proposent d’irriguer le disert de Néguev et d’y installer un million d’immigrants. Cela ferait, à l’extrême limite, un petit peuple de moins de deux millions d’âmes, la moitié de la ville de Paris.

Ce chiffre mesure à la fois la vanité de certaines rêveries sionistes, et la vanité des craintes plus ou moins sincèrement exprimées par ceux qui prétendent voir dans le groupe juif de Palestine une menace pour 30 ou 40 millions d’Arabes des pays voisins. Si l’on raisonne sans passion, on est obligé de s’apercevoir que la question palestinienne est en vérité par elle-même de bien petite envergure. Elle n’a pris cette importance démesurée et cette apparence inextricable que parce que les provocateurs impérialistes s’en sont emparés …

En dépit de quelques frottements inévitables, Juifs et Arabes palestiniens sont faits pour s’entendre. Ils ont souffert les uns et les autres de l’injustice impérialiste. Les travailleurs juifs et arabes des syndicats palestiniens ont mené ensemble bien des luttes communes. Aujourd’hui encore, malgré l’état de guerre chacun laisse moissonner son voisin pour que le pays ne manque pas ce blé ; à Saint-Jean-d’Acre, les dockers arabes et juifs continuent de travailler ensemble sans un incident, et la ville est administrée par une municipalité mixte.

La solution véritable du problème palestinien tenait dans cette formule : la Palestine aux Palestiniens, les Anglais en Angleterre. Ainsi on aurait eu un Etat palestinien indépendant et démocratique, groupant les deux nationalités et débarrassé de l’occupation étrangère.

La position de l’U.R.S.S.

Cette solution, on fait trop souvent semblant de l’ignorer, est celle que le gouvernement soviétique a déclaré juger « la seule réaliste ». Au cours du débat qui décida du sort de la Palestine à l’O.N.U., le délégué de l’U.R.S.S. Gromyko souhaita la création « d’un seul Etat double arabo-juif indépendant et démocratique » garantissant effectivement, en partant des principes démocratiques, l’égalité des droits et la collaboration économique pacifique des deux peuples.

Un tel Etat aurait constitué dans le Moyen-Orient un foyer de progrès et de rayonnement démocratiques ; il aurait apporté un appui précieux au mouvement de libération nationale dans les pays arabes. Le malheur c’est qu’actuellement un tel Etat n’est pas réalisable. Cela, parce que les intrigues anglaises ont envenimé les relations entre Arabes et Juifs, de façon à rendre leur cohabitation momentanément impossible. Les Anglais ont excité les Arabes contre les Juifs et les Juifs contre les Arabes, les soutenant tour à tour et les trahissant les uns et les autres, glissant des provocateurs terroristes dans les deux camps, réprimant tous les mouvements progressistes juifs comme arabes. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui un Etat groupant Arabes et Juifs serait vite déchiré à la faveur de la première provocation organisée par les éléments extrémistes. C’est précisément ce qu’attendent les Anglais, pour prétexter une nouvelle intervention militaire.

Quand l’O.N.U. décida, malgré eux, le partage de la Palestine, l’U.R.S.S. et les Etats-Unis votèrent ensemble le projet : mais ils étaient poussés par des motifs bien différents.

Pays progressiste, l’U.R.S.S. souhaite le libre développement national des Arabes comme des Juifs palestiniens. Et elle n’a jamais ménagé sa sympathie aux mouvements de libération nationale des pays arabes. Elle ne peut pas oublier non plus qu’en s’accrochant au Moyen-Orient, les Anglo-saxons cherchent à faire de cette région du globe une base de départ pour la guerre d’agression anti-soviétique.

Les préférences soviétiques – Gromyko l’indiqua nettement – allaient à la solution de l’Etat palestinien unique. Mais la situation en est arrivée à ce point, par la faute des machinations britanniques qu’un tel Etat à peine créé serait la proie de désordres sanglants qui fourniraient le prétexte cherché par l’impérialisme britannique. En dehors du maintien, sous une forme ou sous une autre, de l’occupation étrangère, le partage reste actuellement la seule solution pratique. Il oblige les impérialistes à retirer leurs troupes, il ménage l’avenir, car la coopération économique qui s’établira par la force des choses entre les deux Etats amènera une détente politique et permettra d’envisager plus tard d’autres solutions.

Les Américains, eux, ont voté le projet de partage pour des raisons tout à fait différentes. Ils ont voulu infliger un avertissement aux capitalistes britanniques qui s’opposent à la pénétration croissante du capitalisme yankee dans les régions pétrolifères et en Egypte. Le vote américain disait aux Anglais :

« Si vous ne nous laissez pas une place, nous sommes capables d’employer n’importe quel moyen pour vous obliger à quitter la Palestine ».

Le chantage ayant commencé à faire son effet, les Américains revinrent sur leur vote et rejetèrent le projet de partage. Puis, le 16 mai, pour des raisons de politique intérieure américaine, ils ont été les premiers à reconnaître l’Etat juif. Ces contradictions successives, auxquelles nous avons assisté en l’espace de quelques semaines, montrent à quel point la diplomatie impérialiste se moque des peuples. Pour les capitalistes de Washington et de Londres, les Juifs et les Arabes ne sont que des pièces dans leur jeu égoïste.

On voit à quel point est contraire à la vérité l’affirmation, émise par quelques-uns, que l’U.R.S.S., a suivi à l’O.N.U. les décisions de l’Amérique. Il n’est pas possible de soutenir sérieusement de telles inventions. L’U.R.S.S. n’a jamais varié dans sa résolution de faire appliquer le partage, comme la solution actuellement la meilleure pour les Arabes comme pour les Juifs. Les U.S.A., au contraire, ont adopté en deux mois trois positions successives. Maintenant ils sont en train de négocier avec les Anglais un compromis qui n’est fait ni pour les Arabes ni pour les Juifs, mais seulement pour les trusts du pétrole qui ont leur siège à New-York ou à Londres.

Nous voici bientôt au terme de cette étude. Le prochain article, qui sera le dernier, proposera une conclusion valable pour tous les démocrates algériens, qui se rendent compte que le conflit palestinien, inventé là-bas par les colonialistes, est également exploité en Algérie par les colonialistes.

M. R.


Le colonialisme, voilà l’ennemi !

SI cette série d’articles est intitulée « La Palestine et nous », c’est parce qu’elle tend à juger le drame de Palestine du point ce vue des démocrates algériens. Il n’y a pas d’autre point de vue pour ceux qui écrivent dans ce journal et qui, à ce poste, ont déjà pris part à bien des luttes menées dans ce pays contre la réaction colonialiste.

S’il est une chose que l’expérience la plus amère nous a enseignée, en Algérie, c’est que la lutte contre la réaction et la lutte contre le colonialisme sont étroitement confondues. Elles ne forment qu’un seul et même combat. Quiconque déclare qu’il lutte contre le colonialisme, et refuse en même temps de considérer clairement comme ses alliés tous les démocrates véritables du monde entier, celui-là ne peut arriver à aucun résultat, si ce n’est finalement de servir de jouet aux provocations des colonialistes. Quiconque se prétend démocrate et ne se dresse pas contre le colonialisme, finit par passer ouvertement dans le camp de la pire réaction.

Il y a trois ans, seuls les vrais démocrates se sont dressés contre la vague de folie sanglante qui dévastait l’Algérie. Par leur action résolue, ils ont empêché les Délégations financières d’installer la dictature totale de la grande colonisation fasciste.

C’est à la lumière de cette expérience décisive, faite par le peuple d’Algérie, que nous pouvons comprendre ce qui se passe dans le Moyen-Orient. La libération nationale des peuples arabes, de l’Egypte à l’Iran, est liée à la possibilité d’établir dans ces pays un régime vraiment démocratique. Une nation n’est pas libre quand des politiciens réactionnaires et corrompus, semblables aux béni-oui-oui algériens, s’emparent du gouvernement, maintiennent le peuple dans la misère et le vendent comme un troupeau de moutons à l’impérialisme étranger. Le drapeau national qui flotte sur les édifices n’est alors qu’un paravent destiné à cacher la servitude.

Le problème essentiel

Un problème domine tous les autres, pour les peuples arabes du Moyen-Orient : c’est de se libérer de l’impérialisme anglo-saxon. Les troupes britanniques stationnent dans la zone du canal de Suez. Les Américains ont leurs aérodromes en Egypte. La Transjordanie n’est qu’une réserve coloniale britannique où le recruteur Abdullah alimente en hommes la « légion » du général Glubb. L’Arabie séoudite est devenue la propriété privée d’une compagnie pétrolière, l’Aramco. Dans tous ces pays, les dirigeants réactionnaires, complices du colonialisme étranger qu’ils refusent de combattre autrement qu’en paroles, s’efforcent de priver le peuple de toute liberté politique et le maintiennent dans un état de misère effroyable. Alexandrie et le Caire sont parmi les villes les plus riches du monde. Un luxe extraordinaire s’y étale, au sein duquel vivent les pachas et les riches étrangers. Mais la masse des fellahs qui cultivent la vallée du Nil sont livrés à la famine et aux épidémies, et il n’y a pas d’écoles pour leurs enfants.

Quant à la Palestine, malgré la fin du mandat britannique, elle est encore pleine de troupes anglaises. Groupés autour de Haïfa, à l’extrémité du pipe-line, les Anglais regardent sardoniquement la terre de Palestine s’imbiber du sang arabe et juif dont ils ont préparé l’effusion.

Pour tous ceux qui combattent le colonialisme avec la volonté sincère de le voir disparaître de l’histoire humaine, comme en a (à peu près) disparu l’esclavage, l’objectif n° 1 en Palestine et dans tout le Moyen-Orient, c’est le départ des troupes britanniques. Depuis de longues années, le Wafd et les progressistes égyptiens luttent vainement pour obliger l’armée anglaise à évacuer leur pays. Pour la Palestine aussi, c’est le premier but à atteindre. L’application de la décision de l’O.N.U., c’est-à-dire la création de deux Etats palestiniens, l’un juif, l’autre arabe, politiquement indépendants mais coopérant étroitement sur le plan économique, est ACTUELLEMENT LE MOYEN LE PLUS PRATIQUE DE METTRE EN ECHEC LES DESSEINS DU COLONIALISME en permettant aux Arabes et aux Juifs de vivre pacifiquement et en ôtant tout prétexte au maintien des forces étrangères sur le sol palestinien.

A la vérité, nous n’avons pas le moyen de changer grand’chose au cours des événements en Palestine. Nous pouvons pourtant comprendre et faire savoir que la seule solution est une entente entre les Arabes et les Juifs palestiniens, contre le colonialisme anglais et le colonialisme américain. Les négociations secrètes qui se poursuivent actuellement entre les dirigeants de la Ligue arabe, Abdullah, le gouvernement de Tel-Aviv, le comte Bernadotte, les Anglais et les Américains, ne nous disent rien qui vaille. Ce n’est pas la paix entre les peuples que prépare cette diplomatie, mais un compromis qui maintiendrait le peuple juif et le peuple arabe sous le contrôle des colonialistes. Ces derniers garderaient ainsi la possibilité, chaque fois qu’ils le jugeraient utile, de susciter de nouvelles divisions sanglantes.

Le colonialisme en Afrique du Nord

Les progressistes algériens ont un intérêt personnel à ce que la paix et la coopération s’installent en Palestine, avec le départ des forces armées des puissances colonialistes. Car si la guerre de Palestine a été spécialement organisée par les impérialistes anglais et américains pour leur permettre de maintenir leur domination dans cette partie du monde, si elle sert de prétexte, dans les autres pays arabes, à une répression féroce contre les meilleurs éléments des mouvements de libération nationale, elle est également utilisée par le colonialisme en Afrique du Nord.

Les colonialistes français, aux ordres de leurs nouveaux maîtres américains, voient dans les événements de Palestine une bonne occasion de remettre en application leur vieille devise : diviser pour régner. En 1945, ils avaient essayé d’installer leur dictature en Algérie en opposant les uns aux autres les Algériens musulmans et les Algériens d’origine européenne. Ils voudraient arriver aujourd’hui au même résultat en provoquant des troubles entre musulmans et juifs.

Ce plan a déjà été mis en application au Maroc. Ce n’est pas par hasard que les troubles y ont éclaté à Djérada, dans un centre ouvrier où les travailleurs musulmans, tout récemment, ont mené la lutte contre l’exploitation colonialiste. La provocation a réussi, et la Résidence a eu le prétexte qu’elle attendait pour envoyer à Djérada les unités de Sénégalais et les blindés, ce qu’elle n’aurait pas pu faire plus tôt sans avoir à craindre une violente réaction des travailleurs.

C’est exactement le même travail qu’on voudrait faire en Algérie, en utilisant les événements de Palestine. Quelle aubaine pour M. Naegelen si des incidents semblables à ceux d’Oujda et de Djérada venaient détourner les démocrates de leur lutte contre les colonialistes de l’Assemblée mal élue ! Quel soulagement si, en se divisant, les démocrates perdaient le fruit de l’union qu’ils ont réalisée pour dénoncer le scandale des « élections » algériennes ! Ce serait la solution rêvée pour M. Pelabon. Une bonne répression le débarrasserait pour un temps du souci que lui cause la vague montante des forces démocratiques. Quelle victoire pour lui, si les Algériens, en se disputant au sujet de la Palestine, cessaient de s’occuper de l’Algérie !

Ainsi, dans l’arène, le torero agite le chiffon rouge pour détourner contre un objectif illusoire la colère de l’animal …

Mais il se trouve que les Algériens sont des hommes et non des animaux. Ils ne se laisseront pas duper aussi facilement. Ils se méfieront de ceux qui voudraient détourner leurs regards pour les empêcher de voir ce qui se passe chez eux.

Il faut le dire clairement. Les efforts de propagande déployés pour enrôler des Algériens, moralement ou matériellement, dans la guerre de Palestine, sont des efforts qui ne peuvent avoir pour conséquence que de leur faire déserter le vrai combat, le combat contre l’impitoyable adversaire colonialiste en Algérie. Les campagnes de souscription, les enrôlements clandestins, de quelque côté qu’ils se fassent, sont des actes qui favorisent le racisme et le colonialisme et se retournent finalement contre tous les éléments du peuple algérien.

Nous continuerons de suivre avec attention, les yeux grand ouverts, les événements de Palestine, en souhaitant à tous les peuples frères de trouver, pour se débarrasser de la servitude coloniale, les moyens les plus équitables et les plus efficaces. Mais la meilleure façon de les y aider est de renforcer davantage notre union contre l’ennemi commun : LE COLONIALISME.

(FIN)

M. R.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *